Adopté en réunion plénière du 11 février 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 21 octobre 2024, M. Éric Gherardi, agissant au nom de l’Institut catholique d’études supérieures de La Roche-sur-Yon (Vendée) en qualité de président, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 30 août 2024 dans l’édition vendéenne du quotidien Ouest-France sous le titre « Buste de Simone Veil dégradé : le procès renvoyé ».
M. Gherardi formule d’abord le grief d’inexactitude. Il estime qu’à propos de la dégradation du buste de Simone Veil, l’expression « “parmi les suspects, des étudiants de l’ICES” impute l’événement revendiqué par l’Action française de Vendée à l’ICES ». Il considère que l’article « a diffusé des informations erronées et non vérifiées » concernant une affaire d’agression homophobe commise en 2019, évoquée par Ouest France en contextualisation. Il affirme qu’écrire que « parmi les jeunes qui se trouvent à la barre, il y a notamment des étudiants de l’Institut catholique d’études supérieures (ICES) » constitue une atteinte à la vie privée. Enfin, il invoque l’absence de rectification en écrivant qu’« aucune rectification n’a été effectuée, malgré la demande faite en ce sens par le conseil de l’ICES à Ouest-France ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
- Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
À propos du respect de la vie privée :
À propos du respect de la rectification d’une erreur :
Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».
Réponse du média mis en cause
Le 28 octobre 2024, le CDJM a adressé à M. François-Xavier Lefranc, directeur des rédactions de Ouest-France, avec copies à MM. Sébastien Grosmaître, rédacteur en chef de l’information régionale et locale, et Sacha Martinez, journaliste auteur de l’article en cause, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 11 février 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article objet de la saisine est le compte-rendu d’une audience qui s’est tenue le 29 août 2024 au palais de justice de La Roche-sur-Yon. Devaient y être jugées huit personnes accusées d’avoir dégradé un buste de Simone Veil le 8 mars 2024. L’absence de leur avocat entraîne le report de l’audience, rapporte le journaliste de Ouest-France. Il précise ensuite que « parmi les jeunes qui se trouvent à la barre, il y a notamment des étudiants de l’Institut catholique d’études supérieures (ICES). En 2019, une dizaine d’étudiants de l’établissement avaient été exclus aprés avoir participé à une agression à caractère homophobe. » L’article se termine par la mention du renvoi au 19 décembre 2024.
Sur le grief d’inexactitude concernant les événements de 2024
➔ Le président de l’Institut catholique d’études supérieures (ICES) conteste la mention « Parmi les suspects, des étudiants de l’ICES » qui figure en intertitre. Cette information est répétée dans le corps de l’article (lire ci-dessous). Pour lui, cela « crée une confusion dans l’esprit du public sur l’identité de l’instigateur des évènements du 8 mars 2024, objet de l’article, alors qu’ils ont pourtant été revendiqués par l’Action française de Vendée qui n’est pas citée en titre, ni en sous-titre ».
Avant même cette mention, le journaliste de Ouest-France explique bien que la dégradation est une action de l’Action française, en notant que « des slogans et des autocollants de l’Action française, mouvance royaliste d’extrême droite, étaient retrouvés sur l’édifice » et en soulignant que « la section locale du mouvement avait ensuite revendiqué l’action via les réseaux sociaux avant de supprimer sa vidéo ».
Le directeur de l’ICES ne nie pas le fait que des étudiants aient été parmi les personnes renvoyées devant le tribunal. Il interprète l’intertitre comme les désignant indirectement comme « instigateur ». Le journaliste de Ouest-France n’emploie pas ce mot, et n’attribue aucun rôle d’initiative aux étudiants mis en cause. Ni son texte ni l’intertitre ne sont inexacts.
Sur le grief d’inexactitude concernant les événements de 2019
➔ Le président de l’ICES estime inexact ce passage de l’article : « En 2019, une dizaine d’étudiants de l’établissement avaient été exclus après avoir participé à une agression à caractère homophobe ». Il écrit que « par arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 1er juillet 2020, toutes les personnes poursuivies pour les faits dénoncés en 2019 ont été relaxées des chefs d’accusation retenus à leur encontre de telle sorte qu’aucune “agression à caractère homophobe” n’a été établie » et renvoie à un article de Ouest-France du 1er juillet 2020.
On lit dans cet article que « les étudiants ont été relaxés du délit d’entrave au droit de manifester et de l’injure à raison de l’orientation sexuelle ». On y lit aussi que « des amendes ont été prononcées pour la destruction d’un drapeau LGBT et pour des “violences mineures” ». Information confirmée dans un article du magazine Valeurs actuelles le 2 juillet 2020 : « Sur les douze étudiants, seuls trois ont finalement été condamnés à des amendes (sans trace sur le casier judiciaire) et pour des motifs assez légers, à savoir dissimulation du visage dans l’espace public et emprunt d’un drapeau LGBT (arc-en-ciel). »
On ne peut nier que le fait de perturber une manifestation dénonçant « l’homophobie », comme on peut le voir dans une vidéo publiée sur Facebook par le Centre LGBT de Vendée, comme celui de détruire un drapeau LGBT, est un acte qui relève de l’homophobie. Les étudiants concernés le reconnaissaient d’ailleurs eux-mêmes dans une lettre aux autorités ecclésiales, publiée dans l’article de Valeurs actuelles du 2 juillet 2020. Ils écrivaient « avoir agi avec imprudence et de manière irréfléchie [en cherchant] à défendre l’ordre naturel des choses contre le désordre promu par l’idéologie d’un lobby ».
Quand M. Sacha Martinez écrit en 2024, dans l’article de Ouest-France objet de la saisine de l’ICES, que des étudiants « avaient participé à une agression à caractère homophobe », il ne dit rien d’inexact.
Sur le grief d’atteinte à la vie privée
➔ M. Gherardi, au nom de l’ICES, souligne que « l’article indique au sujet de l’évènement du 8 mars 2024 revendiqué par l’Action française de Vendée que : “ Parmi les jeunes qui se trouvent à la barre, il y a notamment des étudiants de l’Institut catholique d’études supérieures (ICES)”. En l’occurrence, l’ICES n’a pas à être tenu responsable des agissements de ses étudiants qui relèvent de leur vie privée ». Il considère alors que « révéler l’inscription des personnes concernées à l’ICES est une atteinte à leur vie privée ».
➔ L’article en cause ne mentionne ni ne rend reconnaissable personne. Aucun nom n’est indiqué, aucune photo n’est publiée. Il n’y a pas d’identification portant atteinte à la vie privée. Quand bien même des noms d’étudiants auraient été donnés, cela n’aurait pas nécessairement constitué une faute déontologique. Il est admis de donner le nom d’un prévenu à une audience, même si l’usage est plutôt de ne le communiquer qu’une fois les personnes condamnées, voire condamnées à une certaine peine – afin de trouver le bon équilibre entre droit à l’information et droit à l’oubli. Ainsi, la charte des faits divers de Ouest-France stipule de ne « [donner] ordinairement le nom d’une personne condamnée que si elle est condamnée à un an de prison ferme (ou plus) et qu’un mandat de dépôt (ou maintien en détention) est prononcé ».
➔ Le directeur de l’ICES déplore que le nom de l’institution soit cité, mais c’est un élément d’information pertinent : quand il est question d’étudiants, il n’est pas sans intérêt de préciser la matière qu’ils étudient et/ou leur établissement. On peut comprendre que les autres étudiants de l’ICES, qui ne partagent pas les opinions des étudiants impliqués, souffrent d’une atteinte à leur réputation, mais ce n’est pas une atteinte à la vie privée. Le grief n’est pas constitué.
Sur le grief de non-rectification
M. Gherardi indique qu’« aucune rectification n’a été effectuée, malgré la demande faite en ce sens par le conseil de l’ICES à Ouest-France ».
Aucune inexactitude n’étant constatée par le CDJM, le grief est sans objet.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 11 février 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité, de respect de la vie privée et de rectification d’une erreur n’ont pas été enfreintes par Ouest France.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.