Avis sur la saisine n° 24-105

Adopté en réunion plénière 12 novembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 31 mai 2024, M. Karim Makel a saisi le CDJM à propos de l’émission « Punchline » diffusée le 28 mai 2024 sur CNews et présentée par Mme Laurence Ferrari.

M. Makel formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité et de non-respect de la dignité humaine. Il déplore que la journaliste n’ait pas repris une de ses invités, Mme Rachel Kahn, lorsque que celle-ci a raconté être montée dans un taxi dans lequel « il y avait des sourates pour dire qu’Israël devait disparaître ». Il affirme que « dans le Coran, il n’est pas question de l’État d’Israël » et que ce propos « humilie son chauffeur de taxi et les musulmans ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos du respect de la dignité :

  • Il « respecte la dignité́ des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « respectera la dignité́ des personnes citées et/ou représentées », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 8).

Réponse du média mis en cause

Le 3 juillet 2024, le CDJM a adressé à M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, avec copie à Mme Laurence Ferrari, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 12 novembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le 28 mai 2024, à l’occasion de la séance de questions au gouvernement, le député de La France insoumise (LFI) M. Sébastien Delogu brandit un drapeau palestinien dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. La séance est suspendue et le député sanctionné. Le jour même, l’émission « Punchline » de CNews consacre le premier sujet des échanges entre les invités présents à cet incident. Le bandeau qui apparaît à l’écran indique l’angle de la discussion : « LFI : la stratégie du désordre à l’Assemblée. » Mme Laurence Ferrari donne la parole (à 8 min 8 s du début) à Mme Rachel Kahn en lui disant : « Rachel Khan, ça va plus loin simplement que de l’agitation, là. Il y a un filon que poursuit effectivement cette mouvance politique ? »

Mme Khan, présentée en incrustation comme « essayiste et juriste », répond (à 8 min 16 s) :

« Moi je suis très triste, hein, Laurence. C’est indigne. Indigne de nos institutions. C’est pas que la France insoumise importe le conflit, c’est qu’elle installe le conflit. Et qu’elle installe l’antisémitisme. Et je vais vous dire, aujourd’hui, pour la première fois, j’ai eu peur. J’ai pris un taxi aujourd’hui et quand je suis entrée dans le taxi, il y avait des sourates pour dire qu’Israël devait disparaître. Voilà ce qu’on peut vivre aujourd’hui. On a peur de prendre le RER, on a peur de reprendre le taxi. Donc notre liberté d’aller et venir est entachée. Et on a ces personnes qui sont soi-disant nos représentants qui nous mettent en sous-texte une cible dans le dos. »

Mme Ferrari passe ensuite la parole à une autre invitée, Mme Sabrina Medjebeur, essayiste.

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Karim Makel estime que ce que Mme Rachel Khan « raconte est impossible ». Il fait alors ce qu’il nomme un « petit rappel », écrivant dans sa saisine les mentions : « Coran : 610/632 après J.-C. » et « Israël création en 1948 ». Il ajoute que « dans le Coran, au risque de me répéter, il n’est pas question de l’État d’Israël ». Selon lui, cela aurait dû susciter une intervention de Mme Ferrari pour rectifier les propos de son invitée.

➔ Le récit de Mme Kahn est imprécis. Elle dit : « Je suis entrée dans le taxi, il y avait des sourates pour dire qu’Israël devait disparaître. » Elle ne précise pas s’il s’agissait-il d’écrits (des affichettes dans le taxi ?) ou de sons (une émission de radio, un enregistrement ?), ni si ces « sourates » étaient en arabe ou traduites en français.

L’usage lui-même du mot « sourate » porte à interrogation. Une sourate est en effet un extrait d’écriture sacrée ; c’est le nom communément donné aux chapitres du Coran. Le Coran a environ 1 400 ans (il date des années 600, soit le VIIe siècle après Jésus-Christ). Il n’y est jamais question de l’État d’Israël, proclamé en 1948. En revanche, plusieurs versets – l’équivalent de paragraphes – évoquent les juifs. Ils sont désignés avec les termes « juifs », « enfants d’Israël » ou « gens du Livre ». La lecture du Coran est sujette à interprétations, comme le relevait un article du journal Le Monde sur ce sujet. Mais il n’y a aucun consensus parmi les spécialistes sur un appel à la destruction d’Israël ou du « peuple d’Israël ».

➔ Mme Laurence Ferrari est une journaliste expérimentée qui ne peut pas ignorer ces débats, ni que le Coran a été écrit avant la création de l’État d’Israël, et qu’il ne dit pas qu’« Israël devait disparaître ». Ancienne présentatrice du 20 heures de TF1 et animatrice d’une émission quotidienne sur CNews, elle est rompue à la gestion d’un direct et sait intervenir pour reprendre un interlocuteur qui fait une digression problématique.

Le CDJM considère qu’alors que son invitée, par sa courte histoire de taxi, laisse à penser qu’il est acquis que des sourates du Coran appellent à la destruction de l’État d’Israël, que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité aurait dû conduire Mme Ferrari à demander des précisions et/ou à tempérer le récit de Mme Khan.

Sur le grief d’atteinte à la dignité

➔ Le requérant estime que le propos de Mme Kahn « humilie le chauffeur de taxi et les musulmans ».

➔ Mme Rachel Khan n’est pas journaliste, et s’exprime dans les limites de la liberté d’expression, qui exclut toute provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 24 de la loi du 29 juillet 1881). La phrase qui lui est reprochée par le requérant ne comporte pas de propos humiliants ou discriminants : le « chauffeur de taxi » n’est pas identifié, aucun groupe ni aucun individu n’est cité.

Si la recherche de l’exactitude aurait dû conduire Mme Ferrari à demander des précisions, elle n’avait pas à interpeller son invitée sur une mise en cause inexistante du chauffeur de taxi ou des musulmans.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 novembre 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité a été enfreinte, mais pas celle de respect de la dignité.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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