Avis sur la saisine n° 24-149

Adopté en réunion plénière du 18 mars 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 21 septembre 2024, M. Philippe Courtet a saisi le CDJM à propos d’un article publié le même jour par Midi libre sous le titre « Un vingtenaire se jette sous un train » dans son édition Lodève-Cœur d’Hérault.

M. Courtet expose dans cette saisine les griefs de non-respect de la dignité humaine et de l’attention à porter aux personnes vulnérables. Il considère que l’article ne respecte pas les recommandations internationales en matière de traitement des informations relatives au suicide. Il précise dans sa saisine avoir « alerté le rédacteur en chef de Midi libre à de nombreuses reprises, sans aucun effet depuis plusieurs années ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect du respect de la vie privée et de la dignité humaine :

  • Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).

Réponse du média mis en cause

Le 30 septembre 2024, le CDJM a adressé à M. Olivier Biscaye, directeur de la rédaction de Midi libre, avec copie à Mme Laure Ducos, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations.

Le 15 octobre 2024, Mme Cathy Soun, cheffe de l’agence de Montpellier de Midi libre, a adressé par courriel au CDJM « les éléments de réponse que la rédaction souhaite apporter ». Elle indique que l’article « relate des faits qui se sont produits sur la voie publique » et que « Midi libre répond à sa mission d’informer les lecteurs : que s’est-il passé, quand, pourquoi ? » , notamment en indiquant « le lieu pour que les lecteurs puissent l’éviter ». Concernant les remarques du requérant sur la prévention du suicide, elle écrit que « la proposition d’indiquer de numéro national de prévention du suicide peut être étudiée. Mais si on va au bout de cette logique, il faudrait indiquer les numéros et préconisations de la Sécurité routière à chaque accident. »

Mme Soun conclut en proposant de rencontrer M. Courtet « afin d’évoquer les dispositifs de prévention du suicide dans une prochaine édition de Montpellier ». Cette proposition ouvrait la possibilité d’une médiation prévue par l’article 4 du règlement intérieur du CDJM. Elle a été transmise à M. Courtet, qui l’a refusée.

Analyse du CDJM

➔ Sous le titre « Un vingtenaire se jette sous un train », l’article en cause est long d’​​un peu plus de 1 000 signes. Un sous-titre en caractères gras indique que « le drame a eu lieu ce vendredi 20 septembre vers 5 h 15 du matin » et un intertitre précise : « Trafic interrompu pendant près de 3 heures ». Il relate les faits, « un homme qui se trouvait à proximité de la voie ferrée s’est jeté sous un train de marchandises qui n’a pas pu l’éviter », donne une indication succincte sur la personne concernée, puis décrit les conséquences de ce « drame » : « Le trafic ferroviaire a été interrompu entre les gares SNCF de Baillargues et de Lunel, pendant près de trois heures. » La fin de l’article rapporte la présence sur les lieux du maire de la commune et des gendarmes qui poursuivent l’enquête.

➔ L’article est d’intérêt général. Un train a été immobilisé sur la voie publique et le trafic interrompu pendant trois heures, de nombreux secours ont été dépêchés sur les lieux et des centaines d’usagers ont été les témoins directs ou indirects de ce drame.

➔ Le requérant, M. Philippe Courtet, est un psychiatre, chef du service urgence psychiatrique au CHU de Montpellier (Hérault). Il appuie ainsi les deux griefs qu’il formule :

« L’article en question relate un cas de suicide sur une voie ferrée. Il ne respecte pas les “guidelines” [recommandations, ndlr] internationales du traitement médiatique du suicide. En effet, il ne faudrait pas donner des détails sur le lieu de l’évènement afin de ne pas offrir un mode d’emploi à des personnes suicidaires. En outre, il faudrait assortir l’article de la mention que les personnes vulnérables peuvent demander de l’aide, par exemple au numéro national de prévention du suicide, le 31 14. » 

➔ M. Courtet fait allusion au document titré Indications pour les professionnels des médias sur la prévention du suicide , publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2008 et diffusé en France notamment par l’association Papageno.

Ces conseils ont notamment pour objet d’éviter tout traitement de l’information sur les suicides qui serait susceptible d’encourager le passage à l’acte d’un lecteur confronté à des tendances suicidaires (effet d’imitation, ou « effet Werther »). Il s’agit, pour les journalistes, d’éviter de donner à ce geste un caractère spectaculaire ou d’indiquer des éléments susceptibles de favoriser l’identification du lecteur à la personne ayant mis fin à ses jours.

Ces recommandations sont de deux ordres :

  • des recommandations « positives » d’invitation à diffuser, à l’occasion de tout article sur un suicide, les informations concourant à la prévention de ce phénomène social ;
  • des recommandations « négatives » incitant à la prudence dans la présentation des faits et des personnes concernées, voire à l’abstention pure et simple de diffusion de certaines informations.

➔ S’agissant de la première catégorie de recommandations, le CDJM considère que cette pratique est vivement souhaitable. Il n’est, à cet égard, pas possible de souscrire à l’argument de la cheffe d’agence de Midi libre selon lequel l’obligation de diffuser une information générale de prévention du suicide, en contrepoint d’un article d’information sur un suicide en particulier, conduirait, « si on va au bout de cette logique », à « indiquer les numéros et préconisations de la sécurité routière à chaque accident ». Une telle assimilation occulte en effet l’irréductible spécificité de l’acte suicidaire ainsi que la corrélation établie entre mortalité suicidaire et couverture médiatique, qui fait consensus parmi les scientifiques.

L’absence de messages de prévention, pour regrettable qu’elle puisse être, n’est cependant pas constitutive d’une faute déontologique.

Sur le grief de non-respect de la dignité humaine

L’identité de la personne décédée n’est pas révélée par l’article de Midi libre, même si son âge est indiqué (29 ans) et qu’il est précisé que l’homme est originaire de Saint-Brès (Hérault). S’agissant d’une commune d’environ 3 500 habitants, ces éléments ne peuvent pas suffire à identifier la victime. Aucune image n’est montrée, autre que des agents de la SNCF et des gendarmes présents sur les lieux. Il n’y a pas atteinte à la dignité humaine.

Sur le grief d’absence d’attention aux personnes vulnérables

Les textes déontologiques auxquels se réfère le CJDM indiquent que le journaliste « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables ». En l’occurrence, aucune personne vulnérable n’est interrogée. Le grief n’est pas fondé.

➔ Dans l’esprit des préconisations de l’OMS, le requérant a élargi dans sa saisine la notion d’attention aux personnes vulnérables à des tiers en situation de fragilité susceptibles d’êtres incités au suicide par imitation.

En l’espèce, s’il observe qu’aucune motivation n’est attribuée par l’article à la victime, le CDJM note plusieurs manquements aux préconisations précitées. Le titre de Midi libre – « Un vingtenaire se jette sous un train » – emploie une expression (se jeter sous un train) très imagée, qui peut être assimilée à un mode d’emploi. De même, indiquer la classe d’âge peut favoriser une identification du public de cet âge, ce qui peut faire naître un risque (d’autant que le suicide est précisément la troisième cause de mortalité pour les jeunes adultes). D’autres médias locaux, comme France  3 Occitanie ou Hérault Tribune, ont eux donné l’information sans préciser qu’il s’agissait d’un suicide, en parlant de « personne percutée ». Dans Midi libre, l’identification du lieu est précise et même, sur la version en ligne de l’article, accompagnée d’une carte détaillée interactive.

Le CDJM invite à son tour les médias à suivre ces préconisations, qu’il a d’ailleurs reprises dans sa propre recommandation sur le traitement des faits divers, publiée le 11 mars 2025, après le dépôt de cette saisine.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 18 mars 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de respect de la dignité humaine et de l’attention à porter aux personnes vulnérables interrogées n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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