Adopté en réunion plénière du 8 juin 2021 (version PDF)
Description de la saisine
Le 20 avril 2021, le CDJM a été saisi par M. Pierrick Olivier au sujet d’un tweet diffusé sur le compte @BFMTV ce même jour à 15 h 05.
Sous le titre « Affaire Mia : Pour Rémy Daillet, les ravisseurs sont “des héros”, ils rétablissent le droit » ce message Twitter présente une vidéo de 1 mn 23 s où M. Rémy Daillet, objet d’un mandat d’arrêt international car soupçonné d’avoir organisé et financé le rapt de Mia, une fillette de 8 ans, expose son point de vue sur le dossier et l’action des présumés ravisseurs.
M. Olivier formule les griefs d’inexactitude et d’absence de recherche du contradictoire. Il estime que ce message diffuse « une tribune pour contester une décision de justice dans un dossier auquel il n’a pas eu accès, impliquant une enfant de 8 ans enlevée par 4 hommes s’étant rencontrés et coordonnés sur internet, en suivant sa propagande idéologique ».
Le compte @BFMTV est un support de diffusion sur le réseau Twitter des contenus de la chaîne de télévision du même nom. Un tweet reprenant une vidéo réalisée par ses équipes et mis en ligne par elles est bien un acte journalistique, entrant dans le champ de compétence du CDJM.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », et « exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent » selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître » et « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent» selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoirs no 1 et 3).
- Il ne laisse pas « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information » prévaloir « sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
Réponse du média mis en cause
Par courrier du 25 avril 2021, le CDJM a adressé à Mme Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM TV, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. A la date du 8 juin 2021, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
Le message sur Twitter mis en cause par le requérant donne la parole à M. Rémy Daillet. Cet homme installé en Malaisie est alors soupçonné d’être impliqué dans le rapt d’une fillette de 8 ans, Mia, enlevée le 13 avril 2021 à la demande de sa mère par plusieurs hommes, alors qu’elle était hébergée chez sa grand-mère, à laquelle elle était confiée par décision de justice.
Sous le titre « Affaire Mia : Pour Rémy Daillet, les ravisseurs sont « des héros, ils rétablissent le droit » », ce tweet présente une vidéo de 1 mn 23 s au cours de laquelle M. Daillet s’exprime seul répondant vraisemblablement aux questions d’un ou d’une journaliste. La première porte à l’évidence sur les ravisseurs de la fillette, puisqu’il répond : « Ce sont même des héros. Ce sont des héros, parce qu’il font, ils rétablissent – ils mettent terme à une infraction – ils rétablissent le droit. Et ils répondent à une demande présente de la part d’une… heu… d’une maman. Donc c’est… et moi… je les félicite et on fera tout ce qu’il faut pour les libérer de cette détention totalement scandaleuse. »
A 19 secondes du début, une saute d’image indique qu’une coupe a été faite (sans doute une question), et Rémy Daillet enchaîne : « C’est le cas classique maintenant, désormais classique d’une justice qui dérape et qui parle d’enlèvement là où il y a restitution d’enfant à la maman qui le demande. Qui réclame son enfant à cor et à cris, qui supplie qu’on lui rende son enfant. Et qui manifestement devrait avoir conservé son enfant et à qui on l’a enlevé de manière indue, illégitime. Un placement abusif comme il y en a des milliers, des milliers et des milliers chaque année en France. »
A 46 secondes du début, une seconde saute d’image indique qu’une coupe a été faite (sans doute une question portant sur les poursuites engagées) et Rémy Daillet enchaîne : « Mais ils ne m’arrêteront pas en Malaisie ! Parce que la Malaisie c’est un pays de liberté, c’est un pays… l’Indonésie, les Philippines, tous ces pays sont des pays où il y a beaucoup plus de liberté qu’en France. On n’arrête pas les gens comme ça. Les gens sont énormément respectés. »
A 58 secondes du début, troisième saute d’image correspondant à une coupe, puis : « Et je vais vous dire, je vous dire : qu’ils m’arrêtent, hein, qu’ils me mettent à Fleury-Mérogis ! J’écrirai mon livre, là, ce sera l’occasion. Les gens cesseront de dire que je suis du système. Ils cesseront de dire que je suis planqué. Ils verront que je suis en première ligne, et je pourrai de là fomenter la contre-révolution nécessaire dans ce pays. Ça fera encore beaucoup plus de bruit. Et je suis sûr que j’aurai plein de gens, plein d’amis chez les matons, chez les policiers, chez les gendarmes. J’en suis convaincu. »
Donner la parole à une personne recherchée par la justice et soupçonnée d’un délit ou d’un crime est une pratique journalistique qui ne pose pas en soi de problème déontologique. Informer le public implique de lui donner tous les éléments de compréhension d’un sujet, ainsi que la version des faits ou l’analyse d’une personne impliquée à quelque titre que ce soit. Encore faut-il que ces propos soient remis dans leur contexte, accompagnés des éléments d’analyse ou des réserves qui s’imposeraient.
Le CDJM a constaté que ces mêmes propos de M. Daillet avaient d’ailleurs été présentés et analysés par une journaliste sur BFM TV en direct – une séquence visible dans la vidéo intégrée à l’article publié sur le site de la chaîne le 20 avril 2021 et titré « Affaire Mia : Rémy Daillet considère que ce n’est pas “pas un enlèvement mais une restitution d’enfant” ». La vidéo diffusée seule via Twitter se retrouve également dans autre un article du site, publié le même jour et titré « Affaire Mia : ce que contiennent les vidéos du complotiste Rémy Daillet-Wiedeman », qui replace les propos de M. Daillet dans leur contexte et présente d’autres arguments.
Quoi qu’on puisse penser de ce que dit M. Daillet, la vidéo diffusée par le tweet mis en cause par le requérant restitue sans les modifier ses paroles. Il n’y a pas altération de ses propos, inexactitude dans leur restitution. Mais communiquer ses affirmations au public de façon brute, sans aucune explication, recul ou critique méconnaît l’obligation de mise en contexte que les journalistes doivent observer – par exemple sur la notion et le nombre de « placements abusifs » en France dont il est difficile de laisser dire qu’ils seraient plusieurs milliers chaque année en France sans apporter de contrepoint –, voire de recul critique – par exemple sur le « rétablissement du droit » résultant du rapt d’un enfant confié à sa grand-mère par décision de justice.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 8 juin 2021 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude a été respectée, contrairement à celle de recherche du contradictoire et d’esprit critique. La saisine est déclarée non fondée quant au premier grief ; elle est déclarée fondée quant au second.
La saisine est donc déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus des membres présents.