Cher Daniel,
Vous êtes hostile à l’existence même du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), c’est votre droit le plus absolu. En revanche, les contre-vérités et les erreurs factuelles que vous développez dans votre chronique publiée sur le site d’Arrêt sur images le 20 mai 2020 doivent être rectifiées.
Nous ne sommes pas un tribunal ; nous ne pouvons, ni ne voulons en être un ; donc, contrairement à ce que laisse entendre votre titre, nous ne relaxons ni ne condamnons.
Nous ne sommes pas un « ordre des journalistes », puisque, à la différence d’un ordre professionnel, nous ne délivrons pas d’autorisation d’exercer ni de carte, n’avons aucune compétence pour la formation, ne pouvons imposer aucune suspension, radiation, sanction, censure, interdiction, etc. Autres différence, de taille : nous sommes ouverts au public, qui représente un tiers des membres du CDJM.
Répétons-le : le CDJM n’est pas un conseil de l’ordre. Il ne s’agit pas de verbiage. Les mots ont en sens, tant en matière juridique que journalistique, et leur choix n’est jamais anodin. Le CDJM n’a pas condamné Apolline de Malherbe, il a rendu un avis sur la manière dont l’interview a été menée au regard des règles déontologiques applicables.
En outre, il faudrait, pour que votre critique soit cohérente, choisir entre reprocher au CDJM d’être un tribunal ou bien d’être un ordre ; on ne peut pas être les deux, et nous ne sommes ni l’un, ni l’autre.
Ensuite, et contrairement à ce que vous écrivez, le CDJM n’a pas été créé sous la pression du gouvernement. Le CDJM a été conçu par un collectif qui regroupe paritairement des journalistes, des entreprises de médias et des représentants de la société civile.
L’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), qui l’a fédéré, a lui été créé en 2012 et il a été précédé par l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France (APCP), fondée en 2007, alors qu’Emmanuel Macron était encore dans les limbes.
Vous citez la déclaration de Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique mais omettez de rappeler que l’ODI s’est, en juin, élevé contre ces propos et que le CDJM fait sienne cette position.
Autre imprécision : nous n’avons pas publié deux avis, mais trois. Que vous avez lus en diagonale. Ainsi, concernant la une de Paris-Match sur l’arrestation de Piotr Pavlenski, nous soulignons que le public a aussi le droit d’être informé des pratiques policières et des conditions d’arrestation.
Le troisième avis, lui, a été rendu après un échange constructif avec la rédaction concernée. Nous avons également publié la liste des saisines que nous avons écartées parce qu’elles portaient sur les libres choix éditoriaux des rédactions, et pas sur des points de déontologie.
Ajoutons que, contrairement à votre affirmation, il existe une jurisprudence en matière de déontologie journalistique, notamment celle des conseils de déontologies ou conseils de presse. Ces derniers sont une vingtaine en Europe, dont le plus ancien, en Suède, a plus de 100 ans, et le plus récent, en Belgique francophone, plus de 10 ans. Ce qui ne semble pas menacer leur démocratie. L’UE, le Conseil de l’Europe et l’OSCE considèrent que l’existence d’un tel conseil permet de répondre aux plaintes des citoyens, sans pour autant censurer, sanctionner ou punir.
Pour votre information, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la CFDT journalistes, qui travaillent depuis des lustres sur le sujet, ainsi que plusieurs associations (Prenons la Une, Informer n’est pas un délit, Profession pigiste, Association des journalistes de l’environnement, Union internationale de la presse francophone, etc.) des clubs de la presse (Occitanie, Bretagne, Maine, etc.), des écoles de journalistes (ESJ-Lille, EPJ Tours), sont membres du CDJM.
Du côté des entreprises (éditeurs, diffuseurs et agences), la FFAP, le FNPS, le SNRL, Playbac Presse, Abaca Press, Brief.me, Contexte et d’autres sont également adhérents.
Enfin le public est représenté par des associations (lecteurs du Monde, lecteurs de Sud-Ouest, Ligue de l’enseignement, etc.) et des personnes physiques.
Depuis bientôt une quinzaine d’années, vous publiez vos avis personnels sur l’éthique et la déontologie de vos confrères sur le site qui vous fait vivre. Nul ne discute de votre légitimité à le faire si telle est votre envie. Elle participe après tout de la conversation sur la pratique de nos métiers.
Mais là où votre parole serait légitime, les avis du CDJM ne le seraient pas ! Ils sont, il est vrai, le fruit d’un travail d’analyse collectif et rigoureux entre journalistes, éditeurs et citoyens. Cette collégialité est essentielle. Elle ne vous prive d’aucune tribune et ne devrait pas vous effrayer.
Bien cordialement.
Patrick Eveno, président du CDJM