Avis sur la saisine n° 25-024

Adopté en réunion plénière du 8 juillet 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 5 mars 2025, M. Bernard Paysé a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 1er mars 2025 sur le site Jeuxvideo.com et titré « Les jeunes de la génération Z rendraient Steve Jobs fou : ils considèrent qu’arriver dix minutes en retard au travail est une preuve de ponctualité ».

M. Bernard Paysé estime que l’illustration de cet article est susceptible d’enfreindre l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité, parce qu’elle est « une image d’IA réaliste utilisée sans mention particulière permettant d’identifier clairement qu’il s’agit de cela ». Il considère également que cette image porte atteinte à la dignité humaine en montrant « une personne décédée représentée de manière colérique et donc dégradante ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Journalisme et intelligence artificielle : les bonnes pratiques ».

À propos du respect de la dignité humaine :

  • Il « respecte la dignité́ des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « respectera la dignité́ des personnes citées et/ou représentées », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 8).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Traitement du fait divers : préconisations ».

Réponse du média mis en cause

Le 14 mars 2025, le CDJM a adressé à M. Frédéric Fau, rédacteur en chef de Jeuxvideo.com, avec copie à M. Matthias Kulanhk, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 19 mars 2025, M. Frédéric Fau a répondu que le journal avait « ajouté une mention sur l’image que vous avez signalée et [allait] mettre en place un workflow pour faire en sorte qu’il n’y ait pas d’oublis de ce genre dans le futur ». La mention « Image générée par IA », qui n’apparaissait pas dans la version capturée par le CDJM le 5 mars à 18 h 13, est depuis effectivement visible.

Analyse du CDJM

➔ L’article de Jeuxvideo.com analyse la portée des résultats d’une étude relayée par le magazine économique américain Fortune, selon laquelle « 46 % des jeunes estiment qu’arriver dix minutes en retard ne constitue pas un retard ». Il choisit de personnaliser l’opposition relevée par l’étude et Fortune entre « les employés de la génération Z [et] les patrons baby-boomers » en titrant « Les jeunes de la génération Z [nés entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000, ndlr] rendraient Steve Jobs fou », idée qui est reprise dans le chapô (texte introductif) :

« Steve Jobs, connu pour son exigence et son obsession du temps, aurait-il pu travailler avec la génération Z ? Rien n’est moins sûr. Alors que le cofondateur d’Apple voyait chaque minute comme précieuse, une nouvelle mentalité s’installe chez les plus jeunes : pour près de la moitié d’entre eux, arriver dix minutes en retard ne serait même pas un retard. Une évolution qui ne manquerait pas de faire bondir l’homme qui n’hésitait pas à débuter une réunion sans attendre les retardataires. »

L’argument est réutilisé quatre fois dans l’article qui analyse les différentes perceptions de la ponctualité entre générations :

  • « Si Steve Jobs était encore en vie, il aurait probablement bien du mal à composer avec la perception actuelle de la ponctualité chez la génération Z » ;
  • « Steve Jobs, cofondateur d’Apple et dirigeant de l’entreprise pendant plus de 15 ans, incarnait une approche radicalement opposée à cette souplesse horaire » ;
  • « L’exigence de Steve Jobs en matière de ponctualité n’était pas une exception » ;
  • « Le contraste entre la mentalité de Steve Jobs et celle des jeunes générations illustre une véritable fracture générationnelle en matière de gestion du temps ».

L’illustration, sur toute la largeur de la page, montre un homme visiblement très en colère. On reconnait M. Steve Jobs à sa calvitie, ses lunettes métalliques et son pull noir à col roulé. Il a les sourcils froncés, le regard perçant braqué sur un jeune homme à peine visible de dos au premier plan, sa bouche grande ouverte semble articuler des cris ou des insultes.

Sur le grief de non-respect de l’exactitude

➔ Pour M. Bernard Paysé, requérant, « une image d’IA réaliste est utilisée sans mention particulière permettant d’identifier clairement qu’il s’agit de cela […]. Cela peut être considéré comme de la désinformation et au vu de la posture colérique et très désavantageuse, peut même être considéré comme de la diffamation ou de l’atteinte à la mémoire ».

➔ Cette image illustre non l’angle de l’article – un sondage sur la perception de la ponctualité par la génération Z –, mais l’accroche rédactionnelle du rédacteur qui a choisi de se demander comment réagirait M. Steve Jobs. À l’évidence, il ne s’agit pas d’une caricature, création d’un artiste, comme le serait un dessin de presse. Le lecteur pouvait percevoir cette image générée par l’IA, et non identifiée comme telle, comme une photo de M. Jobs, le cofondateur de la société Apple, le visage déformé par la colère. Or cette image de M. Jobs présentée ne montre aucun moment de sa vie daté et authentifié. Elle est un faux, dont la publication est antinomique avec la notion d’information.

S’il prend acte de l’ajout par la rédaction de Jeuxvideo.com, alerté par son courriel du 4 mars 2025, d’une mention indiquant « Image générée par IA », le CDJM rappelle que la publication d’un faux est une faute déontologique majeure. Il ne suffit pas d’ajouter, en légende ou en commentaire, que la photo diffusée est une image synthétique ou de mentionner, en crédit, l’outil qui a servi à la fabriquer : cette information peut en effet échapper à une part importante des lecteurs ou téléspectateurs.

Le CDJM considère que le respect de l’exactitude doit conduire les rédactions à privilégier le réel, en l’occurrence le travail des photojournalistes et à ne pas utiliser d’outils d’IA pour générer des images, des sons ou des vidéos dont le réalisme risque de tromper le public ou de le laisser dans l’ambiguïté.

Le grief est fondé.

Sur le grief de non-respect de la dignité humaine

➔ M. Bernard Paysé estime que cette image porte atteinte à la dignité humaine car « il s’agit d’une personne décédée représentée de manière colérique et donc dégradante ».

Le CDJM considère que montrer quelqu’un en colère, y compris après son décès, ne constitue pas a priori une atteinte à la dignité. Il constate que cette image ne montre pas M. Jobs dans une situation de souffrance, d’asservissement ou de dégradation de la personne, ou victime d’actes dégradants ou inhumains qui pourraient le rabaisser au rang de chose.

Le grief n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 8 juillet 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par Jeuxvideo.com, et celle de respect de la dignité humaine n’a pas été enfreinte.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté à l’issue d’un vote par 19 voix contre 6.

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