Avis sur la saisine n° 24-118

Adopté en réunion plénière du 8 octobre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 29 juin 2024, M. Killian Morand a saisi le CDJM à propos d’un article publié par quotidien Le Figaro sur son site le 28 juin 2024 et titré : « “Un flic mort, c’est un vote pour le RN en moins” : Mélenchon suscite un tollé en défendant “le droit de rigoler” » .

M. Killian Morand estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’est pas respectée par cet article, affirmant que « Le Figaro prête des propos que Jean-Luc Mélenchon n’a jamais affirmés. Il ne défend aucun slogan appelant à la mort de policiers. Citation complète : “On a le droit de rigoler. Pas sur la mort des gens. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 4 juillet 2024, le CDJM a adressé à M. Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, un courriel l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 8 octobre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article du Figaro du 28 juin 2024 revient sur une interview de M. Mélenchon sur la chaîne M6 diffusée la veille. Sous le titre « “Un flic mort, c’est un vote pour le RN en moins” : Mélenchon suscite un tollé en défendant “le droit de rigoler” », un chapô (texte introductif) indique : « Interrogé au JT de M6, le leader de la France insoumise a défendu un “droit de rigoler” au sujet du slogan scandé lors de manifestations anti-RN. »

L’article comprend trois paragraphes. Le premier expose les faits :

« “Un flic mort, c’est un vote pour le RN en moins”. C’est à propos de ce slogan scandé lors de manifestations contre le Rassemblement national, que le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a déclaré au journaliste du JT de M6 qui l’interrogeait : “C’est absurde… mais on a le droit de rigoler quand même.” “Pas sur la mort des gens, bien sûr”, a-t-il ensuite tenté de nuancer. Provoquant un véritable tollé sur les réseaux sociaux et dans le débat public. »

Les deux paragraphes suivants citent les réactions du ministre de l’Intérieur, d’un eurodéputé RN et du président de cette formation politique.

Sur le grief d’inexactitude

➔ Le CDJM a pris connaissance de l’interview de M. Jean-Luc Mélenchon par M. Xavier de Moulins dans l’émission « Le 19 45 » de M6 diffusée le 27 juin 2024. À 12 min 12 s du début se tient le dialogue suivant :

« Dans les cortèges, commence M. de Moulin, on entend qu’“un flic mort c’est un vote pour le RN en moins”.

– Non, c’est pas vrai, réagit M. Mélenchon.

– … Ou que tout le monde déteste la police…

– Non.

– … Qu’est-ce que vous dites aux gens qui disent ça, poursuit le journaliste.

– Non non non, répète le leader insoumis.

– … Je ne dis pas que vous dites ça. Je dis : qu’est-ce que vous dites à ceux qui disent ça ?

– Que c’est absurde. Mais, on a le droit de rigoler aussi, non ?

– Pas…, commence M. de Moulin.

– Pas sur la mort des gens, répond M. Mélenchon, mais quand des gamins disent…

– C’est pas drôle !

– Bien sûr que c’est pas drôle.

– Ma question c’est : qu’est-ce que vous dites aux gens qui disent que tout le monde déteste la police ? Vous dites…

– Je viens de vous répondre, explique M. Mélenchon, mais est-ce que vous vous rendez compte ?

– Maintenant je voudrais avoir une mesure, s’il vous plaît, M. Jean-Luc Mélenchon, sur la sécurité. Qu’est-ce que vous proposez aujourd’hui pour assurer la paix intérieure de la cité ?

– Voilà. »

➔ Le CDJM constate :

  • Le titre comprend deux éléments de citation mis entre guillemets : « Un flic mort, c’est un vote pour le RN en moins » et « le droit de rigoler ».
  • Le contexte général est explicité dans le chapô.
  • La citation complète du passage est reprise dans le premier paragraphe.

La forme de la phrase : « “Un flic mort, c’est un vote pour le RN en moins” : Mélenchon suscite un tollé … » suggère que M. Jean-Luc Mélenchon est l’auteur de la formule « Un flic mort, c’est un vote pour le RN en moins ». Or, comme indiqué sans ambiguïté dans le premier paragraphe de l’article, il s’agit d’ un slogan sur lequel M. Mélenchon est invité à donner son avis.

Le CDJM rappelle qu’un titre est le reflet du texte qui va suivre, sans exprimer tout le contenu de l’article. Toutefois, l’information qu’il fournit doit être rigoureusement exacte. En l’espèce, la présentation qui est faite dans le titre est de nature à tromper le lecteur : en omettant de sourcer, dans le titre, la citation comme étant un slogan, et en créant une confusion sur l’auteur, le CDJM considère que Le Figaro déroge à son devoir d’exactitude.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 8 octobre 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité a été enfreinte par Le Figaro.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

close Soutenez le CDJM !