Adopté en réunion plénière du 18 mars 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 16 octobre 2025, M. Xavier Aubry, agissant au nom de la société Da Vinci Labs SAS en qualité de directeur général, a saisi le CDJM à propos d’une séquence diffusée à 19 h 30 dans le journal télévisé régional de France 3 Centre – Val de Loire le 16 octobre 2024, séquence titrée « Da Vinci Labs, l’incubateur de start-ups polémique ».
M. Xavier Aubry exprime les griefs de conflit d’intérêts et d’utilisation de méthodes déloyales lors du recueil d’informations. À l’appui de ce dernier, M. Aubry affirme que des engagements pris par le journaliste de France 3 avant le tournage n’ont pas été respectés. Il considère que « ce journaliste nous [a] menti pour filmer des séquences chez nous, en sachant fort bien qu’il n’utiliserait aucune des séquences, à part celles où il m’interroge sur la polémique, alors que nous avions convenu de ne pas focaliser sur ce débat ».
À propos du grief de conflit d’intérêts, M. Aubry dit « avoir découvert plus tard que Matthieu Jarry [l’auteur du reportage, ndlr] est proche des membres du consortium [opposé à la construction du site] ». Il affirme que ce journaliste « a réalisé cette séquence à leur demande ».
Recevabilité
M. Aubry avait également saisi le CDJM pour inexactitude. Il ne précisait pas ce qui serait inexact, affirmant uniquement que « seule une petite partie des séquences filmées sur notre site a été conservée, centrée sur la polémique, en occultant tous les aspects scientifiques du projet, et les raisons de son implantation sur le site ». Le grief d’exactitude et de véracité n’est pas recevable.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos des conflits d’intérêts :
- Il « n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée » et « refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « s’interdire de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
- Il « n’usera pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée, et s’interdira de recevoir un quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-diffusion d’une information » et doit « éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », conscient que sa responsabilité « vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
- Il « ne prendra à l’égard d’aucun interlocuteur un engagement susceptible de mettre son indépendance en danger. [Il] respectera toutefois les modalités de diffusion qu’[il] a acceptées librement, comme [le] “off”, l’anonymat ou l’embargo, pourvu que ces engagements soient clairs et incontestables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 14).
- Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
- Lire aussi la recommandation du CDJM « Cadeaux et invitations : les bonnes pratiques ».
À propos de la protection des personnes interrogées :
- Il « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon l’article 8 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 8).
Réponse du média mis en cause
Le 28 octobre 2024, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copies à M. Antoine Denéchère, rédacteur en chef de France 3 Centre – Val de Loire, et à MM. Matthieu Jarry et Samuel Foucault, journalistes, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 12 novembre 2024, M. Antoine Denéchère a répondu pour « contester fermement ces imputations ». Il écrit que « le journaliste a contacté M. Aubry pour l’interviewer sur son projet et la polémique qu’il suscite. Il n’a jamais trompé M. Aubry sur ses intentions et n’a, à aucun moment, accepté de tourner le reportage selon un angle imposé ou sous certaines conditions posées par le directeur du Da Vinci Labs ».
Il ajoute que « les séquences utilisées dans le reportage n’occultent pas les aspects scientifiques du projet et ne portent pas exclusivement sur la polémique » et qu’« en toute hypothèse le journaliste, dans l’exercice de sa liberté éditoriale, a choisi les séquences qu’il considérait être les plus pertinentes pour réaliser son reportage et informer au mieux les téléspectateurs ».
Analyse du CDJM
➔ Le reportage de France 3 Centre – Val de Loire en cause concerne un projet d’implantation d’un incubateur de startups sur un terrain appartenant au requérant, alors classé en zone non constructible, proche d’un monument emblématique, protégé au titre des monuments historiques, ainsi que d’un bois classé. Le projet ayant été reconnu d’intérêt général, son promoteur a obtenu une modification du plan local d’urbanisme (PLU) rendant possible la construction du bâtiment. Depuis le départ, le projet est vivement contesté par un collectif de citoyens qui met en avant la sauvegarde de l’environnement et la défense du patrimoine.
D’une durée de 3 min 4 s, ce reportage s’ouvre par la présentation in situ par M. Xavier Aubry de, dit-il, « la parcelle de la discorde », où il veut implanter son projet d’incubateur d’entreprises. Le commentaire précise que cette parcelle était « initialement non constructible » mais qu’une enquête publique a conclu que le projet « était d’intérêt général ». M. Aubry explique ensuite face caméra pourquoi il veut installer des chercheurs dans ce lieu. La séquence suivante donne la parole à deux membres du collectif opposé au projet, qui exposent des arguments environnementaux et économiques pour le dénoncer.
Puis M. Aubry développe des contre-arguments, avançant que « sur le plan de la diversité nette, l’artificialisation [des sols] nette, on est très clairement dans le positif ». Le commentaire du journaliste indique in fine que si M. Aubry espère « obtenir rapidement un permis de construire », ses opposants vont « contester la modification du plan local d’urbanisme devant le tribunal administratif ».
Sur le grief d’utilisation de méthodes déloyales
➔ M. Xavier Aubry considère que le journaliste n’a pas convenablement réalisé son travail en ne rapportant que des portions de ses interventions, lesquelles ont été enregistrées sur une période de plusieurs heures. Il s’en explique dans sa saisine :
« En septembre 2024, je suis contacté par Matthieu Jarry, qui souhaite nous interviewer pour le compte de France 3 Centre – Val de Loire sur le projet Da Vinci Labs. Je lui précise dès mon premier entretien avec lui que je refuse de parler de la polémique alimentée par le collectif d’opposants, qui est constitué d’une faction minoritaire d’extrémistes comme Renaud Poirson, ancien candidat NPA [Nouveau parti anticapitaliste] à Saint-Pierre-des-Corps en 2014.
« Nous prenons donc rendez-vous pour le 26 septembre, à la condition expresse que l’interview concerne les actions effectuées en faveur de la biodiversité sur le site et notamment le déploiement d’un observatoire de la biodiversité avec la société Every1Counts. Nous demandons également au directeur de cette société de se déplacer de Paris à Reugny pour rencontrer les journalistes.
« […] À notre grande surprise, nous constatons que le journaliste nous a menti sur ses objectifs et a en réalité concentré la séquence sur les déclarations du collectif (avec notamment des interviews de Alexia Didou et Renaud Poirson, qui font actuellement l’objet d’une plainte pour harcèlement moral de notre part). »
Dans sa réponse au CDJM, M. Antoine Denéchère explique que « M. Aubry a accepté de recevoir les journalistes chez lui et a d’ailleurs répondu volontairement aux questions relatives aux contestations, comme on le voit dans le reportage ; il ne s’est pas ému du fait que le journaliste les lui pose, comme il aurait pu le faire, s’il avait refusé d’évoquer ce sujet ».
Il fait observer que la teneur du projet de M. Aubry est exposée dans le reportage, retranscrivant « à titre d’exemple » le passage suivant :
« Le journaliste : “C’est sur cette parcelle, initialement non constructible, que Xavier Aubry veut implanter son Da Vinci Labs. Pour la rendre constructible, il fallait mettre en compatibilité le plan d’urbanisme, une mesure validée par la communauté de communes de Touraine après une enquête publique menée en début d’année. Une enquête qui a conclu que le projet d’incubateur de start-ups dédié aux biotechnologies était d’intérêt général.” Xavier Aubry : “La recherche scientifique en France manque souvent de moyens, donc il est important de la renforcer avec des moyens privés. Pour les chercheurs qui y travaillent, le fait d’être eux-mêmes insérés dans la nature, c’est une source qui est importante d’inspiration [sic]. Quand on est chercheur et qu’on veut aider l’environnement c’est plus inspirant d’être dans un bâtiment au milieu de la nature plutôt que d’être dans une tour dans une grande ville.” »
➔ Indépendamment des commentaires du journaliste, au demeurant uniquement factuels, M. Aubry a la parole à trois reprises, pour au total 68 secondes, et ses opposants 51 secondes, sur un reportage de 184 secondes. M. Aubry parle pendant 17 secondes du terrain sur lequel il veut construire, et pendant 27 secondes de l’intérêt de son projet. En fin du reportage diffusé, M. Aubry répond pendant 24 secondes aux arguments de ses opposants en affirmant notamment que « c’était beaucoup de bruit pour pas grand chose », et en avançant des arguments relativisant l’impact sur l’artificialisation des sols et la biodiversité.
Le reportage n’occulte donc pas les aspects entrepreneuriaux du projet. On ne peut donc affirmer, comme l’écrit M. Aubry dans sa saisine, que le journaliste n’a utilisé que la séquence où il « [l]’interroge sur la polémique ».
➔ M. Aubry considère également comme déloyal le fait que le journaliste n’ait pas utilisé une interview du responsable de la société Every1counts qu’il avait invité à rencontrer l’équipe de France 3 Centre – Val de Loire. Selon le rédacteur en chef de France 3 Centre – Val de Loire, « M. Aubry a contacté son directeur le jour même du tournage pour lui demander de participer au reportage. L’équipe de tournage a accepté de patienter jusqu’à l’arrivée de cette personne pour tourner une séquence, sans jamais s’engager à la diffuser. » Il n’indique pas pour quelle raison (durée de la séquence, pertinence par rapport à l’angle du sujet, clarté des propos …) cette interview n’a pas été retenue.
Le CDJM rappelle que le choix de l’angle d’un sujet, celui des interlocuteurs, des citations dans la presse écrite, des extraits d’un interview dans un document audiovisuel, relèvent de la liberté éditoriale d’un journaliste. Il est seul responsable, sous l’autorité de sa hiérarchie, de ces choix.
Sur le grief de conflit d’intérêts
➔ M. Aubry affirme avoir découvert « plus tard que Matthieu Jarry est proche des membres du consortium, et qu’il a réalisé cette séquence à leur demande ». Il s’indigne « qu’un journaliste proche du collectif d’opposants soit habilité à couvrir le combat (parfois illégal) qu’il mène contre moi et ma famille ».
M. Denéchère s’inscrit en faux. « Ces affirmations sont absolument inexactes. Le journaliste ne connaissait pas préalablement les membres du collectif qu’il a contactés via le compte Facebook de ce dernier. II a ainsi rencontré les opposants pour la première fois le jour du tournage. » Il ajoute que donner la parole au collectif « traduit non pas un conflit d’intérêts, mais tout simplement le respect du contradictoire par le journaliste ».
➔ Le CDJM note que M. Aubry n’apporte aucune preuve de l’accusation de connivence entre le journaliste et le groupe d’opposants. Rien dans sa saisine n’étaye le soupçon de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
En outre, le reportage donne la parole aux deux parties. Le journaliste se garde de soutenir l’une ou l’autre thèse. Lorsqu’il évoque l’opposition au projet de M. Aubry, il ne prend pas à son compte les arguments des opposants. Ainsi quand il dit qu’« un collectif s’oppose à l’implantation du Do Vinci Lab à cet endroit », il précise que « pour eux, la parcelle relève d’une trame verte de l’agglomératíon tourangelle inscrite au schéma de cohérence de ł’intercommunalité ». De même, un peu plus loin dans son commentaire, il prend du recul par rapport à une autre critique quand il souligne que ce sont « des opposants qui mettent aussi en doute l’idée du projet d’intérêt général ».
Le grief n’est pas fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 18 mars 2025, en séance plénière estime que les obligations déontologiques de pas user de méthodes déloyales et d’éviter tout conflit d’intérêts n’ont pas été enfreintes.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.