Avis sur la saisine n° 24-120

Adopté en réunion plénière du 12 novembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 4 juillet 2024, M. Jérémy Lemaignent a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 30 juin 2024 sur le site du quotidien Le Figaro et titré « Résultats législatives 2024 : quelles sont les consignes de vote des partis pour le second tour ? » Il signale cet article dans la reprise qu’en fait le portail internet MSN.

M. Lemaignent saisit le CDJM pour altération d’un document, en l’espèce l’infographie qui illustre l’article. Il affirme que cette infographie est « trompeuse » car elle présente « des erreurs significatives qui induisent les lecteurs en erreur ». Il note que les aires de couleurs utilisées pour représenter les résultats des différentes formations politiques ne sont pas proportionnelles à leur poids respectif, ce qui « peut sérieusement induire les lecteurs en erreur sur la répartition réelle des sièges et influencer leurs perceptions et décisions concernant les élections ».

Recevabilité

Le grief d’altération d’un document concerne le cas où un document produit par un tiers (texte, image, film, d’un texte, infographie…) a été déformé lors de son utilisation par un média. En l’occurrence, l’infographie mise en cause est une production des équipes du Figaro. Le CDJM a requalifié le grief en inexactitude et déclaré la saisine recevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Le/la journaliste ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents.» selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

Réponse du média mis en cause

Le 11 juillet 2024, le CDJM a adressé à M. Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, avec copie à M. Stéphane Saulnier, chef du service infographie, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 12 juillet 2024, M. Saulnier a répondu en remerciant « la vigilance de ce lecteur qui nous oblige ». Il reconnaît qu’il « s’agit d’une erreur de représentation » due à « la méthode utilisée pour réaliser, dans l’urgence, ce visuel ». Il assure que « les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise pas » ont été prises et qu’est « [poursuivie] par ailleurs, la recherche des différents articles et formats dans lesquels le visuel erroné se trouve afin d’effectuer les mises à jour nécessaires ».

Analyse du CDJM

➔ Le visuel qui illustre l’article du Figaro au soir du premier tour des élections législatives de juin 2024 est un demi-cercle figurant l’hémicycle de l’Assemblée nationale, découpé en cinq sections de couleur dans lesquelles figure le nombre prévisionnel de sièges de chaque famille politique à l’issue du second tour des élections, dans l’hypothèse de votes identiques et d’absence de désistements aux dépens de l’extrême droite.

L’article lui-même est une synthèse des déclarations des dirigeants des formations politiques introduite par la phrase : « À peine les résultats du premier tour étaient-ils tombés que tout le monde avait déjà les yeux rivés vers le 7 juillet. »

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Lemaignent, requérant, constate qu’une « une analyse approfondie des proportions visuelles révèle des erreurs significatives qui induisent les lecteurs en erreur. Les segments de la majorité présidentielle et du Nouveau Front populaire sont représentés comme étant plus grands que ceux du RN et de ses alliés et de LR et des divers droite, alors que les totaux numériques montrent le contraire. »

Effectivement, l’arc de cercle correspondant à la majorité présidentielle est surdimensionné par rapport au nombre de sièges correspondants. Les arcs de cercle attribués au Nouveau Front populaire et au Rassemblement national mesurent tous les deux 60 degrés, alors que l’un est crédité de 180 à 200 sièges, l’autre de 240 à 270.

Cette infographie qui, par ailleurs, n’indique pas quelle est la source des données utilisées pour sa réalisation, donne une représentation inexacte des projections en sièges. Le grief est fondé.

Sur la non-rectification d’une erreur

➔ Informé par le CDJM le 11 juillet à 19 h 27 de la saisine de M. Lemaignent, Le Figaro procède le lendemain matin au retrait de l’infographie erronée : cette mise à jour est datée du 12 juillet 2024 à 10 h 59. L’analyse des captures disponibles sur le service Wayback Machine de l’organisme Internet Archive le confirme : la première occurrence enregistrée de la page présentant une autre illustration date du 15 juillet 2024 à 10 h 13, alors qu’une capture du 11 juillet 2024 à 19h51 ne porte pas mention de la mise à jour. M. Stéphane Saulnier, chef du service infographie, en informe le CDJM à 11 h 33.

Le CDJM constate que cette infographie erronée est restée en ligne plusieurs jours, mais prend acte de la réaction du Figaro de la retirer dès qu’il en a été alerté, ainsi que des démarches entreprises pour retirer ce « visuel erroné des différents articles et formats ».

Il souligne cependant que le simple retrait d’une information erronée, quelle que soit sa forme, n’est pas à proprement parler un rectificatif, qui doit expliquer aux lecteurs en quoi l’information représentée était fausse.

Il constate qu’à la date du 12 novembre 2024, l’infographie inexacte est toujours accessible via le portail MSN.

➔ Le CDJM rappelle qu’une modification apportée à un acte journalistique n’est complète que si elle figure sur toutes les versions diffusées. Il invite les médias à veiller à ce que les corrections ou modifications apportées à un acte journalistique figurent dans les versions mises en ligne sur les différents supports proposés, et à se doter des outils juridiques et/ou techniques qui permettent de corriger des erreurs sur des supports tiers ayant repris une publication.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 novembre 2024 en séance plénière, estime que l’obligation d’exactitude n’a pas été respectée mais que celle de rectifier une erreur l’a été.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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