Avis sur la saisine n° 25-064

Adopté en réunion plénière du 22 juillet 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 16 mai 2025, M. Bastien Desteuque, agissant au nom de l’Institut national de Bitcoin en qualité de directeur général, a saisi le CDJM à propos d’une émission diffusée le 16 mai 2025 sur BFM TV, également disponible en ligne sous le titre « Faut-il protéger les entrepreneurs de la crypto ? ».

Cette saisine porte sur les déclarations du journaliste M. Frédéric Saliba, invité sur le plateau. Le requérant formule le grief d’inexactitude et note que « le journaliste Frédéric Saliba a déclaré, sans citer aucune source, que les cryptomonnaies seraient privilégiées par les narcotrafiquants pour blanchir leur argent, et que celles-ci faciliteraient ce processus ».

Recevabilité

L’émission « BFM Story Week-End » du 16 mai 2025 est présentée par Mme Roselyne Dubois. Cette journaliste est entourée en plateau de M. Maxime Cliet Ruzza, journaliste police-justice à BFMTV, ainsi que de Mme Nastasia Hadjadji, journaliste spécialisée dans l’économie numérique, auteure du livre No crypto, Comment Bitcoin a envoûté la planète (éditions Divergences), et de M. Frédéric Saliba, journaliste auteur de Cartels, Voyage au pays des narcos (éditions du Rocher). Le grief concernant les propos d’un journaliste qui s’exprime en tant que tel, la saisine est recevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste. À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

Réponse du média mis en cause

Le 30 mai 2025, le CDJM a adressé à Mme Camille Langlade, directrice des rédactions de BFM TV, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 22 juillet 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Cette émission revient sur les récents faits divers impliquant des acteurs de la cryptomonnaie, victimes d’agressions et d’enlèvements contre demandes de rançon.

Plusieurs journalistes sont présents en plateau, dont M. Frédéric Saliba. Ils analysent les mesures de protection des entrepreneurs de cryptomonnaies annoncées par le ministre de l’Intérieur et décrivent le contexte de cette forme de délinquance, comme la rapidité d’enrichissement de certains des acteurs du secteur et le manque de moyens déployés pour assurer leur sécurité alors qu’ils attirent la convoitise de milieux très pauvres.

Puis sont évoqués des liens entre l’écosystème de la cryptomonnaie et le narcotrafic. M. Saliba explique alors, à 2 min 30 s du début de la séquence : « Les chefs d’entreprise dans la crypto ont fait fortune assez rapidement, ils ne connaissent pas tous les modes de sécurité que peuvent avoir les chefs d’entreprise, d’entreprises classiques, et donc étant donné qu’ils brassent beaucoup d’argent, que la cryptomonnaie est quand même un système prisé par les narcotrafiquants, évidemment ils deviennent des cibles ».

À 13 min 38 s, Mme Roselyne Dubois dit, en questionnant M. Saliba : « Les cryptomonnaies, oui, c’est pour la rançon, mais visiblement, il y a eu des enquêtes là-dessus, c’est pour blanchir l’argent de la drogue ? » M. Saliba répond : « Évidemment. Et d’ailleurs c’est pas un hasard s’ils s’attaquent à ces hommes d’affaires dans la cryptomonnaie. C’est parce qu’ils connaissent […], ils utilisent en fait ces moyens pour blanchir de l’argent. Pourquoi ? Parce que c’est très rapide, il y a un certain anonymat. »

Sur les griefs de non-respect de l’exactitude et la véracité

➔ Le requérant estime d’abord que « le journaliste Frédéric Saliba a déclaré, sans citer aucune source, que les cryptomonnaies seraient privilégiées par les narcotrafiquants pour blanchir leur argent ».

Dans l’émission « BFM Story Week-end » qui fait l’objet de la saisine, Frédéric Saliba dit que « la cryptomonnaie est un système prisé par les narcotrafiquants ». Il ne dit pas qu’elles seraient « privilégiées » par les narcotrafiquants, donc majoritaires vis-à-vis des autres systèmes de paiement. Il dit qu’elles sont utilisées, ce que de récentes affaires tendent à confirmer (arrestation du courtier « Dark Bank », enquête visant Binance…). La récente régulation de l’utilisation des cryptomonnaies dans la loi du 13 juin 2025 qui vise à « sortir la France du piège du narcotrafic » établit implicitement un lien entre blanchiment et cryptomonnaies. Les statistiques (bien que partielles, car établies sur la base des fraudes détectées) indiquent cependant que les cryptomonnaies, assez récentes, restent minoritaires vis-à-vis des systèmes de paiement classiques.

Les cryptomonnaies sont bien « prisées », comme l’a indiqué le journaliste, mais pas « privilégiées », terme que n’a pas prononcé M. Saliba.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité n’est pas fondé.

➔ Le requérant considère ensuite comme inexacte l’affirmation de M. Saliba suivant laquelle les cryptomonnaies faciliteraient le blanchiment d’argent.

Il cite à l’appui de ce grief le National Money Laundering Risk Assessment 2024 du Trésor américain qui, écrit-il, « précise que le blanchiment via actifs virtuels est “far below fiat currency (bien inférieure à celle des monnaies fiduciaires)”» .

Les propos de M. Saliba dans l’émission sont : « Ils utilisent ces moyens pour blanchir de l’argent parce que c’est très rapide, il y a un certain anonymat, même si pas complètement. » La présentatrice, Roselyne Dubois, intervient alors pour préciser : « Même si, comme le pointait du doigt Pierre Noizat [président de Paymium, plateforme d’échange de cryptomonnaies, ndlr], il y a un côté amateur quand même : on vous retrouve, ne croyez pas que ce soit invisible. »

M. Saliba ne dit pas que les cryptomonnaies facilitent le blanchiment, mais que les trafiquants les utilisent. Des experts confirment ces propos, à l’instar de M. Olivier Fribourg, chef de la Section de la preuve numérique à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF), cité dans un article de L’Opinion du 27 janvier 2025 titré « Les cryptomonnaies, machine à blanchir des narcotrafiquants » : «  Facilité et rapidité de la transaction, pour d’importants montants et avec une anonymisation complète », avec cette réserve que « tout ce qui est fait en crypto est en open source et traçable ;  donc, même si on ne récupère pas les fonds, on peut, à partir du wallet [portefeuille, NDLR] d’un mis en cause, faire une démonstration de blanchiment ». L’ONU, dans une note diffusée au grand public (« Blanchiment d’argent par le biais de cryptomonnaies »), détaille le mécanisme du blanchiment d’argent par les cryptomonnaies.

Sur ce point, le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 22 juillet 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité a été respectée par BFM TV et par M. Frédéric Saliba.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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