Avis sur la saisine n° 25-035

Adopté en réunion plénière du 14 octobre 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 16 avril 2025, Mme Bérénice Teneur a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 24 mars 2025 dans l’édition de l’Essonne du Parisien et titré « Orsay : une femme de 78 ans retrouvée morte dans sa chambre après l’incendie de sa maison ».

Mme Bérénice Teneur est la fille de la victime de l’incendie. Elle met en cause le portrait qui est fait de sa mère pour non-respect de l’exactitude et de la véracité et pour atteinte à la dignité humaine et à la vie privée. Selon elle, « cet article contient des affirmations prématurées et offensantes à l’encontre de [sa] mère présumée décédée dans l’incendie du 23 mars 2025 à Orsay, alors même que l’enquête et l’autopsie sont toujours en cours à ce jour et que l’identification du corps n’a pas encore été confirmée officiellement ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos du respect de la vie privée et de la dignité :

  • Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM : « Traitement du fait divers : préconisations ».

Réponse du média mis en cause

Le 29 avril 2025, le CDJM a adressé à M. Nicolas Charbonneau, directeur de la rédaction du Parisien, avec copie à M. Julien Lec’hvien, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 10 octobre 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

✦ L’article du Parisien en cause est le récit d’un incendie qui a ravagé un pavillon à Orsay (Essonne). Un des occupants a tenté sans succès de pénétrer dans une pièce où les pompiers, qu’il a alertés, ont fini par retrouver le corps sans vie de la propriétaire du pavillon. L’auteur précise qu’une enquête est ouverte et que « la piste accidentelle est fortement privilégiée ». Il ajoute que « d’après plusieurs témoignages, le comportement de la défunte pourrait être à l’origine du départ du feu ». Sur la base de propos recueillis sur les lieux, il dresse un bref portrait de la défunte, « décrite par des proches comme une grosse fumeuse, alcoolique et dépressive » qui « fumait dans son lit et avait déjà provoqué par le passé des départs de feu dans sa maison, de manière accidentelle mais régulière » et qui aurait été, « la veille du drame, alcoolisée du matin au soir ».

Sur le grief d’inexactitude

✦ La requérante, Mme Bérénice Teneur, estime que l’article du Parisien cite des « propos, non attribués, non vérifiés »  concernant sa mère, « notamment [qu’elle aurait été] une grosse fumeuse, alcoolique et dépressive ».

✦ L’article reste prudent sur la cause effective de l’incendie. Les faits rapportés s’appuient sur des sources, notamment policières, ou des propos recueillis par le journaliste. Ainsi, il écrit que « d’après plusieurs témoignages, le comportement de la défunte pourrait être à l’origine du départ de feu », puis qu’« un témoin a ainsi confirmé qu’elle fumait dans son lit et avait déjà provoqué par le passé des départs de feu dans sa maison, de manière accidentelle mais régulière ». Il cite « des proches » qui l’ont « décrite comme une grosse fumeuse, alcoolique et dépressive ». Ces sources ne sont pas identifiées nommément. Mais anonymiser une source pour la protéger n’est pas une faute déontologique.

La requérante conteste cette présentation qui est faite de sa mère, ce qui se conçoit aisément vu les termes qui la caractérisent. Cependant, elle ne démontre pas que ces affirmations sont inexactes.

Il n’y a pas atteinte à l’exactitude et à la véracité.

Sur le grief d’atteinte à la vie privée et à la dignité

✦ Mme Teneur considère que « la personne décrite dans l’article est présentée avec des détails très intimes et stigmatisants sur ses prétendues addictions et troubles psychiques, alors même qu’elle n’est pas nommée, mais aisément reconnaissable localement ».

✦ On note que le nom de la rue est indiqué, ainsi que le type de bâtiment touché par l’incendie, le genre et l’âge de la victime. Tous ces éléments permettent effectivement une identification par l’entourage immédiat (proches, voisins). Cette identification possible, associée à la restitution de témoignages recueillis présentant la victime en termes dévalorisants – « fumeuse, alcoolique et dépressive » – porte atteinte à sa vie privée.

L’atteinte à la vie privée ne peut concerner une personne décédée. En revanche, on peut attendre d’un traitement journalistique une retenue quand les faits ne sont pas solidement établis et qu’ils qualifient péjorativement une personne défunte afin d’éviter d’attenter à la dignité de cette personne et, dans le cas d’espèce, d’affecter ses proches.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 octobre 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par Le Parisien mais que celle de respect de la vie privée et de la dignité l’a été.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.