Le traitement des questions scientifiques

Cette recommandation a été adoptée par le CDJM le 8 novembre 2022.

Le traitement de l’information scientifique exige une attention spécifique en matière de déontologie journalistique. Changement climatique, pandémies, modèle agricole, débat sur les énergies : la science prend une place de plus en plus grande dans l’information des citoyens. Or de nombreux professionnels, lecteurs, auditeurs et téléspectateurs constatent des lacunes dans le traitement médiatique de ces questions : méconnaissance de la démarche scientifique, dérives vers l’information spectacle, parole donnée à des experts dont la reconnaissance des pairs n’est pas garantie.

Le respect de la déontologie de l’information peut éclairer ces débats. Celle-ci est la même pour tous les journalistes, mais les sujets scientifiques peuvent avoir un impact important dans la société, et demandent une rigueur accrue. Il a semblé au CDJM utile de souligner les bonnes pratiques et les écueils à éviter dans leur traitement, tant par les journalistes spécialisés que par l’ensemble des rédactions. Il ne s’agit évidemment pas d’entrer dans le champ des choix éditoriaux en définissant « quel est le bon contenu », ni de se prononcer sur l’organisation des rédactions ou la formation des journalistes, mais de rappeler quelques exigences déontologiques.

Les règles décrites dans ce document n’ont d’autre ambition que d’adapter les grands principes de l’éthique journalistique à certaines situations spécifiques que rencontrent les journalistes dans le traitement des sujets scientifiques, qu’il s’agisse de sciences formelles, de science de la nature ou de sciences sociales.

Bonnes pratiques

Le journalisme sur les questions scientifiques répond à une double exigence, celle de l’information du public et celle de la démarche scientifique. Cette dernière fait appel à des concepts, à un savoir, à une méthode déduisant de faits des hypothèses puis les validant ou non, par l’observation et l’expérimentation, que seuls possèdent les spécialistes du domaine concerné.

Un journaliste traite des questions scientifiques en utilisant les outils de l’enquête journalistique, notamment la multiplicité et le recoupement des sources et le suivi des sujets dans la durée. Ce qui compte, en dernier ressort, ce sont les faits établis selon une démarche scientifique. D’où la nécessité, pour le journaliste, d’avoir de solides compétences tenues à jour dans le domaine qu’il traite, pour pouvoir poser les bonnes questions et exercer sa fonction critique.

  • Le premier facteur d’erreur demeure l’ignorance « simple » : un journaliste ne peut s’en remettre au « bon sens » sur les questions scientifiques. S’informer et se former est la meilleure des « bonnes pratiques ».
  • Ne pas confondre opinions et faits scientifiques, ni les confronter.
  • Ne pas confondre controverse scientifique – de réels désaccords entre experts – et controverse politico-médiatique – opposition d’opinions indépendamment des données de la science.
  • Se référer à ce qui fait consensus scientifique sans se cantonner aux modèles de pensée dominante, et traiter de points de vue innovants ou originaux, sous réserve qu’ils soient étayés par des arguments scientifiques robustes.
  • Ne pas mettre sur le même plan ce qui fait consensus au sein de la communauté scientifique, ce qui doit être précisé, et démonstration minoritaire largement rejetée.
  • Dans le doute, s’abstenir.

Les sources

La notion d’expertise scientifique et la qualité d’expert doivent être maîtrisées par le journaliste. Elle ne se réduit pas à la compétence individuelle. Une expertise scientifique est nécessairement collective : un expert véritable est membre d’un collectif constitué pour répondre à une demande d’expertise de la société, souvent des pouvoirs publics. Le journaliste est en droit de vérifier si ce collectif, institution publique ou privée, son fonctionnement, ses moyens, ses membres… correspondent aux exigences d’une bonne expertise scientifique : transparence des liens d’intérêts, compétence des membres, pluralisme scientifique et de points de vue des experts, publication des avis et de leurs discussions, opinions minoritaires exprimées, etc.

  • Privilégier les sources primaires : préférer les contacts directs avec les scientifiques aux communiqués de presse et briefings des communicants.
  • Se reporter aux publications originelles pour traiter une étude, pas aux reprises sur d’autres supports.

Les publications scientifiques

  • S’assurer auprès d’experts extérieurs à une étude que les travaux des chercheurs ont été conduits dans les règles de l’art et publiés dans une revue scientifique internationale, après un processus exigeant de contrôle par les pairs.
  • Mettre en avant ce qu’une étude dit mais aussi ce qu’elle ne dit pas.
  • Signaler les biais d’une étude pour nuancer les résultats.
  • Rendre compte de résultats partiels en disant qu’ils le sont et en évitant tout sensationnalisme. 
  • Éviter de présenter comme définitifs ou quasi définitifs des résultats de recherche qui se trouvent encore à un stade expérimental.
  • Être prudent à l’égard des résultats divulgués dans le cadre de conférences, s’ils n’ont pas encore été publiés dans une revue scientifique supervisée par un comité éditorial d’experts. 
  • Informer le public des commanditaires d’une étude scientifique dont les résultats sont rapportés : entité contractante, prestataire, mais aussi durée de l’étude ; toujours jeter un œil au financement d’une étude. 
  • Faire la distinction des contenus issus de revues scientifiques à comité de lecture, validées par des pairs, pré-publications ou publications n’engageant que leur auteur.

Les chercheurs 

  • Ne citer que des chercheurs qu’on a directement interviewés, sauf mention contraire remettant leur propos dans leur contexte d’origine.
  • Vérifier la valeur d’un expert auprès de ses pairs (en particulier quand sa position détonne).
  • Relever les conflits d’intérêt : il existe des ressources en ligne permettant d’identifier la provenance des informations, comme Euros for Docs ou le site de la Haute Autorité pour la transparence dans la vie publique ; certaines études mentionnent les conflits d’intérêt dont elles peuvent souffrir. 
  • Identifier les « influences » d’un chercheur, par exemple via les supervisions de thèse en utilisant un academic tree (« arbre généalogique universitaire »).
  • La bonne foi des interlocuteurs scientifiques est une condition sine qua non pour les présenter et les traiter comme des sources d’informations. Un scientifique de bonne foi ne déforme ni ne caricature les méthodes et résultats de ses collègues, ce qui est contraire à l’éthique de la recherche.

Les interviews

  • Dire à quel titre le scientifique interviewé prend la parole : en spécialiste apportant son expertise sur le sujet débattu, en tant que représentant de l’organisme de recherche ou d’une institution, ou bien à titre de citoyen engagé voire de militant.
  • Mentionner ses liens d’association ou d’affiliation, ses intérêts particuliers.
  • Ne pas solliciter un expert sur un sujet pour couvrir un autre sujet (même « voisin »). Les chercheurs ne peuvent pas s’exprimer sur tout, même lorsque le thème abordé semble proche. 
  • Ne pas considérer que le statut social et la renommée d’un scientifique en font un porteur de la « vérité scientifique ». De même, le nombre de citations d’une étude dans des revues scientifiques n’établit pas forcément cette vérité, et doit être interrogé. 

Les sujets santé et médecine 

Les dérives concernant le traitement des questions scientifiques relatives à la santé et à la médecine dans les médias ne sont pas nouvelles et semblent ancrées dans certaines pratiques professionnelles. Il a paru nécessaire au CDJM d’y consacrer un paragraphe plus spécifique.

  • Ne jamais réduire une personne à son diagnostic médical ni rendre public un diagnostic médical sans l’accord de la personne concernée/atteinte.
  • Veiller à ne pas créer d’espoirs ou de craintes non fondées chez des personnes atteintes de maladies graves ou chez des personnes dont les proches sont gravement malades.
  • Rendre compte avec prudence des découvertes médicales annoncées par des chercheurs ou des laboratoires pharmaceutiques, qui ont rarement un impact immédiat sur l’amélioration des traitements.
  • Ne pas exagérer des risques ou faire miroiter des avantages non prouvés pour la santé, liés à des changements d’habitudes de consommation de produits alimentaires ou pharmaceutiques.
  • Restituer dans quels cadre et contexte s’est faite une recherche sur des traitements médicaux (niveau des essais cliniques, nombre de cas étudiés, effet secondaire, etc.) ; employer le conditionnel tant qu’on n’en est pas au stade du médicament ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM). 

Au moment de publier

  • S’en tenir aux faits démontrés ou ne présenter les hypothèses que comme des hypothèses, en évitant tout discours réducteur et manichéen.
  • Signaler comme tels au public les contenus éditoriaux signés par des chercheurs, observateurs ou experts.
  • Il importe sur ces questions scientifiques d’être particulièrement attentif à ce que titraille, chapô et annonces d’un sujet n’en altèrent pas le sens.
  • La vulgarisation d’un sujet peut parfois entraîner des imprécisions ou des erreurs : faire relire peut se révéler utile, pas seulement auprès de la source ou d’un expert : des personnes qui n’y connaissent rien peuvent relever les erreurs d’interprétation possibles.
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