Adopté en réunion plénière du 25 novembre 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 26 août 2025, Mme Noëlle Bataille a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 29 juillet 2025 sur le site du quotidien Ouest-France et titré : « Le corps d’un septuagénaire, porté disparu depuis le 12 mai dernier, retrouvé près de Nantes ».
Mme Bataille formule le grief de non-respect de la vie privée. Elle estime que « l’article publié par Ouest-France concernant la découverte du corps de M. Bourse a porté atteinte à la vie privée de la famille en divulguant nom et prénom et la découverte du corps sans leur accord préalable. »
Recevabilité
La requérante avait également saisi le CDJM pour non-respect de la dignité humaine et de l’attention aux personnes vulnérables lors du recueil des informations. Ces griefs ont été déclarés irrecevables. En effet, aucune information ne met en cause le défunt et aucune photo ne montre sa dépouille. En outre, l’obligation déontologique d’attention aux personnes vulnérables définie par l’article 8 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes indique expressément qu’elle s’impose « à l’égard des personnes interrogées », ce qui n’est pas le cas ici.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de la vie privée :
- Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
- Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).
- Lire aussi la recommandation du CDJM : « Traitement du fait divers : préconisations ».
Réponse du média mis en cause
Le 9 septembre 2025, le CDJM a adressé à Mme Laëtitia Greffié, rédactrice en chef en charge des informations générales à Ouest-France, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le même jour, Mme Greffié a répondu au CDJM en ces termes : « Bonjour, Nous avons pris bonne note de votre courriel. Nous avons répondu à la personne qui vient de saisir votre instance. Cordialement. »
Le 15 septembre 2025, le CDJM a informé Mme Greffié qu’en dépit de sa réponse à la requérante, celle-ci n’a pas retiré sa saisine et qu’en conséquence, il poursuivait son analyse.
Analyse du CDJM
✦ L’article en cause, daté en ligne du 29 juillet 2025 à 12 h 24, est court. Sous le titre « Le corps d’un septuagénaire, porté disparu depuis le 12 mai dernier, retrouvé près de Nantes », un chapô (texte introductif) indique : « Le corps d’un homme de 70 ans, dont la disparition avait été déclarée le 12 mai dernier, a été retrouvé lundi 28 juillet dans un champ situé à Orvault (Loire-Atlantique). »
Le corps de l’article précise : « Il avait été vu pour la dernière fois à la sortie du bus 79, à l’arrêt Charmille, à Orvault, près de Nantes (Loire-Atlantique). Le corps d’un homme de 70 ans, Thierry Bourse, porté disparu depuis le 12 mai dernier, a été retrouvé lundi 28 juillet par un agriculteur. C’est en labourant son champ que ce dernier a fait la macabre découverte aux alentours de 17 h. Une enquête a été ouverte pour rechercher les causes de la mort. »
✦ La requérante, qui se présente comme belle-sœur de la victime, a écrit le jour même à 17 h 59 à Ouest-France pour demander au journal « le retrait du nom de M. Bourse dans l’article concerné ainsi que des excuses officielles [car celui-ci est] mentionné nommément avant même que sa famille n’ait été officiellement informée par les autorités ». Elle affirme que « cette publication a causé un choc émotionnel important à ses proches ».
Elle ajoute dans une lettre au PDG d’Ouest-France que cela a été fait « alors même que l’identification formelle n’a pas eu lieu » et demande, outre le retrait du nom, « la publication d’un encart d’excuse ou d’un droit de réponse dans les mêmes conditions de visibilité que l’article initial » et « une révision de vos procédures internes pour éviter que ce type d’atteinte ne se reproduise ».
Le 30 juillet à 17 h 05, Mme Greffié lui répond au nom d’Ouest-France par courriel. Elle lui présente « [ses] sincères condoléances pour le drame qui touche [sa] famille », ajoutant : « Nous comprenons bien évidemment l’émoi que suscite cette situation. »
Puis elle expose que « les faits [la découverte du corps, ndlr] se sont déroulés le 28 juillet à 17 h. Nous n’avons publié l’information le lendemain à 12 h 25 qu’après une confirmation officielle des services de police, qui, comme vous le savez, avaient émis le 12 mai dernier un appel pour disparition inquiétante paru dans nos colonnes. Je conçois votre émotion sans connaître les conditions dans lesquelles vous avez vous-même eu accès à l’information officielle. À ce titre, notre compassion est totale même si nos procédures, en place depuis de nombreuses années et faisant l’objet de nombreuses chartes éditoriales, ont été respectées. »
La rédactrice en chef des informations générales d’Ouest-France indique enfin à la requérante qu’il a été « procédé à la suppression de l’identité de [son] parent dans nos colonnes sur nos éditions numériques ».
La requérante écrira encore à deux reprises à la rédactrice en chef. La première fois, le 31 juillet 2025 à 00 h 27, pour répéter qu’au moment de la publication faite, selon la journaliste, après confirmation des services de police, « aucun membre de la famille de M. Thierry Bourse n’avait encore été informé de manière officielle de la découverte de son corps ». La seconde fois, le 10 août 2025 à 23 h 29, pour affirmer que la publication de « l’identité exacte de M. Bourse n’était pas indispensable à la compréhension des faits », et refuser une proposition d’échange téléphonique de Mme Greffié.
✦ Comme le soutient la requérante, la publication du nom dans la première version de l’article n’est effectivement pas indispensable à la compréhension des faits. Ainsi, dans la publication de l’appel pour disparition inquiétante en mai, Ouest-France n’avait pas indiqué ce nom. Il avait cependant largement circulé, publié par exemple sur le site de Presse Océan (appartenant au groupe Sipa-Ouest-France), sur le site Actu.fr, sur celui d’ICI (ex-France Bleu), sur un groupe Facebook dédié aux appels à témoins ou bien encore sur le site de la radio locale RCA. Ces publications, accompagnées dans certains médias d’une photo du disparu ou de la reproduction de l’avis de recherche nominal émis par la police nationale, n’ont pas, à l’époque, posé de problème aux proches.
L’article publié par Ouest-France du 29 juillet 2025 est un suivi légitime de l’information publiée en mai sur la disparition de M. Brousse. Le citer ne constitue pas une atteinte à sa vie privée ou à sa mémoire. Le CDJM prend acte que ce nom a été retiré de l’article dès que le média a été contacté par la requérante.
✦ Pour la requérante, la publication de ce nom a constitué une atteinte à la vie privée de ses proches, qui auraient appris par Ouest-France la découverte du corps.
Le CDJM considère que même si l’information avait été diffusée sans identifier le disparu, ses proches auraient immédiatement compris qu’il s’agissait de lui. Le titre – « Le corps d’un septuagénaire, porté disparu depuis le 12 mai dernier, retrouvé près de Nantes » – et le chapô – « Le corps d’un homme de 70 ans, dont la disparition avait été déclarée le 12 mai dernier, a été retrouvé lundi 28 juillet dans un champ situé à Orvault (Loire-Atlantique) » – ne laissent en effet aucune ambiguïté.
Il note que le journal a publié l’information vingt-quatre heures après la découverte du corps, après l’avoir vérifiée auprès des services de police. Il pouvait légitimement considérer que ceux-ci avaient disposé d’assez de temps pour informer la famille que le corps de M. Brousse avait été retrouvé et identifié.
L’information concernant la découverte du corps de M. Brousse était, compte-tenu de la publicité donnée à sa disparition, d’intérêt public – même si, on l’a dit, la publication du nom n’était pas indispensable à la compréhension des faits. Si on peut comprendre le choc que représente le fait d’apprendre par un média le décès d’un proche, cela ne constitue pas une atteinte à la vie privée.
✦ Le CDJM rappelle que le rôle des journalistes n’est pas de prévenir sa famille proche du décès de quelqu’un. Cette mission incombe au personnel médical ou à l’autorité publique (gendarmerie, police, maire de la commune). Cependant, il considère qu’une bonne pratique est, avant toute mention d’un décès, de s’assurer dans la mesure du possible auprès des autorités publiques que les proches immédiats du défunt ont été informés. Il invite les médias à se conformer à cette recommandation.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 25 novembre 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de respect de la vie privée n’a pas été enfreinte par Ouest-France.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.
