Avis sur la saisine n° 25-020

Adopté en réunion plénière du 10 juin 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 28 février 2025, M. Alexandre Walnier a saisi le CDJM à propos d’une séquence diffusée dans le journal de 9 h de France Culture le 22 février 2025 consacrée, à l’occasion du Salon de l’agriculture, à des pratiques qualifiées d’ésotériques dans le domaine de l’agro-écologie, dont la biodynamie.

M. Walnier estime inexact d’écrire que « l’anthroposophie est une secte », en se référant notamment « aux informations fournies par la Miviludes ». Il considère en outre que la façon dont est présentée une personne interrogée omet une information essentielle sur les engagements de celle-ci.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 17 mars 2025, le CDJM a adressé à Mme Clotilde Dumetz, directrice de la rédaction de France Culture, avec copies à Mmes Célia Gueuti et Jeanne Cérin, journalistes, et à M. Nicolas Balu, rédacteur en chef des éditions du week-end, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.

À la date du 10 juin 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La séquence en cause du journal de 9 h de France Culture du samedi 22 février 2025, d’une durée de 1 min 37 s, est diffusée à l’occasion du Salon de l’agriculture. La présentatrice du journal indique que « cette année encore l’agro-écologie occupe une place particulière [au Salon de l’agriculture]. Mais le retour aux bonnes pratiques paysannes ouvre aussi parfois la porte à des méthodes pseudo scientifiques et parfois même ésotériques ».

La journaliste, Mme Célia Gueuti, présente alors son reportage. Elle évoque d’abord la géobiologie, « une discipline pseudo scientifique qui analyse les courants électriques qui circulent dans la terre et dérangent les élevages ». Puis elle dit : « Sans preuves scientifiques, les chambres d’agriculture semblent considérer que ces pratiques ne font, au moins, pas de mal. C’est aussi le cas de la Miviludes, l’observatoire des dérives sectaires. Elle garde tout de même un œil sur certains courants, comme la biodynamie, très présente dans le vin et liée à la secte anthroposophe. Un argument auquel Cyril Gambari, docteur en microbiologie et lanceur d’alerte, ne croit pas. »

Suit un extrait d’une interview de M. Gambari, qui explique que « c’est bien plus dangereux » de suivre les prescriptions de la médecine anthroposophique pour soigner un cancer, mais que lorsqu’on « achète un vin estampillé Demeter ou Biodyvin, [on] finance quand même le mouvement ». La journaliste reprend en disant « que le marketing fonctionne, même si le consommateur ne sait pas ce qu’il y a derrière, malgré le cahier des charges contraignant qui demande, par exemple, l’enfouissement de cornes de vaches ». Elle conclut : « 450 domaines viticoles se sont labellisés biodynamique dans les dix dernières années. »

Sur le grief d’inexactitude concernant l’expression “secte anthroposophique”

➔ M. Walnier estime que « parler de “secte anthroposophe” constitue une erreur factuelle et une présentation biaisée. Le requérant affirme que « l’association établie par la journaliste entre « la biodynamie » et « la secte anthroposophe » est ainsi « trompeuse et ne repose sur aucun fondement. »

Si la notion de « secte anthroposophe » est inexacte, cela exclut-il de mentionner tout lien entre l’anthroposophie et la biodynamie ? Plusieurs enquêtes ont pourtant démontré ce lien (ici), et l’association qui en fait la promotion en France, le Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique (MABD) l’indique. De même que le rapport 2024 de la Miviludes l’évoque (page 104), en ces termes : « L’agriculture biodynamique, également appelée biodynamie, est un système de production agricole reposant en partie sur des concepts ésotériques (influence de la Lune et d’astres sur les cultures, “forces cosmiques”, de la “vie et de l’astral”, volonté de “réenchanter” l’agriculture) présentés lors d’une série de conférences données par Rudolf Steiner en 1924.»`

On ne peut donc pas dire que le rapprochement entre la biodynamie et l’anthroposophie « ne repose sur aucun fondement ».

➔ Le CDJM observe que depuis 2005, il n’y a plus en France de liste des mouvements sectaires. La dernière en date se trouve dans un rapport d’une commission d’enquête parlementaire en 1995, et l’anthroposophie n’y figurait pas (mais elle était citée dans un autre rapport de 1999 sur « les sectes et l’argent »).

Il note que le rapport 2022 de la Miviludes estime qu’il y a des risques de dérives sectaires dans les structures liées à l’anthroposophie dans les domaines thérapeutique et scolaire, mais n’affirme pas qu’elles sont avérées.

Le rapport de la Miviludes 2022-2024 publié le 8 avril 2025 présente l’anthroposophie comme une doctrine spirituelle développée par l’Autrichien Rudolf Steiner, « intégrant des éléments du Nouveau Testament, de l’occultisme occidental, ainsi que des concepts tels que le karma et la réincarnation. Ce courant, structuré autour de la Société anthroposophique universelle, et dont le siège, le “Goetheanum”, est situé en Suisse, propose une vision du monde articulée autour de la lutte entre trois “forces cosmiques” : Lucifer, Ahriman et le Christ. L’anthroposophie a influencé divers secteurs de la société. » Ce rapport indique, page 103, que « des signalements et demandes d’informations ont été adressés à la Miviludes concernant les écoles Steiner-Waldorf ». Il ne conclut pas non plus à des dérives sectaires avérées.

Le CDJM considère que parler de « secte anthroposophe » pour décrire ce mouvement est inexact.

Sur le grief d’inexactitude concernant le lien entre l’anthroposophie et la biodynamie

➔ Le requérant affirme que « l’association établie par la journaliste entre “la biodynamie” et “la secte anthroposophe” est ainsi trompeuse et ne repose sur aucun fondement ».

Plusieurs enquêtes ont pourtant démontré ce lien, comme celle parue dans Le Monde en 2021, et l’association qui en fait la promotion en France, le Mouvement de l’agriculture bio-dynamique (MABD), l’indique sur son site. De même, le rapport 2024 de la Miviludes l’évoque (page 104) en ces termes : « L’agriculture biodynamique, également appelée biodynamie, est un système de production agricole reposant en partie sur des concepts ésotériques (influence de la Lune et d’astres sur les cultures, “forces cosmiques”, de la “vie et de l’astral”, volonté de “réenchanter” l’agriculture) présentés lors d’une série de conférences données par Rudolf Steiner en 1924. »

On ne peut pas dire que le rapprochement que fait la journaliste entre la biodynamie et la pensée anthroposophique « ne repose sur aucun fondement ».

Sur le grief d’omission d’une information essentielle dans la présentation d’un intervenant

➔ M. Walnier affirme que « France Culture ne présente pas C. Gambari de manière correcte ». Il estime que la journaliste omet une information essentielle concernant M. Cyril Gambari. Il se réfère à l’avis 23-130 du 11 juin 2024 du CDJM, qu’il avait saisi sur la présentation de M. Gambari dans un reportage télévisé et qui concluait : « [Quand] l’émission “Vrai ou faux” présente l’un des experts – M. Cyril Gambari – comme “docteur en microbiologie, enseignant en lycée agricole” sur un bandeau incrusté à l’écran au moment où celui-ci s’exprime, elle omet d’indiquer que ce dernier est un militant actif notoirement opposé (sur les réseaux sociaux et dans les médias) à l’agriculture biodynamique et à l’anthroposophie. » 

➔ La journaliste de France Culture a présenté M. Gambari comme « docteur en microbiologie et lanceur d’alerte ». Il est effectivement titulaire d’un doctorat en microbiologie et enseigne dans un lycée professionnel agricole. Il est engagé dans la critique de la biodynamie, dont les préconisations sont loin de faire consensus dans la communauté scientifique. Il tient un blog sur ce thème et intervient régulièrement sur les réseaux sociaux comme LinkedIn, X, Instagram et Bluesky. La présentation de M. Gambari sur France Culture – « docteur en microbiologie et lanceur d’alerte » – introduit la notion de lanceur d’alerte, qui désigne quiconque rend public des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. Ces informations doivent être de bonne foi, et c’est ce qui suit l’alerte qui déterminera si elles sont avérées. Dire que M. Gambari est un lanceur d’alerte revient à donner une indication au public sur sa qualité de critique de la biodynamie. Le grief n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 juin 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par France Culture pour un des trois points soulevés par le requérant, et qu’elle a été respectée pour les deux autres.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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