Avis sur la saisine n° 25-031

Adopté en réunion plénière du 8 juillet 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 10 avril 2025, M. Aymeric Thillaye du Boullay, agissant au nom de l’association Bloom en qualité de responsable juridique, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 3 avril 2025 par le site spécialisé Le Marin sur son site, sous le titre : « “Cela va trop loin, ça suffit cet acharnement !” : face aux attaques de Bloom, les pêcheurs à bout ».

L’association Bloom invoque deux griefs dans sa saisine : non-respect de l’exactitude et de la véracité, et absence d’offre de réplique. Elle estime que cet article « diffuse des propos rapportés particulièrement choquants d’une personne présentée comme affiliée à Bloom » et comprend des « contre-vérités non modérées ». Elle considère par ailleurs que « le point de vue exposé omet totalement celui de Bloom et traduit un traitement unilatéral du sujet ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).

À propos du respect de l’offre de réplique :

Réponse du média mis en cause

Le 9 mai 2025, le CDJM a adressé à Mme Fanette Bon, rédactrice en chef du Marin, avec copie à Mme Mélanie Chartier, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 8 juillet 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause du Marin, titre spécialisé dans l’économie maritime du groupe Ouest-France, fait suite à plusieurs autres qu’il a publiés sur le même sujet : la diffusion par l’ONG Bloom d’une « liste rouge » de 4 500 navires jugés « destructeurs » pour les fonds marins des aires marines protégées (AMP). Titré « “Cela va trop loin, ça suffit cet acharnement !” : face aux attaques de Bloom, les pêcheurs à bout », cet article comporte un chapô (texte introductif) qui résume son propos : montrer que « l’ensemble de la filière s’insurge et témoigne sa solidarité aux pêcheurs ciblés ».

Le texte reproduit les témoignages de deux patrons pêcheurs dont les navires figurent dans la liste publiée par Bloom. Ils ressentent « de la colère et un sentiment d’injustice » : « pourtant habitués des attaques de Bloom, les deux hommes se disent “sonnés” par la violence de la publication ». Les citations des deux pêcheurs retenues sont une contre-argumentation au rapport de l’association Bloom, où les témoins « pointent également une méconnaissance technique évidente » et dénoncent un « extrémisme écologique dangereux » qui veut « arrêter la pêche, c’est tout ».

L’article se termine par un renvoi vers une déclaration de la ministre de la Mer, Mme Agnès Pannier-Runacher, qui affirme que « la méthode utilisée consistant à jeter en pâture nos pêcheurs en publiant une liste rouge de leurs navires, est inadmissible », et par la mention d’un communiqué du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Pays de la Loire (Corepem), qui écrit être « sidéré par le niveau de violence des attaques à l’encontre des pêcheurs professionnels ».

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Aymeric Thillaye du Boullay, au nom de l’association Bloom, dénonce d’abord « une reprise d’informations non vérifiables préjudiciables à Bloom », en l’occurrence un passage de l’article où un des pêcheurs interrogés, M. Romain Jouan, « [confie] avoir été interpellé violemment [sur les réseaux sociaux] par un militant adhérant aux idées de Bloom. “Il m’a demandé si j’avais pensé au suicide, m’a écrit que ma famille serait bien mieux sans moi… On n’est pas prêts à recevoir ça !”, soupire le jeune pêcheur qui est allé déposer plainte au commissariat. »

M. Thillaye du Boullay indique que « Bloom condamne fermement de tels propos ». Il déplore que « bien qu’aucun lien réel ne puisse être établi entre cette personne et Bloom, l’article l’évoque sans la moindre précaution dans un contexte de forte tension sur le sujet traité ».

L’article ne dit pas que l’association Bloom est responsable de ces propos, ou qu’il y aurait un lien entre elle et l’auteur de ce message, qui est cité par M. Jouan pour illustrer ce qu’il décrit comme « le déferlement et le lynchage auquel on assiste sur les réseaux sociaux ». Comme l’écrit l’association requérante, cette citation montre qu’il y a bien un « contexte de forte tension sur le sujet traité ».

➔ L’association Bloom reproche ensuite à l’article du Marin de présenter « des contre-vérités non modérées […] alors que les travaux de Bloom s’appuient sur des analyses scientifiques reconnues qui attestent des impacts de la pêche et du chalut sur le milieu et qu’un programme dédié de recherche porte précisément sur les enjeux de transition du secteur de la pêche, l’article en cause se limite à indiquer que “L’ONG, selon eux, ne propose aucune alternative fiable au chalut. Pourquoi ne mettent-ils pas toute leur énergie à venir trouver des solutions avec nous ? En fait, ils veulent arrêter la pêche, c’est tout”. La véracité des faits reportés en ce sens n’est donc tout simplement pas établie. »

La phrase citée par l’association requérante est une citation d’un marin pêcheur, pas une affirmation de la journaliste auteure de l’article. Or l’ensemble de l’article mis en cause rapporte les propos de deux pêcheurs, donc uniquement les accusations et reproches faits, par eux, à l’association Bloom. Les précautions de forme sont prises : toutes les citations sont entre guillemets, la mention « selon eux » vient souligner que les propos sont des opinions rapportées par le journal.

L’objet de l’article est de donner la parole à des patrons pêcheurs dont les navires figurent sur la « liste rouge » établie par Bloom. Le Marin n’a pas publié d’inexactitudes ou de contre-vérités, mais a rapporté des propos de personnes identifiées et directement concernées exprimant des opinions et des jugements, et qui, comme tels, relèvent de la liberté d’opinion. Ces propos ont bien été tenus ; il n’y a donc pas d’inexactitude dans leur restitution.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

➔ L’association requérante fonde ce grief sur le fait « le positionnement et la réaction de Bloom sont totalement absents et [que] Bloom n’a jamais été contacté pour être entendu à ce sujet avant la publication de l’article en cause ». Elle souligne également qu’« alors même que les sources et rapports détaillés de Bloom sont librement accessibles, l’article litigieux atteste d’une totale absence de prise en compte de ces éléments, occultant donc doublement la position de Bloom ».

➔ Le CDJM constate que la totalité de l’article est une remise en cause de l’ONG Bloom, de la légitimité de sa « liste rouge », de ses méthodes et de ses intentions. Or, à aucun moment, l’ONG n’est interrogée en retour, ni son point de vue exprimé, ne serait-ce qu’en citant ses prises de positions, exposées et consultables par tous sur son site internet. Il ne lui est pas donné non plus l’occasion de s’exprimer sur le contenu du message d’un supposé partisan de Bloom cité par un des pêcheurs.

Il note que la journaliste du Marin ne s’est pas, par exemple, enquise auprès de Bloom de la méthode utilisée pour constituer sa « liste rouge », ni ne lui a donné la possibilité de répondre aux critiques et opinions formulées par les deux pêcheurs interrogés.

Ce traitement du sujet sans contrepoint est unilatéral et ne permet pas une bonne information du lecteur. La publication, une semaine plus tard, d’un article du Marin consacré à un communiqué diffusé par Bloom ne permet pas de remédier à l’absence d’offre de réplique au sein de l’article objet de la saisine.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 8 juillet 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité a été respectée par Le Marin, mais que celle d’offre de réplique ne l’a pas été.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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