Avis sur la saisine n° 24-100

Adopté en réunion plénière du 12 novembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 29 mai 2024, Mme Lucie Iskandar, agissant au nom de la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en France en qualité de déléguée générale, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 1er mars 2024 par le site Le Café Pédagogique et titré « École sans écrans de la Silicon Valley : du mythe à la réalité ».

La requérante estime d’abord que ​​« cet article présente une vision fausse de la réalité de la pédagogie Steiner-Waldorf » et cite trois passages de l’article qu’elle estime inexacts. Elle regrette ensuite que la publication de cet article n’ait pas été précédée d’une offre de réplique permettant à son organisation de donner son point de vue sur les informations rapportées. Elle constate enfin que les erreurs commises selon elle par le média n’ont pas été rectifiées après publication.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos de l’offre de réplique :

  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

À propos de la rectification des erreurs :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

Réponse du média mis en cause

Le 21 juin 2024, le CDJM a adressé à Mme Lilia Ben Hamouda, rédactrice en chef du Café Pédagogique, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 24 juin 2024, M. Jean-Michel Le Baut, président de l’association « CIIP Café pédagogique », a répondu au CDJM. Il estime que la publication en cause « n’est pas un “article” (ce qui implique de notre part enquête, reportage, interview ou analyse), mais une brève (de simple information) ». Il affirme que « les écoles Steiner-Waldorf [sont] à peine évoquées, et leur pédagogie ne sont ni le sujet ni la cible de cette brève » dont le thème et l’angle sont « la diabolisation du numérique, en particulier du numérique éducatif, actuellement en vogue dans bien des secteurs de la société, y compris dans l’Éducation nationale ».

M. Le Baut ajoute que cette « brève présente clairement ce qui est dit à ce sujet comme l’opinion non du Café pédagogique, mais comme une restitution des analyses de Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale au syndicat Unsa-Éducation ». Il veut notamment pour preuve que « la fin de la brève [est] une citation de six lignes de Stéphanie de Vanssay qui constitue un tiers de la publication » et qu’un « lien à la fin de la brève [renvoie] vers l’article source ».

Analyse du CDJM

➔ L’article qui fait l’objet de cette saisine, non signé et long de 1 360 signes environ, est présenté sur le site du Café pédagogique sous le surtitre « À l’étranger » et le titre « École sans écrans de la Silicon Valley : du mythe à la réalité ». Il commence par la formule suivante « Sur son indispensable site Dérives scolaires, Stéphanie de Vanssay enquête sur un mythe tenace… » À son pied figurent deux liens hypertextes : le premier renvoie vers un texte portant le même titre et publié par Dérives scolaires, qui se présente comme « un site d’informations sur les spiritualités et pseudosciences qui infiltrent l’École » ; le second vers un autre article du Café pédagogique titré « “Les enfants et les écrans” : un anti-dictionnaire des idées reçues ».

Cette présentation signale à l’internaute que ce texte appartient au genre éditorial de la revue de presse ou « revue de liens ». Dans cet exercice de curation, un média recommande des lectures publiées par d’autres sources, en les synthétisant et en les commentant. Ici, la publication originale est un texte non signé de plus de 9 500 signes publié par Dérives scolaires. Dans sa réponse au CDJM, M. Jean-Michel Le Baut explique que cette analyse est écrite par Mme Stéphanie de Vanssay, « conseillère nationale au syndicat Unsa-Éducation, qui mène depuis des années un important et reconnu travail de veille, d’information et d’alerte ». Ce qui correspond au texte de présentation de Dérives scolaires.

➔ M. Le Baut commence sa réponse au CDJM en insistant sur le genre journalistique choisi : « La publication en cause n’est pas un “article” (ce qui implique de notre part enquête, reportage, interview ou analyse), mais une brève (de simple information). La brève en question se contente de synthétiser le contenu d’un article qui nous a semblé digne d’intérêt […] ».

Le CDJM rappelle que les règles déontologiques de la profession s’appliquent à tous les formats de publication utilisés par les journalistes. Le fait de reprendre des informations ou un commentaire publié ailleurs ne dispense pas le rédacteur de procéder à la vérification des informations diffusées ou a minima de faire preuve de prudence dans leur recension.

➔ L’article revient sur ce qui est décrit comme un « mythe tenace que véhiculent les adversaires du numérique éducatif : les employés de la Silicon Valley scolariseraient leurs enfants dans des écoles sans écrans pour les en protéger ». Se basant sur l’analyse de Mme Vanssay, il explique que « seule une école de neuf classes serait concernée, que cette école Steiner-Waldorf appartient à une organisation, l’anthroposophie, dénoncée et surveillée en France pour dérives sectaires, que les écrans y sont proscrits parce qu’“habités par le démon Ahriman” ». Suit un commentaire sur « la diabolisation du numérique » que cette histoire révèlerait, et que l’auteur associe à « la peur de la technologie, de la modernité, de l’ouverture au monde extérieur, de l’éducation aux médias et à l’esprit critique ». Le texte du Café pédagogique se termine par une longue citation de l’analyse publiée par Mme Vanssay.

Sur le non-respect de l’exactitude et de la véracité

➔ Dans sa saisine, Mme Lucie Iskandar pointe un premier passage de l’article qu’elle juge erroné. À propos du seul exemple d’école « sans écrans » [la Waldorf School of Peninsula, en Californie, qui a fait l’objet d’un reportage dans le New York Times en 2011, ndlr], le texte indique que « cette école Steiner-Waldorf appartient à une organisation, l’anthroposophie, dénoncée et surveillée en France pour dérives sectaires ». Mme Iskandar explique au CDJM que « les écoles Waldorf n’ont été la cible d’aucune condamnation judiciaire pour dérive sectaire, comme l’a confirmé la Miviludes récemment ».

Le CDJM constate que les écoles Steiner-Waldorf font l’objet de critiques récurrentes de la part des opposants à ses pratiques pédagogiques, comme le rapportent de nombreux articles de presse à ce sujet. Il relève aussi que dans le rapport d’activité 2021 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), ces établissements font l’objet d’une présentation qui se conclut ainsi : « Le fonctionnement particulièrement opaque de ce mouvement qui cible un public vulnérable, notamment des personnes malades et des enfants, implique de s’interroger sur la mise en œuvre d’une potentielle emprise mentale sur ses membres. » Le rapport précédent précisait lui : « À ce jour, la Miviludes n’a pas eu connaissance de cas avérés de dérives de nature sectaire dans les écoles Waldorf-Steiner. Cependant, la Miviludes reste attentive et elle recommande la vigilance sur certains points […] »

La formule utilisée par le Café pédagogique – « une organisation, l’anthroposophie, dénoncée et surveillée en France pour dérives sectaires » – ne constitue donc pas une inexactitude ; sur ce point, le grief n’est pas fondé.

➔ Mme Iskandar considère que la suite immédiate du texte contient une deuxième inexactitude : « Il s’avère que seule une école de neuf classes serait concernée, que cette école Steiner-Waldorf appartient à une organisation, l’anthroposophie, dénoncée et surveillée en France pour dérives sectaires, que les écrans y sont proscrits parce qu’“habités par le démon Ahriman”. »

Elle explique dans sa saisine que les écrans ne sont pas, pour l’organisation qu’elle représente, le lieu de résidence d’un quelconque démon. Selon elle, « l’introduction au numérique et aux médias fait partie du programme scolaire Waldorf. Elle est introduite dans les classes de façon appropriée à chaque âge […]. La technologie et la modernité sont accueillies par ces écoles, qui prônent en outre une grande ouverture aux autres personnes, aux autres cultures et au monde extérieur en général. »

Dans sa réponse au CDJM, M. Le Baut considère que « les écoles Steiner-Waldorf, à peine évoquées, et leur pédagogie ne sont ni le sujet ni la cible de cette brève. Son thème et son angle, c’est la diabolisation du numérique, en particulier du numérique éducatif. »

Le CDJM n’a pas vérifié le rôle exact joué par le « démon Ahriman » dans les textes sur lesquels se fondent la pédagogie Steiner-Waldorf. Il relève que dans la phrase visée, le passage « les écrans y sont proscrits parce qu’“habités par le démon Ahriman” » concerne l’école californienne qui est le sujet de la phrase, et non les écoles françaises que représente la requérante. Sur ce point, le grief d’inexactitude n’est pas fondé.

➔ Mme Iskandar conteste un troisième passage, dans la suite de l’article : « La diabolisation du numérique y dit la peur de la technologie, de la modernité, de l’ouverture au monde extérieur, de l’éducation aux médias et à l’esprit critique. » Elle explique que les écoles qu’elle représente « prônent […] une grande ouverture aux autres personnes, aux autres cultures et au monde extérieur en général. Toute la pédagogie Steiner-Waldorf repose sur le développement de la liberté de la personne et de son esprit critique, tout en respectant le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. »

Le CDJM constate que la phrase concernée relève moins, de la part du Café pédagogique, d’une description des méthodes utilisées au sein des écoles Steiner-Waldorf françaises, et davantage d’une considération générale sur le rapport aux écrans dans le monde de l’éducation. Sur ce point, le grief d’inexactitude n’est pas fondé.

Sur le non-respect de l’offre de réplique

➔ Dans sa saisine, Mme Iskandar relève que l’article du Café pédagogique, « n’a pas été précédé d’une offre de réplique à l’encontre de la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf, qui représente les écoles Waldorf en France ». Dans sa réponse au CDJM déjà citée, M. Le Baut explique que « les écoles Steiner-Waldorf, à peine évoquées, et leur pédagogie ne sont ni le sujet ni la cible de cette brève ». Le CDJM constate que le texte n’évoque ni la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en tant que telle, ni une des écoles françaises qu’elle représente, se contentant d’évoquer « une organisation, l’anthroposophie, dénoncée et surveillée en France pour dérives sectaires ». Il n’y avait donc pas l’obligation de proposer une offre de réplique à la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf avant publication ; le grief n’est pas fondé.

Sur le non-rectification des erreurs

➔ Le CDJM n’ayant pas relevé d’informations fausses ou d’inexactitudes dans l’article objet de la saisine, ce grief n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM réuni le 12 novembre 2024 en séance plénière, estime que les règles déontologiques relatives au respect de l’exactitude et de la véracité, à l’offre de réplique et à la rectification des erreurs ont été respectées.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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