Adopté en réunion plénière du 4 novembre 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 15 juin 2025, M. Alexandre Renahy a saisi le CDJM à propos d’un article publié par le magazine Maisons et Travaux sur son site le 31 mai 2025, titré : « Squatteurs : la technique insolite d’un propriétaire pour les déloger légalement (mais c’est osé) ».
L’article expose comment un propriétaire a délogé des squatteurs en introduisant un essaim d’abeilles dans la maison où ils s’étaient installés. Le journaliste fait état des réactions suscitées par la diffusion de cette action sur le réseau social Instagram et précise que la méthode employée « est tout à fait légale. Ils n’ont enfreint aucune loi, car il n’y a pas eu de confrontation directe, pas d’intimidation. Ils se sont contentés d’installer une ruche dans une maison qui leur appartenait ».
Le requérant invoque deux griefs :
- D’abord celui d’inexactitude, en soulignant notamment que l’article présente comme licite un acte « délictueux et potentiellement criminel […] sans la moindre vérification ni mise en perspective juridique ».
- Ensuite celui d’atteinte à la dignité, en indiquant notamment que « l’article participe à une forme de désinhibition morale : il déshumanise les personnes désignées comme “squatteurs”, tout en banalisant l’usage de moyens potentiellement létaux pour les faire fuir ».
Recevabilité
Lors de l’examen initial de cette saisine, le CDJM a considéré que le grief d’atteinte à la dignité humaine n’était pas recevable et ne serait donc pas examiné dans le présent avis. En effet, aucune personne n’est nommément désignée dans l’article et la formulation n’est pas susceptible d’identifier un groupe d’individus, mais seulement de désigner une action. Or l’article 8 de la Charte mondiale est ainsi formulé : le journaliste « respectera la dignité des personnes citées et/ou représentées ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
Réponse du média mis en cause
Le 23 juin 2025, le CDJM a adressé à Mme Céline Chahi, rédactrice en chef de Maisons et Travaux, avec copie à M. Shanour Kargayan, journaliste auteur de l’article, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 27 juin 2025, un courriel du service juridique du magazine, adressé au CDJM, l’informait que « dès la réception du signalement, l’article a été retiré par mesure de précaution dans les plus brefs délais ».
Analyse du CDJM
✦ L’article en cause relate la réaction du propriétaire d’une maison, récemment héritée de sa mère, et confronté à son occupation par un groupe de squatteurs. Pour faire partir ceux-ci, ce propriétaire, avec l’aide d’un ami, a introduit un essaim d’abeilles dans le logement. Le journaliste précise : « Sachez que la solution employée par Patrick et son ami est tout à fait légale. Ils n’ont enfreint aucune loi, car il n’y a pas eu de confrontation directe, pas d’intimidation. Ils se sont contentés d’installer une ruche dans une maison qui leur appartenait. » L’article se conclut par ce commentaire : « Une méthode radicale, mais efficace, qui aura eu le mérite de faire partir les squatteurs en un rien de temps. »
Sur le grief d’inexactitude
✦ Le requérant considère que « l’article avance, sans réserve ni prudence, que l’introduction d’une ruche d’abeilles ou d’un essaim de frelons dans une maison occupée par des squatteurs constituerait une action “tout à fait légale”, au motif qu’il n’y aurait eu ni confrontation directe ni intimidation explicite. Une telle affirmation, présentée comme un constat de droit, est non seulement juridiquement erronée, mais gravement trompeuse pour le lecteur ».
Il ajoute : « En droit pénal français, le fait de pénétrer dans un lieu effectivement habité, fût-ce par un tiers sans droit ni titre, demeure constitutif d’une violation de domicile dès lors que l’occupation est effective – et ce, même si l’auteur estime avoir des droits sur le bien en cause (article 226-4 du code pénal, jurisprudence constante). »
✦ Cet article L. 226-4, cité par le requérant, sanctionne l’occupation illégale du logement d’autrui. Sur le site Service public, les notes explicatives de la direction de l’information légale et administrative (Dila) attachées à cet article signalent expressément que « si votre résidence principale ou votre résidence secondaire (meublée) est squattée, vous ne devez pas forcer par vous-même les squatteurs à libérer le logement. Vous devez engager des démarches pour obtenir leur expulsion ou évacuation forcée ».
Dans le même sens, le site Ma Sécurité du ministère de l’Intérieur précise qu’« il n’est pas possible de forcer les squatteurs à libérer le logement (article 226-4-1 du code pénal). Il faut faire les démarches pour obtenir leur expulsion ou leur évacuation forcée ». L’article 226-4-2 précise en effet que « le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu’il habite sans avoir obtenu le concours de l’État dans les conditions prévues à l’article L 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ». La notion de « lieu qu’il habite » est ici indépendante de la licéité de l’occupation.
L’article en cause présente bien comme légale une action susceptible de tomber sous le coup de la loi, alors que les informations sur son interdiction sont accessibles facilement sur plusieurs sites officiels. Le fond de l’argumentation du requérant est donc fondé.
Au surplus, l’article indique que le propriétaire « savait que les recours juridiques seraient très longs. Expulser des squatteurs en France, surtout durant la trêve hivernale, n’est vraiment pas simple ». Or le site Service public déjà cité, auquel renvoie un commentaire explicatif de l’article L. 226-4, précise que « dans le cas de squatteurs, la trêve hivernale ne s’applique pas. Leur expulsion ou évacuation forcée peut avoir lieu quelle que soit la période de l’année ». L’affirmation citée recèle donc une inexactitude supplémentaire.
S’agissant des mesures de rectification prises par le média
✦ Le CDJM prend acte de la réactivité du média qui, à la suite de sa démarche, a retiré l’article de son site. Il regrette cependant qu’il n’y ait pas eu de rectificatif à proprement parler. La simple suppression de l’article inexact ne répond pas à la recommandation publiée par le CDJM, laquelle précise que « la page d’un article web erroné ne doit pas être supprimée, au risque que les prochains visiteurs atterrissent sur une page d’erreur, mais doit être modifiée, jusqu’à son titre si nécessaire ». Or, le renvoi vers un message d’erreur (« 404 Oops ! Cette page est en travaux ! ») est précisément la situation qui prévaut aujourd’hui lorsqu’on suit le lien vers l’article originel.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 4 novembre 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par Maisons et Travaux.
La saisine est déclarée fondée.
Cette décision a été prise par consensus.
