Adopté en réunion plénière du 30 juillet 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 1er mars 2024, M. Philippe Naszályi, qui siège au sein du CDJM au sein du collège éditeurs, a saisi le Conseil à propos d’un article paru dans le numéro du 17 janvier 2024 du Parisien, titré « Le centre de formation se bat pour “rétablir sa réputation” ». Il a également été publié sur son site internet la veille sous le titre « Après les affaires, le centre de formation de l’Essonne se bat pour “garder la tête hors de l’eau” ».
Le requérant reproche au quotidien régional de ne pas avoir rapporté correctement les faits quand il évoque les accusations portées contre M. Jacky Besson, ancien directeur du Centre de formation de l’Essonne (CFE), situé dans le quartier de la Grande-Borne à Grigny, regrettant notamment que la journaliste n’apporte « aucune mise en perspective des affirmations des personnes citées ».
Le requérant considère également que M. Besson aurait dû être contacté par la journaliste auteure de l’article afin de pouvoir répondre aux accusations portées contre lui en 2020 et qui sont rappelées dans un passage du texte. Il relève aussi l’approche positive du texte, qui met en avant la réussite des personnes accompagnées par le CFE et le soutien de la mairie de Grigny à l’établissement, et considère que « l’absence d’enquête et de contradictoire […] font de cet article bien plus une commande publi-rédactionnelle qu’un article digne de la presse écrite par une journaliste ».
Recevabilité
Le règlement intérieur du CDJM (article 1.1) ouvre la possibilité de saisir le Conseil aux « personnes physiques de 16 ans révolus […] souhaitant un arbitrage ou un avis déontologique portant sur un acte journalistique », ce qui inclut les conseillers du CDJM eux-mêmes, comme c’est le cas de M. Philippe Naszályi. Dans ce cas cependant, il doit se déporter pour éviter une situation de conflit d’intérêts (article 5.8). M. Naszályi n’a donc participé ni à l’analyse préalable de la saisine, ni aux délibérations du Conseil portant sur le présent avis.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
À propos de l’offre de réplique :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
À propos de la distinction entre publicité et information :
- Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il ne doit jamais « confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
- Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
Réponse du média mis en cause
Le 15 mars 2024, le CDJM a adressé à M. Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien et d’Aujourd’hui en France, avec copie à Mme Nolwenn Cosson, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 29 mars 2024, le CDJM a reçu une réponse de Mme Cosson. Elle explique l’approche choisie pour son article – « la “renaissance” du CFE après des années noires » –, avant de rappeler qu’un précédent article du Parisien, paru le 27 août 2020, avait décrit la situation financière dégradée de l’établissement. Ce texte donnait la parole au directeur de l’époque, M. Jacky Besson, accusé de diverses malversations et « mis à pied à titre conservatoire pour faute grave ».
Pour Mme Cosson, il était « impossible de parler du présent sans faire un point sur le passé. Et donc de revenir sur les lourdes accusations portées par l’équipe encore en place contre l’ancien directeur ». Cependant, comme « l’objet de l’article n’était pas le procès à venir », elle n’a pas jugé « opportun de le contacter directement pour le faire réagir ».
Analyse du CDJM
➔ Long de 4 500 signes pour sa version en ligne, le reportage du Parisien est le récit d’une remise de diplômes au Centre de formation de l’Essonne (CFE), situé à Grigny. Cet établissement dispense des formations de travailleur social à des personnes en difficulté. L’article s’appuie sur les témoignages recueillis auprès de stagiaires, du président du conseil d’administration du CFE, M. Roger Ferreri, de l’actuel directeur, M. Amar Henni, et du maire PCF de Grigny, M. Philippe Rio. Dans son texte, l’auteure Mme Nolwenn Cosson insiste sur l’excellence du travail social accompli par ce centre.
La journaliste élargit le propos en rappelant que ce centre de formation est en proie à de sérieuses difficultés financières « depuis 2019 », le directeur de l’époque ayant été accusé d’avoir détourné en deux ans « près de 300 000 euros ». Une plainte, rapporte-t-elle, a été déposée en mai 2020 pour « abus de confiance ». Le surtitre de l’article, dans sa version papier, affirme que l’affaire « a altéré la confiance [des] partenaires financiers » du centre, une affirmation que l’on retrouve dans le corps de l’article dans la bouche de M. Ferreri. La journaliste cite également M. Henni, pour qui « cette affaire […] a fait énormément de mal » au CFE.
Les titres des deux versions, web et papier, donnent le sens général du reportage : le CFE lutte pour « rétablir sa réputation » (version papier), ou pour « garder la tête hors de l’eau » (version numérique).
Sur le respect de l’exactitude et de la véracité
➔ Le requérant, M. Philippe Naszályi, pointe notamment le surtitre de l’article, dans sa version papier : « L’ancien directeur du CFE est accusé d’avoir détourné plus de 300 000 euros entre 2019 et 2020. Une affaire qui a altéré la confiance de ses partenaires financiers. »
Un passage de l’article est en effet dédié à cette affaire, déjà racontée dans un précédent article du Parisien paru en août 2020 : « Depuis 2019, le CFE traverse de graves difficultés. L’ancien directeur, Jacky Besson, en poste de 1992 à 2020, est accusé d’avoir détourné près de 300 000 euros les deux dernières années. Parmi les “nombreuses anomalies” listées par le cabinet d’expertise comptable, on découvre des virements à cinq chiffres “sans convention ni facture” vers différentes sociétés, la disparition de plus de 7 000 euros qui se trouvaient dans le coffre du centre, ou encore des achats réglés avec la carte bleue du CFE pour des frais de restauration et d’hôtel, et des dépenses personnelles comme un voyage à Agadir, au Maroc. »
La journaliste poursuit ce rappel des faits, en reprenant une citation de M. Amar Henni, l’actuel directeur de l’établissement : « Une plainte a été déposée en mai 2020 pour abus de confiance. “L’affaire est entre les mains de la justice. Nous attendons avec impatience le procès.” Contacté à l’époque des faits, Jacky Besson niait les faits, dénonçant une cabale contre lui. Il avait, dans la foulée, porté plainte pour dénonciation calomnieuse. »
M. Naszályi regrette que M. Jacky Besson, l’ancien directeur du CFE, soit cité « nommément » par la journaliste « alors qu’il n’y a aucune charge retenue contre lui », ce qui peut, selon lui, « être considéré comme une pure volonté de nuire doublée d’une propagation d’une fausse information au moment où cela est réécrit en janvier 2024 ». M. Naszályi écrit dans sa saisine que M. Besson a été « entendu neuf heures par la brigade financière de Versailles », qu’il est « arrivé libre […] et reparti libre, rassuré par les conclusions de la police financière » et qu’il « n’a donc été ni mis en examen, ni même placé sous le statut de témoin assisté ». Toujours pour le requérant, il n’y a « à [sa] connaissance aucun procès en cours mais une attente de classement par le procureur à la demande de son avocat ».
➔ Dans sa réponse au CDJM, Mme Cosson explique que même s’il était nécessaire de « faire un point sur le passé […], l’objet de l’article n’était pas le procès à venir », mais bien la situation actuelle du CFE. Elle ajoute que « lors de [son] entretien avec la nouvelle direction, [elle a] explicitement demandé à voir la plainte contre M. Besson. Tous [ses] interlocuteurs [lui] ont assuré que le procès n’avait pas encore eu lieu, et de ce fait, la plainte court toujours ».
Le CDJM note que la journaliste se contente de rappeler les faits révélés par son journal il y a près de trois ans et demi, sans évoquer l’évolution du dossier judiciaire depuis, ce qui fait prendre un risque à la crédibilité de son travail. Cependant, l’information de 2020 selon laquelle M. Besson est l’objet d’une accusation et d’une plainte reste d’actualité en 2024, en l’absence de renvoi à un procès ou de classement sans suite. Il n’y a pas d’inexactitude dans le rappel de ces faits.
➔ Dans sa saisine du CDJM, M. Naszályi considère que certains éléments de contexte, relatifs à l’histoire du Centre de formation de l’Essonne (CFE) et au parcours de son ancien directeur, auraient dû être rappelés par la journaliste :
- les engagements politiques de M. Amar Henni, actuel directeur du CFE, ainsi que ses liens avec la ville de Grigny (commune où se situe le CFE) et son maire M. Philippe Rio ;
- l’organisation de la gouvernance du CFE avant et après la mise à pied de M. Besson, l’ancien directeur ;
- le fait que M. Besson soit devenu directeur du CFE en 1992 et que les accusations de malversations ne portent que sur les deux dernières années de son exercice ;
- le rôle joué par un autre responsable de l’établissement – chargé, selon le requérant, de gérer ses finances – et les orientations de l’enquête le concernant ;
- des décisions et des recours prud’homaux récents impliquant le CFE et ses salariés ;
- l’historique de l’engagement de l’établissement et du « militantisme » de ses salariés en faveur des personnes les plus fragiles ;
- les mobilisations au sein de l’établissement, quand M. Besson était son directeur, pour obtenir de la mairie de Grigny de meilleures conditions de travail.
Le CDJM considère que ces éléments pourraient trouver leur place dans un article revenant de façon détaillée sur les accusations portées contre l’ancien directeur, ou bien encore dans un récit retraçant toute l’histoire de cet établissement depuis sa création.
La journaliste du Parisien a, elle, fait le choix d’« angler » son reportage sur l’activité récente de l’établissement et les opportunités qu’il offre à ses actuels stagiaires. Dans ce cadre, les (nombreux) éléments mis en avant pour le requérant ne constituent pas des informations essentielles à la compréhension du sujet, et leur absence n’est pas une faute déontologique, mais bien un choix éditorial.
➔ Le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité n’est pas fondé.
Sur le respect de l’offre de réplique
➔ Pour le requérant M. Naszályi, le fait de « ne pas interroger M. Besson [l’ancien directeur du CFE, ndlr] ni son avocat est bien entendu une faute déontologique lourde quant au contradictoire », et le rappel des accusations qui pèsent sur lui relève d’« une pure volonté de nuire doublée d’une propagation d’une fausse information ».
Dans sa réponse au CDJM, la journaliste estime que, ne rapportant pas d’élément nouveau, il n’était pas utile de le solliciter à nouveau, d’autant moins qu’elle prend soin, dans son article, de rappeler qu’à l’époque, l’ancien directeur avait dénoncé « une cabale » et déposé une plainte pour « dénonciation calomnieuse ».
➔ Le CDJM estime que le choix de reprendre, dans une partie longue de près de 1 500 signes, les accusations portées contre M. Besson trois ans et demi après leur révélation aurait largement justifié que soit proposée, à lui ou à son avocat, une offre de réplique. Une telle démarche aurait aussi d’ailleurs permis de vérifier l’état d’avancement de l’enquête, et de savoir si, comme l’affirme le requérant, un autre responsable du CFE de l’époque était ciblé par cette dernière.
Même s’il n’est pas mis en examen, comme l’avance le requérant, M. Besson n’en reste pas moins la cible d’accusations sur sa gestion financière, comme le rappelle la journaliste en s’appuyant sur la plainte qu’elle dit avoir consulter. Dans ce cadre, le CDJM considère qu’il n’est pas suffisant de répéter en 2024 les éléments que M. Besson avait avancés pour sa défense dans le premier article du Parisien sur l’affaire, paru en août 2020 : il convenait de lui redonner la possibilité de faire valoir son point de vue avant la parution du nouvel article.
Le grief de non-respect de l’offre de réplique est fondé.
Sur la distinction entre information et publicité
➔ Le requérant estime en conclusion de sa saisine que l’article du Parisien, qui présente sous un jour très favorable l’action du CFE, est au service du « véritable commanditaire de l’article… la mairie de Grigny ». M. Naszályi en veut pour preuve le fait que que, « si l’on regarde les deux intervenants principaux, [cette commune] est la seule source [des informations] et le seul bénéficiaire de cette prise en main du CFE [après le déclenchement de l’affaire en 2020, ndlr] ». Il considère que « cette évidente volonté de nuire à M. Besson, l’absence d’enquête et de contradictoire […] font de cet article bien plus une commande publi-rédactionnelle qu’un article digne de la presse écrite par une journaliste ! »
Dans sa réponse, la journaliste du Parisien explique qu’elle n’avait pas connaissance du « lien supposé » entre le directeur actuel du CFE, M. Henni, et le maire de Grigny, M. Rio. « Et surtout, ajoute Mme Cosson, M. Henni est élu d’opposition, mais dans la ville voisine de Ris-Orangis, et le CFE ne dépend pas de la ville de Grigny. La ville, comme d’autre, subventionne “simplement” la structure ».
Pour le CDJM, le reproche que fait le requérant à Mme Cosson de proposer un travail publicitaire et non journalistique ne s’appuie sur aucun fait tangible. La rédaction du Parisien peut parfaitement saluer l’action sociale d’une municipalité ou d’un organisme, tant que ce choix s’appuie sur des faits et des témoignages tangibles et sans que ce choix rédactionnel puisse être assimilé à un contrat commercial.
➔ Le grief de confusion entre information et publicité n’est pas fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 30 juillet 2024 en séance plénière estime l’obligation déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité a bien été respectée, tout comme l’obligation déontologique de distinction entre information et publicité. Il estime que l’obligation déontologique de proposer une offre de réplique aux personnes mises en cause n’a pas été respectée.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.