Avis sur la saisine n° 25-010

Adopté en réunion plénière du 10 juin 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 5 février 2025, M. Jean-Christophe Klein, agissant en tant que président du groupe Primavista, détenteur de Babyvista, a saisi le CDJM à propos d’un reportage diffusé sur France 2 le 2 janvier 2025 dans le « JT de 20 h » sous le titre « Maternités : des photos au forceps » et publié sur le site de Franceinfo le même jour sous le titre « Maternité : le business fructueux et parfois malhonnête des photos de bébés ».

M. Jean-Christophe Klein saisit le CDJM pour non-respect de l’exactitude et de la véracité et pour absence d’offre de réplique. Il cite cinq passages du reportage qu’il estime inexacts ou relevant d’accusations sans preuve. Il affirme également que son interview, qui figure dans le reportage, a « eu lieu le 3 juin 2024, plus de six mois avant la diffusion du reportage, et sans [qu’il soit interrogé] sur la seule salariée interviewée, ce qui n’a pas autorisé un commentaire et une critique équitable. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos du respect de l’offre de réplique :

  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).

Réponse du média mis en cause

Le 19 février 2025, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copies à Mmes Agnès Girault-Carlier, journaliste, et Elsa Pallot, rédactrice en chef du « JT de 20 h » de France 2, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 18 mars 2025, Mme Sylvie Courbarien Le Gall, directrice juridique de France Télévisions, a répondu au CDJM en observant que « les griefs adressés par M. Jean-Christophe Klein ne relèvent pas seulement de manquements déontologiques mais pourraient également relever de qualifications pénales ou civiles ». En conséquence, et « afin de pouvoir réserver s’il y a lieu l’ensemble de ses arguments aux juridictions pénales ou civiles et ne pas disposer d’avis qui pourraient lui être ensuite opposables, France Télévisions ne souhaite pas répondre à la demande d’explication du CDJM ».

Analyse du CDJM

➔ Le reportage de France 2 en cause, d’une durée de 5 min 40 s, est consacré à la photographie portrait de nouveau-nés, un « business proposé dans une maternité sur deux en France », dit en commentaire la journaliste, Mme Agnès Girault-Carlier. Le sujet insiste sur les dérives de cette activité, comme, selon le commentaire off, la « vente forcée, [la] pression morale et à la fin une facture salée pour certains parents ». Deux témoins, une jeune maman et une photographe qui a travaillé pour la société Babyvista, mettent en cause cette société dans deux séquences d’une durée totale de 3 min 8 s, qui comprend une allusion sur les avis en ligne concernant Babyvista, « une majorité de positifs mais tout de même un quart de négatifs ».

Suit une séquence de 58 s, au cours de laquelle M. Klein, directeur du groupe qui détient Babyvista, dément fermement l’existence des pratiques décrites par la mère de famille ou son ancienne employée. Il admet qu’il puisse y avoir des dérapages, comme « insister lorsque le client souhaite réfléchir, comme tout commercial qui cherche à vendre » et affirme avoir « diligenté une enquête sur tous les avis négatifs et les plaintes au service client ». En commentaire, la journaliste ajoute que « trois commerciaux ont été licenciés par Babyvidsta “pour non-respect de la charte éthique ».

Le reportage se termine par une séquence tournée dans un hôpital de la région parisienne, où une photographe d’une autre société, Bébé Zoom, est montrée au travail comme contre-exemple des pratiques dénoncées dans la première partie, et où le directeur de l’établissement explique que les rentrées financières que ces sociétés apportent permettent des investissements pour améliorer l’accueil des familles.

Sur le grief d’accusations sans preuve

➔ Le groupe Primavista écrit tout d’abord que « le témoignage d’une cliente (à partir de 23 s) qui a accouché il y a plus d’un an (et non sept mois) est diffusé, exposant qu’un contentieux est en cours avec Babyvista, alors que sa réclamation a été immédiatement traitée et qu’un accord définitif avait été conclu à la date de diffusion et même de l’interview de M. Klein ».

Le fait qu’il y ait eu un contentieux n’est pas contesté. Le reportage montre que Babyvista reconnaît des manquements et que ce contentieux est en voie de règlement au moment de l’interview de la mère de famille. Il n’y a pas sur ce point d’accusations sans fondement, mais la description d’un litige qui a été réglé.

➔ Primavista note ensuite que « des copies d’écran d’un site d’avis (à partir de 2 min 23 s) datant de mai 2024, catégorisant Babyvista comme “moyen” (note de 3,3) sont diffusées, alors qu’en janvier 2025, date du reportage, Babyvista est catégorisée comme “excellent” (note de 4,3) ».

La copie d’écran du site Trustpilot montrée dans le reportage montre bien une note moyenne de 3,3 concernant Babyvista. Mais l’attention du public est orientée vers la répartition des notes. Le commentaire indique « ici par exemple sur plus de 2 000 commentaires, une majorité de positifs » et les lignes indiquant que le vote « 5 étoiles » représente 44 % des avis et celui « 4 étoiles » 16 % sont soulignées par un effet sur la vidéo. Le commentaire poursuit : « … mais tout de même, près d’un quart négatifs » et la dernière ligne où on voit « 1 étoile 23 % » est à son tour soulignée par un effet sur la vidéo.

Ces avis existent bien. Il n’y a donc pas non plus d’accusations sans fondement. D’autant que le requérant ne conteste pas la réalité de ces avis mais la date de la capture d’écran. On peut par ailleurs penser que ce qui sera retenu, c’est moins la note moyenne visible pendant une seconde et sur laquelle son attention n’est pas attirée, mais davantage le fait que les avis négatifs représentent un quart des avis – et donc que 75 % d’entre eux sont positifs.

➔ M. Klein considère que « le reportage dénonce des “prix hors norme”, “jugés exorbitants” sans élément de comparaison et de manière erronée alors que les prix pratiqués sont ceux du secteur (photographie professionnelle de naissance) ».

L’appréciation « hors norme » ou « jugés exorbitants » relève d’un choix rédactionnel de la journaliste, qui découle des prix annoncés (plus de 700 euros). Il ne s’agit donc pas d’une accusation sans preuve, quand bien même des éléments de comparaison auraient apporté un plus évident à la démonstration.

➔ Enfin le requérant affirme que « le reportage soutient que Babyvista “impose la vente” (à partir de 4 min 34 s), avant de présenter son concurrent Bébé Zoom, nommément identifié par un zoom sur la marque (4 min 56 s) et un bandeau (5 min), comme un contre-exemple, en vantant ses pratiques et en à les opposant à celle des Babyvista, sans fondement et contrairement aux avis négatifs sur la Toile ».

M. Klein note par ailleurs que l’expression « ventes forcées » qui est, souligne-t-il, « une qualification pénale est évoquée à quatre reprises de manière péremptoire alors qu’aucune condamnation ni aucune plainte n’a jamais été portée contre Babyvista malgré divers contrôles de DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes , NDLR] ».

L’expression « vente forcée » est employée une première fois dans l’introduction du reportage, dans laquelle la journaliste Mme Girault-Carlier dit : « Derrière ces jolis clichés se cache parfois une réalité moins rose : ventes forcées, pression morale, et à la fin une facture salée pour certains parents. […] Qui sont ces sociétés qui vous promettent des photos inoubliables mais au tarif jugé exorbitant ? » La phrase de la journaliste vise globalement l’industrie en cause et pas spécifiquement la société de Babyvista.

Plus loin, le commentaire utilise à nouveau cette expression, mais la journaliste indique bien que ce sont les mots d’une maman, en disant : « […] victime d’une vente forcée, selon elle, la jeune femme ouvre une réclamation ». La société Babyvista n’est pas citée.

La troisième occurrence de l’expression intervient lors de l’échange téléphonique entre la mère et une conseillère qui, dit le commentaire, « reconnaît les abus commis par la vendeuse ». Cette conversation, dont la journaliste est témoin, est enregistrée. On entend clairement la conseillère, qui propose un remboursement de certaines prestations qui auraient dû être offertes, qualifier la pratique de sa collègue commerciale de « vente forcée ».

La quatrième occurrence de l’expression intervient lorsque le reportage montre des avis en ligne à propos de Babyvista : une voix off masculine dit « vente forcée » tandis que ces mots sont soulignés sur l’écran filmé d’un ordinateur.

L’expression « impos[e] la vente » est un choix rédactionnel de la journaliste Mme Girault-Carlier, fondé sur des récits de témoins dont certains utilisent l’expression « vente forcée » et sur les propos de M. Klein qui concède que des employés peuvent « insister lorsque le client souhaite réfléchir, comme tout commercial qui cherche à vendre » et qui a, selon la journaliste, licencié trois commerciaux pour non-respect de la charte éthique. Elle n’est donc pas sans preuve.

La séquence avec la photographe de Bébé Zoom crée effectivement un effet de contre-exemple dont on peut comprendre qu’il suscite la réaction du requérant, mais qui ne constitue pas une faute déontologique.

Le grief d’accusation sans preuve est non fondé.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

➔ À l’appui du grief d’absence d’offre de réplique, M. Klein cite « l’accusation de “pression morale”, “burn out” » qui, écrit-il « repose sur le témoignage d’une unique salariée licenciée sur 300 employés ». Il estime qu’alors « la journaliste lui souffle qu’elle a été victime de “pressions”. » Il affirme également que son interview qui figure dans le reportage a « eu lieu le 3 juin 2024, plus de six mois avant la diffusion du reportage, et sans [qu’il soit interrogé] sur la seule salariée interviewée, ce qui n’a pas autorisé un commentaire et une critique équitable ».

➔ La séquence tournée à Pau avec une photographe ancienne salariée de Babyvista commence par des images de celle-ci que la journaliste commente ainsi :

« À Pau, cette ancienne employée dénonce quant à elle des méthodes agressives, une pression de son employeur, qui l’ont menée au burn out. Après deux ans de CDI, elle dit craquer face aux objectifs chiffrés qu’on lui impose : au moins 60 % de naissances à photographier par mois, dans la maternité où elle travaillait. »

La photographe, filmée chez elle, dit alors : « On était vraiment tous mis dans le même panier, on recevait les mêmes menaces… si je puis dire… » On entend hors champ la journaliste demander: « Des pressions ? », puis la photographe poursuit : « Des pressions. Ouais, pour moi c’est juste de la pression. Après voilà… ils ont des difficultés financières, donc on devait remonter nos taux. On parlait plus du tout de photos : on parlait de chiffres, de chiffres, de chiffres, de chiffres, de chiffres. Je ne vais pas photographier un bébé en néonat’ qui a un petit poids ou qui a des problèmes respiratoires pour forcer à faire des photos. »

Le mot « pression » est effectivement d’abord prononcé par la journaliste de France 2. Il vient préciser le propos de la photographe qui employait le terme de « menaces », et, se rendant sans doute compte qu’il n’est pas approprié, ajoutait « … si je puis dire ». La journaliste ne l’incite pas à parler de pression, comme le laisse entendre le requérant qui écrit qu’elle « souffle » ce mot, mais plutôt suggère une précision qui atténue le propos, le mot « menace » indiquant une intention de nuire alors que « pression » indique une tentative d’influencer.

➔ M. Jean-Christophe Klein reconnaît lui-même avoir été interviewé, comme le montrent également les images du reportage. L’offre de réplique a donc été faite et le requérant en a fait usage. Il n’est pas interrogé sur le cas de la photographe interrogée à Pau ni sur la notion de burn-out. Cependant, la journaliste indique bien qu’il « reconnaît qu’il fixe des objectifs de chiffres à ses employés » et ajoute : « mais pas question de parler de pressions et de ventes forcées », et lui-même dit face caméra : « Il y a aucun minimum d’achat. Il y a au minimum une photo gratuite » avant de concéder que des employés peuvent « insister lorsque le client souhaite réfléchir, comme tout commercial qui cherche à vendre ». La journaliste ajoute en commentaire off que M. Klein lui « confiera hors caméra avoir licencié trois commerciaux pour non-respect de la charte éthique ».

L’absence d’offre de réplique n’est pas constituée, mais il faut souligner qu’avec un écart de six mois entre la réalisation du reportage et sa diffusion, il aurait été pertinent d’actualiser un certain nombre des éléments dont il est fait état.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 juin 2025 en séance plénière, estime que les obligations d’exactitude et de véracité, et d’offre de réplique, ont été respectées par France 2.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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