Avis sur la saisine n° 24-135

Adopté en réunion plénière du 11 février 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 17 août 2024, M. Marc Gielen a saisi le CDJM à propos de l’émission « Carnet de santé » diffusée le 11 août 2024 sur France Inter. Cette chronique est consacrée aux infections urinaires récidivantes. M. Gielen formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité, au motif que l’auteure de la chronique « suggère des prises en charge inadaptées des infections urinaires », l’ostéophatie et la naturopathie, « au risque de retarder des prises en charge efficaces et de favoriser des infections graves mettant en danger les patients ». 

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).

Réponse du média mis en cause

Le 3 septembre 2024, le CDJM a adressé à M. Marc Fauvelle, directeur de l’information de France Inter, avec copies à Mme Julie Martory, journaliste auteure de la chronique en cause et M. Julien Leclercq, directeur de l’agence Com’Presse qui l’a produite, un courrier les informant de cette saisine, et les invitant à faire connaître leurs observations.

Le 16 septembre 2024, M. Julien Leclercq a répondu au CDJM. Il explique que « l’ensemble de la chronique est sans aucune ambiguïté orientée sur la prévention et non sur le traitement d’une pathologie ». Il répond aux différents griefs (lire ci-dessous) et, se référant « rigoureusement à ce qui a été dit à l’antenne », ajoute qu’« à aucun moment Julie Martory n’a dit ce que l’auteur de la saisine suggère qu’elle a dit, elle s’est au contraire attachée à respecter toutes les règles auxquelles elle est tenue ».

Analyse du CDJM

➔ La chronique diffusée en direct sur France Inter le 11 août 2024 à 6 h 50 est parrainée par le magazine Top Santé, cité à l’antenne par la présentatrice de la session d’information. Elle est produite par l’agence de presse Com’Press qui l’a commandée à une journaliste pigiste, Mme Julie Martory, présente en direct.

C’est un dialogue de 3 min 40 s entre les deux journalistes à propos de la cystite. Indiquant que « l’été est une période à risque », Mme Martory expose d’abord quelles sont les causes de cette infection urinaire courante. Puis sa consœur la relance ainsi : « Bon, ne désespérons pas. Il existe des petits trucs pour limiter le risque d’infection urinaire, non ? » Julie Martory répond en conseillant comme « premier geste de prévention […] de boire suffisamment tout au long de la journée ». Elle indique aussi que « si on a tendance à faire des cystites, on a aussi intérêt à prendre du cranberry », qu’« en prévention ou après une cystite, c’est bien aussi de prendre des probiotiques ». Elle évoque ensuite « deux alliées du côté des plantes, la bruyère et la busserole qui vont aider à désinfecter les voies urinaires et à éliminer un maximum ». Interrogée, la chroniqueuse énumère « les gestes » de prévention et « les aliments qu’il vaut mieux éviter ».

À la question « et si on fait régulièrement des cystites ? », Mme Martory répond : « Alors, ça peut être intéressant d’aller voir un ostéopathe, si possible spécialisé dans la sphère urinaire et gynécologique. Parce qu’en fait, des tensions dans le petit bassin peuvent presser sur la vessie ou la rendre hyperactive ». L’échange entre les deux journalistes se termine par l’évocation « des premiers résultats très prometteurs [de recherches] pour un vaccin ». Les derniers mots de Mme Martory sont : « En attendant, on boit beaucoup, de l’eau bien sûr. »

La version écrite mise en ligne reprend sous forme d’article l’échange entre les deux journalistes, les questions de la présentatrice devenant des intertitres. Curieusement, le mot « bruyère » y est écrit « brouillère » – il peut s’agir d’une faute d’inattention ou d’une erreur d’un logiciel de transcription de la voix. Une précision, vue par le CDJM le 17 août 2024 à 12 h 58, est indiquée au début de l’article : « NB : les moyens de prévention et conseils ne se substituent aucunement à une visite médicale et à l’avis de votre médecin. »

Sur le grief d’inexactitude concernant l’ostéopathie

➔ M. Marc Gielen relève d’abord comme inexactitude une « mention explicite de l’ostéopathie, qui n’a aucune indication pour la prise en charge de pathologie médicale – il ne s’agit d’ailleurs pas d’une profession de santé. La mention d’ostéopathe spécialisé en gynécologie laisse songeur : les ostéopathes n’ont pas le droit de pratiquer un toucher pelvien par exemple. »

Dans sa réponse au CDJM, M. Julien Leclercq répond que Mme Martory mentionne des « ostéopathes spécialisés “dans la sphère urinaire et gynécologique” (ce sont les termes exacts employés à l’antenne) » et indique qu’« il existe pourtant bien des ostéopathes spécialisés sur ces régions du corps, ce n’est ni une invention ni une interprétation de la journaliste ».

➔ Il existe effectivement des professionnels de santé, par exemple des sages-femmes ou des médecins, qui sont également ostéopathes. Comme l’indique l’article 2 du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie, ceux-ci peuvent, contrairement à l’affirmation du requérant, « pratiquer un toucher pelvien ». En disant à l’antenne « ça peut être intéressant d’aller voir un ostéopathe, si possible spécialisé dans la sphère urinaire et gynécologique », la journaliste ne dit rien d’inexact. Même si l’expression « si possible » n’exclut pas de voir un ostéopathe non spécialisé, son conseil incite clairement à privilégier ces derniers.

Sur le grief d’inexactitude concernant la naturopathie

➔ Pour M. Gielen, « la naturopathie (mention de brouillere [sic] et busserole) avec des plantes qui aideraient à “désinfecter les voies naturelles” n’a aucune place dans un article de santé digne de ce nom ».

Le directeur de l’agence Com’Presse renvoie « rigoureusement à ce qui a été dit à l’antenne : “Du côté des plantes, on a deux alliées, la bruyère et la busserole, qui vont aider à désinfecter les voies urinaires et à éliminer un maximum” ». M. Leclerc ajoute que « notre journaliste vante certaines vertus de deux plantes, reconnues pour leur effet drainant, qui peuvent participer à un effet préventif, au milieu d’autres conseils. Je sais bien que cela offusque toujours autant un certain nombre de professionnels que l’on ose prêter des vertus aux plantes, et je les rejoins s’il s’était agi d’opposer ces quelques conseils préventifs à des traitements médicamenteux. Ce n’est ni ce que pense Julie Martory, ni ce qu’elle a dit à l’antenne de France Inter. Parmi un certain nombre d’astuces, basées sur l’alimentation principalement, elle a suggéré que deux plantes pouvaient avoir un effet positif. »

➔ On trouve dans la littérature scientifique plusieurs articles qui exposent l’intérêt des « médicaments à base de plantes [qui] peuvent soulager les symptômes des infections urinaires inférieures légères et récurrentes », comme cet article publié en août 2024 dans le Journal of Herbal Medicine, revue scientifique dotée d’un comité de lecture, qui cite notamment la busserole. Le dictionnaire Vidal écrit également que « certaines plantes peuvent être proposées en cas d’infections urinaires sans signe de gravité ». Ce n’est donc pas une inexactitude factuelle que de citer, comme le fait Julie Martory, la consommation de « plantes […] qui vont aider à désinfecter les voies urinaires et à éliminer un maximum ».

➔ Contrairement à ce qui est écrit par le requérant, cet épisode de la chronique « Carnet de santé » évoque non des traitements, mais des gestes de prévention. À aucun moment le dialogue entre les deux journalistes ne conduit à proposer de soigner une cystite par l’ostéopathie ou la naturopathie. La présentatrice parle de « petits trucs pour limiter le risque d’infection urinaire » ; la version écrite est titrée sur « ce qu’il faut faire pour les limiter les risques » et mentionne en nota bene que « les moyens de prévention et conseils ne se substituent aucunement à une visite médicale et à l’avis de votre médecin » ; il est question d’« astuces pour limiter le risque d’infection urinaire » ; Mme Martory parle sans ambiguïté de « geste de prévention », donne des conseils « en prévention ou après une cystite », indique de « bons gestes à connaître ».

Il ne s’agit pas, comme l’a compris le requérant, de suggérer « des prises en charge inadaptées des infections urinaires », c’est-à-dire des soins, mais de donner des conseils de prévention, ce qui relève d’une rubrique santé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 11 février 2025 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par France Inter et l’agence de presse Com’Presse.

La saisine est déclarée non fondée.

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