Adopté en réunion plénière du 9 septembre 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 6 mai 2025, M. Ahmed Jaoui a saisi le CDJM à propos d’un article publié dans le numéro du 23 avril 2025 de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, également disponible en ligne sous le titre « Marseille : la police municipale sous ingérence ? ».
M. Jaoui, policier municipal mis en cause dans l’article de Valeurs actuelles, formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité, d’absence d’offre de réplique et de propagation de la discrimination. Il relève deux informations qu’il considère inexactes, qui évoquent ses liens supposés avec une mosquée de Marseille et une formation politique. Il estime que cet article « fait de [lui] un personnage influent de façon insidieuse et [le]dépeint comme “communautariste”, ce qui est infondé, discriminatoire et diffamatoire ». Il affirme qu’« aucun journaliste ne [l]’a contacté pour recueillir [sa]version des faits ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il veille « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés » et fait son possible « pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 9).
- Lire également la recommandation du CDJM sur le traitement des faits divers.
À propos de la recherche du contradictoire :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
À propos de la propagation de haine et de discrimination :
Réponse du média mis en cause
Le 23 mai 2025, le CDJM a adressé à M. Denis Tugdual, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, avec copie à M. Nicolas Boutin, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 9 septembre 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause, signé par M. Nicolas Boutin, est titré « Marseille : la police municipale sous ingérence ? ». Il présente, sur quatre pages, une enquête sur la situation dans la police municipale de Marseille. Le titre est suivi d’un chapô (texte introductif) : « Propos antisémites sur les réseaux sociaux, soutien partisan et intimidations. La police municipale de la cité phocéenne est-elle sous la coupe d’une bande des quartiers nord ? »
L’article explore les tensions internes et évoque des soupçons de communautarisme : « Le sujet est sensible. L’omerta plane sur la cité. “On voit une mafia se créer au sein de la police municipale”, affirme un policier. Parmi ses collègues, le clan désigné serait même surnommé la “DZ PM”, en référence à la bande de narcotrafiquants DZ Mafia. »
S’ensuit le portrait de trois personnes, membres supposés de ce « clan ». Ils sont nommément cités. Ils ont tous les trois, individuellement, saisi le CDJM. Cette saisine 25-048 a été déposée par M. Ahmed Jaoui. Les deux autres saisines sont la 25-044 déposée par M. Aomar Saoudi et la 25-045 déposée par M. Mehdi Benmakhlouf.
Ces trois saisines ont été instruites indépendamment.
Sur le grief d’inexactitude
➔ M. Ahmed Jaoui relève que l’article « affirme, en se fondant sur des propos anonymes [qu’il est] “un homme très communautariste, très porté sur la religion” et évoque une proximité avec la mosquée des Bleuets dans le viseur de la justice ». M. Jaoui affirme que « ces faits sont totalement faux » et écrit dans sa saisine : « Je n’ai aucun lien avec la mosquée des Bleuets, et je ne connais aucun responsable de ce lieu de culte. » Il indique également au CDJM que « l’article [lui]prête également une appartenance politique en affirmant [qu’il aurait] “rejoint le Printemps marseillais en 2023”, ce qui est totalement faux ».
➔ Le journaliste de Valeurs actuelles écrit :
« Ahmed Jaoui, responsable de la brigade de l’environnement, une unité ayant pour mission de lutter contre l’accumulation de déchets sauvages dans les rues [est] une autre étoile montante de la police municipale. “Il prend de plus en plus de place dans les réunions stratégiques”, rapporte un syndicaliste. “Un homme très communautariste, très porté sur la religion”, dépeint un ancien militant de droite, qui évoque une proximité avec la mosquée des Bleuets, dans le viseur de la justice. Jaoui avait quitté LR, pour qui il a été candidat sans succès aux élections départementales de 2021, et a rejoint le Printemps marseillais en 2023. »
➔ La mosquée des Bleuets, située dans les quartiers nord de Marseille, a été mise en cause à l’été 2024 pour « apologie du terrorisme » et menacée de fermeture administrative. Jugé en mars 2025 (comme le rapporte Ici Provence), un iman de cette mosquée a été condamné à six mois de prison avec sursis pour « apologie du terrorisme », décision dont il a fait appel, ce que raconte un article du Monde.
Le rôle du CDJM n’est pas de refaire l’enquête et de vérifier si M. Jaoui a ou non des liens avec cette mosquée. Les textes déontologiques auxquels il se réfère indiquent qu’un journaliste veille à « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » (devoir no 3 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite « charte de Munich »).
L’affirmation que M. Jaoui a « une proximité avec la mosquée des Bleuets », institution au cœur d’une polémique faisant l’objet d’accusations des pouvoirs publics, repose sur un seul témoignage anonyme. C’est une mise en cause grave qui vise un fonctionnaire municipal et qui n’est pas démontrée.
L’indication concernant le changement d’orientation politique de M. Jaoui n’est pas sourcée : ce n’est pourtant pas une information anodine, puisque M. Jaoui est une personnalité locale qui a été candidat sous l’étiquette Union de la droite et du centre aux élections départementales de 2021. Mais M. Boutin n’apporte aucun élément factuel qui lui permettrait d’associer M. Jaoui au Printemps marseillais, alliance qui a présenté une liste d’union de la gauche aux municipales de 2020.
➔ Sur ces deux points, le journaliste ne propose aucune des « réserves qui s’imposent ». Le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité de l’information est fondé.
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
M. Jaoui écrit dans sa saisine : « Aucun journaliste ne m’a contacté pour recueillir ma version des faits. » Il n’est pas indiqué dans l’article que son auteur l’aurait contacté en vain ou qu’il aurait refusé de répondre. Concernant un autre policier cité dans l’article, M. Boutin écrit : « Sollicité, Aomar Sadoudi a écourté notre appel » (lire l’avis 25-044 du CDJM).
Au regard des mises en cause de M. Jaoui, qui portent atteinte à sa réputation et peuvent lui causer un préjudice professionnel, lui faire une offre de réplique était une démarche qui s’imposait déontologiquement. Le grief est fondé.
Sur le grief de propragation de discrimination
M. Jaoui dénonce une « construction d’un récit communautaire et idéologique basé sur des témoignages anonymes ». Selon lui, « l’article [l’]accuse indirectement de pratiques communautaires, de liens religieux supposés, et de proximité avec des lieux de culte dans le viseur de la justice sans aucune preuve. Il fait de [lui] un personnage influent de façon insidieuse et [le] dépeint comme ’communautariste’, ce qui est infondé, discriminatoire et diffamatoire ».
Le fait d’évoquer sans preuve (lire ci-dessus) une proximité avec la mosquée des Bleuets dont l’imam a été poursuivi pour apologie du terrorisme peut être considéré effectivement comme diffamatoire et l’expression, non démontrée, de « communautariste, très porté sur la religion » comme discriminatoire.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 9 septembre 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité, d’offre de réplique et de non-propagation de discriminations n’ont pas été respectées.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.