Avis sur la saisine n° 25-077

Adopté en réunion plénière du 14 octobre 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 14 juin 2025, Mme Fanny Herrmann a saisi le CDJM à propos d’un article publié par L’Est Républicain dans son édition du 14 juin 2025, également diffusé sur le site du quotidien régional le 13 juin 2025 sous le titre « Un mariage vire à la catastrophe : 69 invités victimes d’une intoxication alimentaire » et toujours accessible dans une version modifiée depuis.

Mme Herrmann est la mariée concernée par cet article. Considérant que « les détails fournis dans l’article à propos du lieu de la cérémonie (une salle des fêtes d’un petit village) et de la liste des aliments servis portent atteinte à sa vie privée », elle saisit le CDJM de ce grief.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de la vie privée :

  • Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM : « Traitement du fait divers : préconisations ».

Réponse du média mis en cause

Le 23 juin 2025, le CDJM a adressé à M. Frédérick Macé, rédacteur en chef de L’Est Républicain, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 30 juin 2025, M. Macé a répondu au CDJM en lui transmettant, sans autre commentaire, la réponse qui a été faite à la requérante après que celle-ci avait écrit au journal pour solliciter « une suppression de l’article en ligne et une indemnisation pour préjudice moral ». Dans ce message, L’Est Républicain informe la requérante que, « après examen de votre demande et de vos remarques », il a été effectué des corrections « au sein de l’article » et procédé à la « suppression du post [avec un] lien sur Facebook [y] renvoyant ». Il l’informe également de son refus de donner suite à ses « demandes d’indemnisation, [et] de suppression de [l’]article en ligne, considér[ant]en effet que cet article ne constitue pas une atteinte à la vie privée ».

Analyse du CDJM

✦ L’article de L’Est Républicain s’appuie sur une information provenant de l’Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté, qui « a reçu un signalement d’intoxication alimentaire collective survenue lors d’un mariage à Rougemont le 7 juin ». Il indique que « plusieurs dizaines de personnes ayant assisté à un repas de mariage auraient été victimes d’une intoxication alimentaire collective », précise le lieu et le menu du banquet de mariage, dont des produits, entrées et desserts, « faits maison », et indique que « les invités du mariage ont depuis reçu un message les renvoyant sur un questionnaire de Santé publique France » pour « renseigner les aliments ingérés durant ces 24 heures de fête et de ripaille ». Il se termine par une note qui se veut humoristique : « Selon nos informations, et cela n’étonnera personne, la lune de miel semble finie entre les mariés et le traiteur qui a géré le repas. »

Aucun nom n’est cité. L’article est accompagné d’une photo d’illustration neutre : des figurines de mariés qui décorent traditionnellement les gâteaux de mariage.

Sur le grief de non-respect de la vie privée

✦ Mme Fanny Herrmann estime que sa vie privée n’est pas respectée. Elle souligne que non seulement le nom du village où a eu lieu le banquet est indiqué, mais aussi « la liste des consommations au mariage », la salle où il s’est déroulé, et considère qu’elle a été « jetée en pâture à la vindicte populaire » et que si le journal avait « mis une photo [d’elle] avec [son] nom, cela aurait été pareil ». Elle fait référence aux commentaires publiés sous l’article qui, écrit-elle, « suspectent […] les mariés (rupture de la chaîne du froid, création de nourriture inapproprié) » : « Nous (les mariés) devenons des coupables alors que nous sommes des victimes. »

✦ Le respect de la vie privée doit conduire les journalistes à ne pas publier d’informations personnelles qui ne sont pas indispensables à la compréhension de faits. Il est à mettre en balance avec l’intérêt général d’une information.

Si une réception de mariage est un événement privé, le signalement à l’Agence régionale de santé pour cause d’intoxication collective en fait une information d’intérêt général, au moins dans la région ou le lieu concerné. S’agissant d’une intoxication alimentaire, la localisation de la salle où s’est tenu le banquet, tout comme le menu, sont des éléments factuels, utiles pour le public. En outre, ils ne permettent pas une identification formelle.

✦ Il faut noter que l’article d’origine (identique en version web et en version papier) a été modifié sur le web à – au moins – deux reprises de façon significative. Ces modifications concernent des éléments mis en avant par la requérante dans ses échanges avec L’Est Républicain puis dans sa saisine.

Le 14 juin à 12 h 38 – c’est-à-dire le jour de la publication de la version papier et le lendemain de la publication de la version web –, le journal a supprimé l’identification du lieu du banquet, ne précisant plus que « dans une salle des fête » [sic], puis, le 16 juin à 16 h 38, corrigeant la faute d’orthographe en « dans une salle des fêtes ». Ce même 14 juin, la dernière phrase de l’article – « Selon nos informations, et cela n’étonnera personne, la lune de miel semble finie entre les mariés et le traiteur qui a géré le repas »  a été supprimée.

Les commentaires qui figuraient sous l’article en ligne ont été supprimés dans la journée du 14 juin, selon le journaliste auteur de l’article et la requérante, qui a transmis au CDJM des copies d’écran de leurs échanges.

Enfin, le 26 juin à 18 h 42, l’indication des ingrédients consommés a été supprimée.

✦ Au regard de la réaction de la requérante et des commentaires désobligeants que l’article a suscité, L’Est Républicain a donc adapté son contenu dans un esprit de responsabilité éditoriale pour tenir compte du contexte et de la sensibilité locale. Si on peut comprendre que les commentaires ironiques ou désobligeants que cet article a suscités en ligne ont blessé la requérante, il n’y a pas eu d’atteinte à la vie privée.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 octobre 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de respect de la vie privée a été respectée par L’Est Républicain.

La saisine est déclarée non fondée. Cet avis a été adopté par consensus.