Avis sur la saisine n° 24-141

Adopté en réunion plénière du 28 janvier 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 13 septembre 2024, M. Julien Chambon, agissant en qualité de maire de Houilles (Yvelines), a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 4 août 2024 par le magazine Le Point sur son site et titré : « Houilles, la ville où tout va très bien, vraiment ? »

M. Julien Chambon expose les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité, non-respect de la vie privée et non-rectification d’une erreur. Il estime que plusieurs inexactitudes figurent dans l’article, concernant « les départs de certains agents depuis 2020 », l’expulsion d’un élu d’opposition lors d’une séance du conseil municipal, la garde à vue d’un élu de la majorité municipale et la protection fonctionnelle dont celui-ci aurait bénéficié. Il estime qu’évoquer cette garde à vue porte atteinte à la vie privée de cet élu. M. Chambon considère enfin, au titre de la non-rectification d’une erreur, que le journaliste n’a pas tenu compte d’une précision qu’il lui a apportée.

Recevabilité

➔ En conclusion de sa saisine, le maire de Houilles évoque des échanges de courriels qu’il a eus avec M. Erwan Seznec, auteur du texte, « à la suite de la parution de l’article ». Le CDJM considère qu’il n’a pas à procéder à une analyse détaillée de ces échanges de courriels qui ne concernent pas l’article en cause (pour ceux qui lui sont connus) et ne sont d’ailleurs pas exhaustifs. Seul le contenu de l’article constitue l’acte journalistique qu’il lui appartient d’apprécier. Le grief d’utilisation de méthodes déloyales lors du recueil d’information a été déclaré irrecevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos du respect de la vie privée :

  • Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).

À propos de la rectification des erreurs :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

Réponse du média mis en cause

Le 20 septembre 2024, le CDJM a adressé à Mme Valérie Toranian, directrice de la rédaction du Point, avec copie à M. Erwan Seznec, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. M. Seznec a accusé réception le jour même par courriel, sans faire de commentaires sur le fond.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause est le troisième d’une série de quatre intitulée « Au secours, ma mairie déraille ». Après Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) le 21 juillet, Étampes (Essonne) le 28 juillet, le troisième épisode, le 4 août 2024, est consacré par le journaliste M. Erwan Seznec à Houilles.

Il est d’abord question de départs successifs de cadres de l’administration municipale, puis d’un conseil municipal au cours duquel « le maire a appelé la police municipale pour évacuer un conseiller qui parlait trop longuement ». Le journaliste relate ensuite que « l’adjoint aux Finances, Nicolas Lemettre, a lui aussi rendu sa délégation » car les dépenses de fonctionnement avaient été « délibérément sous-estimées ». L’article indique que le maire, « Julien Chambon, rassure, tout est au clair à Houilles, côté finances ». Il s’arrête ensuite sur les dépenses engagées au titre de la communication du maire, « exercice qu’il affectionne » et sur son « dernier carré [de] fidèles, un petit groupe d’élus sans expérience issus d’une association ovilloise, la Cuatro ».

M. Seznec écrit que l’une de ces personnes a décroché un logement social en « deux fois moins de temps » que d’habitude, et que « placée en garde à vue après un contrôle routier de routine […] ses frais d’avocat ont été pris en charge par la ville ». Sur ces deux points, la parole est donnée au maire ou à son cabinet. L’article cite enfin le remplacement du responsable des services techniques de la ville « par un agent, pas forcément qualifié pour le poste, mais en bons termes avec le groupe de la Cuatro » et le vote de subventions à cette association. Il cite en conclusion un opposant au maire : « La ville va dans le mur. »

➔ En préambule, M. Chambon, qui communique au CDJM des échanges de courriels avec le journaliste du Point, écrit dans sa saisine qu’« après avoir été contactés par Erwan Seznec, qui affirmait vouloir faire un article global sur certains sujets de la ville, un article “tout sauf polémique”, nous avons formulé des réponses écrites à ses questions, dont 80 % n’ont pas été affectées à son article ». Plusieurs réponses données par la mairie à des questions posées par M. Seznec ne sont en effet pas mentionnées dans son article. Il est légitime de penser que la raison en est que ces réponses ont paru satisfaisantes ou convaincantes à M. Seznec lui-même. Dès lors, il est compréhensible que le maire mis en cause puisse en tirer un sentiment de partialité en considérant l’image ainsi donnée de son action.

Mais cet article s’insère dans une série intitulée « Au secours, ma mairie déraille : pourquoi tant de dérapages ? » qui vise expressément à identifier les manquements de certaines municipalités. La mise en avant de dysfonctionnements d’une institution, dès lors qu’ils sont établis, est un angle d’analyse qui relève de la liberté éditoriale.

Sur le grief d’inexactitude concernant les départs de cadres municipaux

➔ Le maire de Houilles considère que l’accent est mis sur le départ d’un grand nombre de cadres municipaux, sans « indiquer – contrairement à ce que nous avons affirmé [au journaliste du Point, ndlr] – que l’extrême majorité des postes sont d’ores et déjà pourvus [à nouveau] ».

Ce défaut de mention des remplacements effectués ne rend pas inexact factuellement le grand nombre de départs dans un temps relativement court. Il ne prive pas le lecteur d’une information essentielle dans la mesure où l’article se situe moins sur le terrain de l’efficience technique de la gestion municipale des ressources humaines que sur le plan humain et politique, évoquant les difficultés relationnelles que révèleraient ces départs.

Sur le grief d’inexactitude concernant un incident durant un conseil municipal

➔ Le requérant écrit au CDJM que « M. Erwan Seznec, bien que nous ayant interrogé à l’écrit et ayant obtenu une réponse claire, affirme que le conseiller municipal d’opposition a été expulsé de la séance parce qu’il “parlait trop longuement”. La réalité est tout autre, puisque dans notre réponse, nous avons démontré que ce n’était pas parce que celui-ci parlait [qu’il a été mis dehors], mais bien parce qu’il s’adonnait à des imitations d’animaux et s’était levé en direction du Maire, perturbant considérablement la séance du conseil. »

Le visionnage de la séquence d’expulsion (disponible sur Facebook ou sur le site Actu.fr) accrédite sur ce point les affirmations du requérant. On y voit clairement le conseiller en cause perturber délibérément l’intervention du maire en répétant à plusieurs reprises sur un ton lancinant « Monsieur le Maire, je demande la parole », d’abord de sa place puis en marchant vers le maire, puis « Monsieur le Maire, Belphégor parle », avant d’entonner la Marseillaise. Il est donc inexact d’écrire que l’expulsion a eu pour seul motif d’interrompre un conseiller « qui parlait trop longuement » .

Sur le grief d’inexactitude concernant la garde à vue d’un conseiller municipal et celui de non-respect de la vie privée

➔ Le requérant évoque en ces termes le passage de l’article concernant un élu mis en cause par un contrôle routier : « Le journaliste parle d’une garde à vue d’un élu et d’une protection fonctionnelle qui aurait été accordée à l’élu pour payer ses frais d’avocat. C’est évidemment faux, aucune protection fonctionnelle n’a été accordée et l’élu en question a lui-même payé ses frais d’avocat. » Il joint une copie de facture de frais d’avocat au nom de l’élu concerné pour appuyer cette affirmation.

La pièce fournie est intitulée « facture d’honoraires d’avocat » et est adressée au domicile de l’élu en cause. Elle porte un tampon rouge avec la mention « réglée ». Cela ne permet aucunement de déterminer l’identité de la personne – physique ou morale – qui a effectivement réglé cette facture et, sans en apporter la preuve, ne dément pas ce qu’écrit Le Point.

➔ Le requérant invoque également le grief d’atteinte au respect de la vie privée en ajoutant dans sa saisine à propos de cet élu placé en garde à vue : « Toutefois, cette histoire n’entre pas dans le cadre des fonctions de l’élu intéressé, le journaliste ne se gêne pas pour en faire état. »

Une décision de placement en garde à vue est un acte de procédure judiciaire qui ne relève pas de la vie privée, a fortiori lorsqu’elle concerne un élu, fût-ce hors de l’exercice de ses fonctions. Le grief d’atteinte à la vie privée est donc non fondé.

Sur le grief de non-rectification d’une erreur

➔ Le maire de Houilles conteste l’indication, dans l’article de M. Seznec, d’une attribution rapide (au regard des délais moyens) d’un logement social à un élu vivant en couple sans enfant, alors qu’il avait répondu au journaliste sur ce point.

Il indique dans sa saisine que « si M. Seznec intègre la réponse de M. le Maire, s’agissant du fait que la commune n’attribue pas de logement, il se garde bien de préciser que ce logement a été attribué à la femme de Monsieur X [anonymisé par le CDJM, ndlr], lorsque celle-ci était enceinte ET avant qu’elle ne perde l’enfant au bout de huit mois de grossesse. Nous lui avons indiqué par e-mail... »

 Effectivement, le journaliste n’a pas repris la précision que la mairie affirme lui avoir donné par courriel, sur la femme de M. X et la perte de son enfant. Cette précision relevait en effet de la vie privée.

 On lit bien dans l’article du Point la réponse du maire sur le fait qu’il ne dispose pas de la compétence juridique d’attribuer ces logements sociaux : « “C’est une décision du bailleur social, la ville ne s’en mêle pas”, explique Julien Chambon. “Voilà pour la théorie, ironise l’opposant Romain Bertrand. En pratique, tout le monde sait qu’une ville a des moyens de pression considérables sur un bailleur social”. »

Le fait que soit donnée la parole à un opposant, nommément désigné, qui exprime un doute sur la réelle capacité d’influence du maire et exprime une opinion, ne constitue pas une distorsion des faits qui eût pu appeler une rectification.

Conclusion

Le CDJM réuni le 28 janvier 2025 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par Le Point dans un seul des trois cas soulevés par le requérant, et que les obligations déontologiques de respect de la vie privée et de rectification des erreurs n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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