Avis sur la saisine n° 23-026

Adopté en réunion plénière du 13 juin 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 9 avril 2023, M. Lucas Crochemore a saisi le CDJM à propos d’un article titré « Sainte-Soline : non, le Samu n’a pas été interdit d’accès aux blessés », publié le 3 avril 2023 sur le site du Point. Il énonce deux griefs : inexactitude et atteinte à la véracité des faits, et absence d’offre de réplique.

M. Crochemore estime que l’article du Point met en cause à tort trois médias – Libération, Le Monde et Mediapart -, qui, selon cet article, ont accusé les autorités publiques « d’avoir refusé [au Samu] d’apporter des soins aux blessés » ou « de [l]’avoir empêché d’accomplir [sa] mission» lors de la manifestation du 25 mars 2023 organisée à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, par les opposants aux mégabassines. Il considère également que l’article verse « dans la spéculation, et non dans l’exactitude et la véracité des faits, lorsqu’il affirme : “Avec plus de temps et quelques tracteurs, le chantier de la retenue d’eau aurait réellement été saccagé” ». Il estime de même que les journalistes du Point « n’apportent aucune preuve que les violences n’ont pas d’abord été du côté des forces de l’ordre ». Il note que ces mêmes journalistes sous-entendent, sans l’étayer, « que la manifestation aurait eu dès le départ une intention violente ».

Le requérant conteste également la comparaison effectuée en fin d’article entre les événements de Sainte-Soline et les méthodes d’action du Hamas – un rapprochement issu, selon lui, « d’un lien capillotracté entre [l’universitaire suédois et militant d’extrême gauche] Andreas Malm et la France Insoumise », qui relève « d’une méthode de discrédit par association […] qui semble contraire à l’éthique journalistique ».

Enfin, M. Crochemore déplore l’absence, selon lui, d’offre de réplique : « Parmi les organisations mises en cause, seule la LDH semble avoir été interrogée », écrit-il, en notant que « les médias accusés ne semblent pas avoir été interrogés, pas plus que les organisations mises en cause (la France Insoumise, les Soulèvements de la terre, Bassines non merci) ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il veillera à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n°8).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 17 avril 2023, le CDJM a adressé à Mme Valérie Toranian, directrice de la rédaction du Point, avec copies à Mme Géraldine Woessner, M. Clément Pétreault, M. Erwan Seznec, journalistes, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

A la date du 13 juin 2023, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ S’agissant du grief d’inexactitude, le requérant cible plusieurs points dans l’article visé. Le premier met en cause à tort, selon lui, trois médias – Libération, Le Monde et Mediapart -, qui, selon l’article et comme il est écrit en sous-titre, ont accusé les autorités publiques « d’avoir refusé [au Samu] d’apporter des soins aux blessés ». Pour asseoir son propos, le requérant relève que « les trois médias [mis en cause par Le Point] affirment que les secours ont été interdits d’accéder à la zone », mais qu’« il n’y a pas [de leur part] d’accusation d’une interdiction de soins en tant que telle ». Il rapporte que Libération, comme Mediapart, ont indiqué que le SMUR avait fini par arriver. Et que donc ce qui est reproché, selon lui, aux pouvoirs publics par ces médias est plus exactement « le retard avec lequel les secours sont intervenus à cause de l’interdiction faite par les autorités de se rendre sur place ».

➔ Vérification faite par le CDJM, aucun des trois médias mis en cause par Le Point n’a effectivement affirmé que les autorités publiques avaient refusé d’apporter des soins aux blessés. Le Monde, dans son édition du 28 mars 2023, énonce certes dans son titre que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir. Mais c’est pour expliquer ce refus, en citant l’enregistrement des échanges entre médecins, demandeurs de secours et SAMU où il est dit clairement que le SAMU ne peut agir sans le feu vert des autorités.

De son côté, dans un article documenté et riche en témoignages, Libération rappelle par une interview du responsable du SAMU 79 les contraintes auxquelles ce service est astreint dans des zones où, selon ce praticien, « l’intervention peut être délétère ».

Quant à Mediapart, l’article publié le 29 mars, avec de nouveaux témoignages, fait état d’appels nombreux au SAMU dès que l’extrême gravité de la blessure d’une des victimes a été constatée. En fait, comme le note le requérant, les médias incriminés par Le Point s’interrogent sur le fonctionnement des secours et les délais d’intervention et non sur un empêchement stricto sensu d’apporter des soins aux blessés. De plus, ces médias mis en cause ont, chacun, présenté à la fois le point de vue de la Ligue des droits de l’homme (LDH) (entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours), celui du Samu et de la préfète (envoi immédiat d’une ambulance, difficulté de géolocalisation des blessés et d’accès au site, intervention d’un médecin gendarme qui a été la cible de projectiles, restriction temporaire de l’accès aux sites dangereux) sans prendre position. Le CDJM considère donc que Le Point n’a effectivement pas fait preuve d’exactitude en accusant, à tort, Le Monde, Libération et Mediapart.

➔ M. Crochemore considère également que l’article ne respecte pas la véracité des faits lorsque les auteurs affirment, sans l’étayer : « À Sainte-Soline, la violence n’était pas un accident. Elle a été théorisée, planifiée et mise en œuvre méthodiquement, avant d’être désormais imputée aux forces de l’ordre, au mépris des évidences ». L’article, explique le requérant, ne fait pas la démonstration, par exemple, d’une mise en œuvre méthodique de la violence par les manifestants. La véracité des faits avancés ne lui semble donc pas établie, « en tout cas pas établie par l’article ».

Le CDJM constate en effet qu’aucun argument ne figure dans l’article du Point à l’appui de l’accusation selon laquelle la violence aurait été méthodiquement préméditée à Sainte-Soline.

➔ Par ailleurs, si le CDJM estime qu’il peut relever de la liberté éditoriale des auteurs de spéculer sur ce qui eût pu advenir du chantier de la retenue d’eau « avec plus de temps et quelques tracteurs », il considère que la comparaison effectuée en fin d’article entre les événements de Sainte-Soline et les méthodes d’action du Hamas a une portée plus calomnieuse qu’informative. Aucun argument sérieux ne vient étayer cette mise en cause. L’article évoque un lien très indirect entre l’universitaire suédois Andreas Malm et la France insoumise (LFI) qui ne peut en aucun cas avoir force de preuve dans le récit du Point, d’autant moins que LFI n’était pas organisatrice de la manifestation de Sainte-Soline. Le requérant a vu là « une méthode de discrédit par association […] qui semble contraire à l’éthique journalistique ». Le CDJM considère qu’effectivement, il y a oubli de l’impératif déontologique d’éviter « l’accusation sans preuve et l’intention de nuire ».

➔ Enfin, le CDJM constate que les médias accusés dans l’article du Point ne semblent pas avoir été interrogés pas plus que les organisations mises en cause (LFI, les Soulèvements de la terre, Bassines non merci), exceptée la LDH, et que, dès lors, l’obligation déontologique d’offre de réplique n’a pas été respectée.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 juin 2023 en séance plénière, estime que les règles déontologiques d’exactitude et de respect de la véracité des faits, d’une part, et d’offre de réplique, d’autre part, n’ont pas été appliquées par Le Point.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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