Avis sur la saisine n° 24-183

Adopté en réunion plénière du 18 mars 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 30 octobre 2024, M. Sylvestre Huet a saisi le CDJM à propos d’une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP) diffusée le 29 octobre 2024 et titrée « Japon : redémarrage d’un réacteur nucléaire près de Fukushima ».

M. Huet saisit le CDJM pour inexactitude. Il a relevé dans la dépêche la phrase suivante : « À Fukushima, où la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl a tué environ 18 000 personnes, le tsunami avait coupé les lignes électriques […] » Il écrit qu’il y a une « évidente confusion entre les morts du tsunami et les conséquences sanitaires de l’accident nucléaire de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ». Il estime que cela « constitue une grave désinformation » et souligne qu’« à l’ère du web, les dépêches d’agences sont très souvent proposées telles quelles aux lecteurs sur les sites internet de nombreux moyens d’information ».

Le CDJM a noté que le texte de la dépêche a été corrigé, comme l’indique un message publié sur le réseau social X par M. Marc Préel, rédacteur en chef des réseaux sociaux de l’AFP, le 30 octobre 2024.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).]
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n°6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM : « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

À propos de la rectification d’une erreur :

Réponse du média mis en cause

Le 15 novembre 2024, le CDJM a adressé à M. Phil Chetwynd, directeur de l’information de l’AFP, avec copies à MM. Mehdi Lebouachera, rédacteur en chef, et M. Marc Préel, rédacteur en chef des réseaux sociaux, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 18 novembre 2024, M. Christophe Walter-Petit, directeur juridique de l’AFP, a accusé réception de ce courriel en ces termes : « Les échanges entre le CDJM et l’AFP au sujet d’une dépêche sur le redémarrage d’un réacteur nucléaire près de Fukushima m’ont été transmis. Nous ne reconnaissons pas de légitimité au CDJM pour intervenir sur nos contenus éditoriaux. »

Le CDJM rappelle que dans ses avis, il se prononce uniquement sur le respect de la déontologie journalistique, et qu’il n’a aucune vocation à intervenir sur les choix éditoriaux des médias visés par une saisine.

Analyse du CDJM

➔ Le requérant, M. Sylvestre Huet, est journaliste scientifique depuis 1983, a collaboré à plusieurs quotidiens nationaux et a été président de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) en 2012 et 2013. Il a eu accès à la dépêche en cause diffusée le 29 octobre 2024 à 8 h 22 (heure de Paris) dans un format réservé aux clients de l’agence, et en a transmis une copie au CDJM.

➔ Le premier paragraphe donne l’information essentielle : « Un réacteur nucléaire doté d’une protection renforcée contre les tsunamis devait redémarrer mardi au Japon dans un département voisin de la centrale de Fukushima (nord-est), accidentée lors de la catastrophe de 2011, a annoncé son opérateur. » Suit un état des lieux du parc nucléaire du Japon, dans un contexte de réduction des « émissions [de gaz à effet de serre] en accélérant [le retour du pays] au nucléaire ». Les cinq derniers paragraphes évoquent le contexte économique et technique du redémarrage des réacteurs nucléaires, le premier rappelant qu’« à Fukushima, où la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl a tué environ 18 000 personnes, le tsunami avait coupé les lignes électriques et inondé les générateurs de secours, paralysant les pompes à eau nécessaires au refroidissement du combustible nucléaire ».

Comme le note M. Huet, la phrase « la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl a tué environ 18 000 personnes » fait l’amalgame entre les personnes victimes du tsunami provoqué par un séisme et celles qui ont subi des conséquences sanitaires de l’accident nucléaire de la centrale nucléaire. Si on ne peut parler comme le requérant de « désinformation », qui caractérise une action volontaire de transmettre une fausse information, l’erreur et l’inexactitude sont flagrantes.

➔ Les bonnes pratiques professionnelles demandent aux rédactions de « rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte ». La « Charte AFP des bonnes pratiques éditoriales et déontologiques » indique au chapitre « Corrections et annulations » : « L’AFP doit corriger ses erreurs rapidement et dans la transparence. Même si des jours ou des semaines ont passé, il faut corriger les erreurs factuelles et, si nécessaire, annuler la dépêche et la supprimer de notre base de données, sans hésiter à recueillir l’avis de la hiérarchie et de la direction juridique. »

➔ Il est avéré que l’erreur a été rectifiée dans la dépêche AFP à 12 h 04 (heure de Paris) : « Le séisme et le tsunami de 2011 avaient fait plus de 18 000 morts et disparus au Japon et gravement endommagé la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Le tsunami avait coupé les lignes électriques et inondé les générateurs de secours, paralysant les pompes à eau nécessaires au refroidissement du combustible nucléaire », lit-on alors. Cette dépêche corrigée a été envoyée aux abonnés de l’agence 3 heures et 42 minutes après la dépêche originelle.

➔ Il est cependant difficile de mesurer l’impact de cette rectification. D’une part, faute de pouvoir vérifier l’impact réel sur le public durant le temps où la dépêche a été diffusée sans la correction. D’autre part, en l’absence de réponse sur le fond de l’AFP, il est impossible de savoir comment les clients de l’agence ont été informés de cette rectification afin qu’ils la prennent en compte.

À la réception de la saisine de M. Huet, le 30 octobre 2024 à 11 h 33, soit 24 heures après la diffusion aux médias de la version rectifiée, le secrétariat du CDJM a relevé des reprises de cette dépêche rectifiée sur le site d’Europe 1 le 29 octobre 2024 à 12 h 37 et sur celui de La Tribune à 17 h 14. Il n’est pas possible de dire si la version inexacte avait été en ligne sur ces sites avant, ni pendant combien de temps.

La dépêche erronée était alors accessible ce 30 octobre sur Le Courrier du Vietnam (et elle l’est encore le 11 mars 2025), ainsi que sur le site du Journal de Montréal, si on en croit des messages sur le réseau social X – la version corrigée l’a remplacée au plus tard le 14 novembre 2024, date d’une nouvelle vérification par le secrétariat du CDJM. Le site suisse 20 minutes avait repris la dépêche le 29 octobre 2024, en corrigeant dès 9 h 21 l’erreur sur la cause des décès, soit avant l’envoi par l’AFP d’un rectificatif.

Le CDJM rappelle à ce propos que si une dépêche d’agence est un acte journalistique, sa diffusion par un média client est également un acte journalistique, et que ce média est pleinement responsable de l’exactitude d’une information qu’il diffuse, y compris quand elle vient d’une dépêche de l’AFP.

➔ En conséquence, le CDJM considère que si l’inexactitude est réelle dans la dépêche AFP de 8 h 22, elle a été rapidement corrigée, moins de 4 heures plus tard, avec la dépêche de 12 h 04, ce qui correspond aux préconisations des textes déontologiques auxquels se réfère le CDJM.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 18 mars 2025 en séance plénière, constate que l’obligation déontologique de rectification des erreurs a bien été respectée.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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