Adopté en réunion plénière du 10 décembre 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 12 juillet 2024, Mme Emmanuelle Bialas, agissant au nom de la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en qualité de présidente, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 2 mai 2024 par le magazine L’Express sur son site et titré : « Anthroposophie, autisme… Les étranges contributions au rapport sur les enfants et les écrans ».
Mme Bialas affirme que les auteurs de l’article incriminé ont commis des erreurs dans la présentation et la qualification des activités de la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf, qu’ils auraient dû solliciter la partie mise en cause, et qu’ils n’ont pas rectifié leurs erreurs malgré l’envoi d’un droit de réponse les signalant.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
À propos de l’offre de réplique :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
À propos de la rectification des erreurs :
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
- Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques »
Réponse du média mis en cause
Le 3 août 2024, le CDJM a adressé à M. Éric Chol, directeur de la rédaction de L’Express, avec copies à Mme Stéphanie Benz et M. Antoine Beau, journalistes, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 10 décembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause porte sur les travaux de la « commission d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans », qui a remis son rapport au président de la République le 30 avril 2024. Il s’intéresse plus spécifiquement à deux contributions écrites adressées à ce groupe d’experts, par la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf d’une part et par le Collectif surexposition écrans d’autre part.
Le chapô (texte introductif) de l’article résume son contenu : « Un mouvement ésotérique, une médecin alarmiste, mais pas certains experts qui font l’unanimité ? Les contributions aux travaux remis à Emmanuel Macron sur les écrans font polémique. La commission reconnaît des erreurs. »
La moitié de l’article est consacrée aux « écoles Waldorf, particulièrement controversées, faisant l’objet de nombreuses accusations de dérives sectaires ces dernières années ». Leur lien avec « l’héritage philosophique de Rudolf Steiner, penseur alternatif autrichien mort en 1925 et épris de spiritualisme et d’occultisme » est évoqué. Il est indiqué que « la mission interministérielle de lutte contre les sectes (Miviludes) s’inquiète de la mise en œuvre d’une potentielle “emprise mentale” sur les enfants qui y sont scolarisés ». Les co-auteurs du rapport sur l’exposition des jeunes aux écrans sont interrogés et réfutent « une quelconque “influence” des écoles Waldorf ou de l’anthroposophie dans les recommandations remises à Emmanuel Macron ».
Sur le grief d’inexactitude
➔ La Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf écrit qu’« aucune accusation de dérive sectaire n’a jamais été émise à leur encontre, comme le confirme la Miviludes » et que « le choix des journalistes d’utiliser le nombre de saisines de la Miviludes concernant l’anthroposophie comme un argument justifiant la non-fiabilité de la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf comme source pour des politiques publiques constitue une atteinte à l’exactitude et à la vérité ».
Contrairement à ce qu’estime la requérante, les auteurs de l’article n’avalisent pas la reconnaissance par la Miviludes de dérives sectaires des établissements Waldorf. Ils citent la mission interministérielle de lutte contre les sectes pour indiquer que « l’anthroposophie […] fait régulièrement l’objet de signalements à la Miviludes ». Ils ne citent la Miviludes à propos des écoles Waldorf que pour évoquer son inquiétude « d’une potentielle “emprise mentale” sur les enfants qui y sont scolarisés ». Lorsqu’ils écrivent que les écoles Waldorf ont fait « l’objet de nombreuses accusations de dérives sectaires ces dernières années », ils n’attribuent pas ces accusations à la Miviludes.
➔ La requérante estime que l’expression employée par les auteurs de l’article à propos des écoles Waldorf – « ces structures, toutes fédérées par la “fondation Waldorf” » – est une inexactitude. Elle explique que « les établissements Waldorf sont fédérés par une association de loi 1901 : la “Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf », qui n’est pas une fondation. Ainsi, la dotation obligatoire pour une fondation d’utilité publique s’élève à 1,5 million d’euros. Or, l’amalgame entre les deux laisse penser que la Fédération dispose d’un capital conséquent, ce qui ne correspond pas à sa réalité ni à son objet. »
L’emploi de la dénomination « fondation Waldorf » est effectivement une erreur factuelle, alors qu’il s’agit d’une fédération d’associations. Cependant, on lit dans la version en ligne de l’article : « Ces structures, toutes fédérées par la “fédération Waldorf” […] » L’Express, en indiquant dans le corps de l’article qu’un droit de réponse adressé par l’association requérante est inséré « à la fin de cet article » précise bien qu’il émane de « la Fédération pédagogie Steiner-Waldorf en France ». Enfin, suite aux échanges du CDJM avec l’un des auteurs de l’article, le mot fondation a été remplacé par « fédération » dans le corps de l’article le 7 novembre 2024.
Cette erreur, marginale et corrigée, ne compromet pas la compréhension de l’article et n’a pas de conséquence sur le sens de l’information. Elle n’a en aucune manière pu nuire aux établissements Waldorf comme la requérante le laisse entendre.
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
➔ Mme Bialas, au nom de la Fédération pédagogie Steiner-Waldorf en France, met en cause un passage de l’article : « “Les citer, c’est leur reconnaître une qualité d’expertise et leur donner une visibilité. Alors que leur argumentation n’a aucun fondement scientifique ou pédagogique et n’est que l’émanation de leurs croyances délirantes. Pour eux, l’informatique est l’œuvre d’un démon”, regrette Grégoire Perra, ancien anthroposophe devenu lanceur d’alerte. L’organisation dément régulièrement cette vision mystique du sujet. Contactée, elle n’a pas été en mesure de nous répondre. » Elle estime que « la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf aurait dû être invitée à s’exprimer avant la parution de l’article » et affirme que « les journalistes de L’Express ne l’ont pas contactée ».
➔ La phrase « L’organisation dément régulièrement cette vision mystique du sujet » compense de facto les affirmations de M. Perra. Les auteurs indiquent dans leur article qu’ils ont cherché à joindre la fédération Waldorf en précisant : « Contactée, celle-ci n’a pas été en mesure de nous répondre. » Par ailleurs, l’une des deux auteurs de l’article, que le CDJM a jointe, dit avoir respecté « comme toujours » le principe du contradictoire et disposer du mail le prouvant.
Sur le grief de non-rectification d’une erreur
Le CDJM note que L’Express, sollicité le 10 juin 2024 par la Fédération Pédagogie Steiner Waldorf, a publié le droit de réponse que celle-ci lui a adressé.
Il considère que l’erreur concernant le nom de cette structure a été commise une fois dans l’article (dans lequel est également utilisé, pour la désigner, le terme de « fédération »), qu’il est indiqué, dès publication du droit de réponse : « La fédération pédagogie Steiner-Waldorf en France a souhaité faire valoir un droit de réponse, inséré à la fin de cet article. » Si on peut regretter que la substitution de « fondation » par « fédération » ait été faite en novembre 2024, après réception du courrier du CDJM, on ne peut considérer que le grief de non-rectification de cette erreur bénigne soit fondé.
Conclusion
Le CDJM réuni le 10 décembre 2024 en séance plénière estime que les obligations déontologiques d’exactitude, d’offre de réplique et de rectification des erreurs n’ont pas été enfreintes.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.