Avis sur la saisine n° 24-099 et similaire

Adopté en réunion plénière du 14 janvier 2025 (version PDF)

Description de la saisine

Le 27 mai 2024, M. Johann Just a saisi le CDJM à propos de la chronique « E=M6… au Carré » de M. Mac Lesggy diffusée sur RTL le 26 mai 2024. Elle peut être écoutée sur le site de la radio, dans une page qui propose aussi une version écrite sous le titre « Les réserves de pétrole bientôt épuisées ? Mac Lesggy fait le point sur la situation ».

M. Johann Just formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. Il considère inexacts les propos de M. Lesggy lorsqu’il indique que « l’extraction du pétrole elle-même ne pose pas de problème climatique majeur », que « la pétrochimie moderne, parfois, n’est pas émettrice de CO2, certaines industries, par exemple les fabricants d’engrais azotés, développent des procédés pour capter et séquestrer les émissions de CO2 ». Il met aussi en cause l’affirmation que la captation de CO2 permettrait de compenser les émissions de certaines industries pétrochimiques.

M. Jean-Claude Sotto a saisi le CDJM le 29 mai 2024 à propos de cette même chronique (saisine 24-101) pour inexactitude. Il avance des arguments similaires en se référant à la version écrite de la chronique de M. Lesggy.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 31 mai 2024, le CDJM a adressé à M. Frank Moulin, directeur de la rédaction de RTL, avec copie à M. Mac Lesggy, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 14 janvier 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La chronique de M. Mac Lesggy est consacrée au pétrole, dont « on nous dit que les réserves seront bientôt, tout bientôt épuisées », dit le présentateur avant de lui donner la parole. M. Lesggy explique qu’on ne sait pas réellement quand les réserves de pétrole seront épuisées. Relancé par le présentateur qui lui dit « On est d’accord, Mac ? Pour le climat, ce n’est pas très bien d’extraire du pétrole ? », il répond : « Je vais peut-être vous surprendre : pas du tout. Vis-à-vis du climat et des émissions de CO2, l’extraction de pétrole ne pose pas de problème. » Il affirme que ce qui est « très mauvais, […] c’est de brûler ce pétrole dans le moteur d’une voiture, d’un camion, d’un bateau ».

Le présentateur intervient en disant : « Oui, mais si on extrait du pétrole c’est bien pour en faire du carburant ? » M. Lesggy confirme, mais ajoute qu’il ne faut pas « oublier tous les autres usages du pétrole, les plastiques, les engrais, les cosmétiques, les lubrifiants, et j’en passe » qui, selon lui, représentent 40 % de la « valorisation du pétrole brut », et que « cette pétrochimie n’est pas nécessairement émettrice de C02 : les fabricants d’engrais azotés, par exemple, à partir du pétrole, développent des procédés pour capturer et séquestrer le CO2 émis par la fabrication ».

La fin de la chronique est un dialogue au cours duquel M. Lesggy explique que les réserves de pétrole ont été revues à la hausse grâce aux « réserves de pétrole non conventionnel » et à la découverte de gisements en Antarctique, ce dont il faut « se réjouir un peu car un monde sans une goutte de pétrole est aujourd’hui difficile à imaginer, mais s’en inquiéter surtout : ces découvertes contribuent à maintenir des prix bas ce qui rend plus compliquée la transition vers des énergies bas carbone, nucléaire, renouvelable, etc. ».

Sur l’impact climatique de l’extraction du pétrole

➔ Les requérants relèvent d’abord la phrase de M. Lesggy « l’extraction du pétrole elle-même ne pose pas de problème climatique majeur ». M. Just affirme qu’on ne peut dire cela car, écritil, « lors de l’extraction de pétrole, charbon et gaz, des fuites de méthane ont lieu. Des chercheurs du CNRS et du CEA ont estimé que ces fuites étaient responsables d’un quart des émissions mondiales de méthane ». M. Sotto cite aussi ces recherches et ajoute que le méthane est un « gaz au pouvoir réchauffant global 28 fois supérieur au CO2 ».

➔ Le CDJM a consulté plusieurs sources citées par les requérants.

Sur le site du CNRS, on lit que « pour la première fois, une équipe de recherche internationale, pilotée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/UVSQ) associé à la société Kayrros , a quantifié mondialement les plus abondantes des émissions de méthane libérées dans l’atmosphère par le secteur des hydrocarbures. Il peut s’agir de rejets accidentels ou liés à des opérations de maintenance, qui conduisent à des fuites très importantes. Les chercheurs ont pour cela analysé de façon systématique des milliers d’images produites quotidiennement pendant deux ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Ils ont ainsi cartographié 1 800 panaches de méthane à travers le globe, dont 1 200 ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures. Ils estiment que ces “fuites” ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an ». 

Le programme des Nations unies pour l’environnement indique de son côté que « des fuites massives de méthane, connues sous le nom de “super-émissions”, se sont produites dans des champs pétroliers et gaziers du monde entier, des États-Unis au Turkménistan ». Selon un article publié le 3 février 2022 dans le magazine Science, « les émissions de méthane provenant de la production et du transport de pétrole et de gaz contribuent de manière significative au changement climatique. Les ultra-émetteurs sont principalement détectés au-dessus des plus grands bassins de pétrole et de gaz naturel à travers le monde. Avec une contribution totale équivalente à 8 % à 12 % (environ 8 millions de tonnes de méthane par an) des émissions de méthane de la production mondiale de pétrole et de gaz. »

Ces publications décrivent des phénomènes qu’on ne peut ignorer ni considérer comme négligeables. On ne peut affirmer péremptoirement que « l’extraction du pétrole elle-même ne pose pas de problème climatique majeur ».

Sur la captation de CO2

Les deux requérants estiment que M. Lesggy « laisse penser que la captation de CO2 permettrait de compenser l’intégralité des émissions de certaines industries pétrochimiques ». M. Just qualifie cela de fallacieux et M. Sotto affirme que « c’est hélas contraire aux faits : ces captures sont faibles et c’est négliger le fait que les produits fabriqués (engrais, matière plastiques) finissent pour leur majeure partie par relâcher le CO2 qu’ils contiennent ».

➔ M. Lesggy dit à l’antenne que « cette pétrochimie n’est pas nécessairement émettrice de CO2. Les fabricants d’engrais azotés, par exemple à partir du pétrole, développent des procédés pour capturer et séquestrer le CO2 émis par la fabrication ». Dans la version écrite de sa chronique, on lit : « La pétrochimie moderne, parfois, n’est pas émettrice de CO2, certaines industries, par exemple les fabricants d’engrais azotés, développent des procédés pour capter et séquestrer les émissions de CO2. »

Contrairement à ce qu’affirment les requérants, il n’est pas dit que la captation de carbone « permettrait de compenser l’intégralité des émissions » de CO2 de l’industrie pétrochimique. Le journaliste de RTL précise bien que la pétrochimie peut émettre du CO2 – elle « n’est pas nécessairement émettrice de CO2 », dit-il, ce qui revient à dire qu’elle peut l’être. La version écrite est plus clairement prudente : « La pétrochimie moderne, parfois, n’est pas émettrice de CO2. » Il y a l’affirmation que la capture de carbone peut être parfois être un frein à l’émission de CO2 par la pétrochimie. Les requérants ne partagent pas cette analyse, mais elle ne se fonde pas sur une inexactitude factuelle.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 janvier 2025 en séance plénière, estime que RTL n’a pas respecté l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité dans un deux passages relevés par les requérants.

Les saisines sont déclarées partiellement fondées.

Cet avis a été adopté par consensus.

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