Adopté en réunion plénière du 10 septembre 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 26 mai 2024, M. Didier Gassiot a saisi le CDJM à propos d’un article publié sur le site du quotidien régional Sud Ouest le 22 mai 2024 sous le titre « Ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse : SNCF Réseau reçoit des compliments environnementaux ».
M. Gassiot formule d’abord le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. Il considère que « le titre de l’article et le chapô sont flatteurs pour le maître d’ouvrage et laissent à penser aux lecteurs que SNCF Réseau a rempli les obligations environnementales concernant des aménagements ferroviaires du sud de Bordeaux » mais que ce titre « ne correspond pas aux études dont il est fait mention dans l’article ».
Le requérant considère ensuite qu’il y a confusion entre publicité et information, affirmant que « la Région Nouvelle-Aquitaine et son président sont des promoteurs du projet » et qu’il « est de notoriété que le journal [Sud Ouest, ndlr] est largement financé par le Conseil régional ». Il s’interroge ensuite ces termes : « On peut naturellement se poser la question de savoir si le journaliste a fait un travail d’information ou a servi d’outil de communication et de publicité aux promoteurs du GPSO [Grand projet ferroviaire du Sud Ouest, ndlr]. »
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
À propos de la confusion entre journalisme et communication :
- « Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il ne doit jamais « confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
- Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
Réponse du média mis en cause
Le 31 mai 2024, le CDJM a adressé à M. Jean-Pierre Dorian, directeur de la rédaction de Sud Ouest, avec copie à M. Benoît Lasserre, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 23 juillet 2024, M. Rémi Monnier, médiateur de la rédaction de Sud Ouest, a répondu au CDJM. Il note que les aménagements ferroviaires du sud de Bordeaux font partie du projet LGV, sans lesquels il n’existerait pas, et que l’article, comme ceux « immensément nombreux au fil des ans » consacrés à ce projet et aux rapports qui le concernent « ne saurait être exhaustif, tant ces rapports sont longs. Nous en faisons donc la synthèse, fatalement jugée subjective par un certain nombre de nos lecteurs, mais en essayant de résumer au mieux, pour le public non spécialiste, ce qu’il faut en retenir. »
M. Monnier écrit que « l’accusation selon laquelle le journal Sud Ouest est “financé par la Région Nouvelle-Aquitaine” […] relève purement de la diffamation », que « pour ce qui est du dossier LGV, Sud Ouest a largement donné – et continue de le faire – la parole aux opposants du GPSO ». Il renvoie à la charte de la rédaction de Sud Ouest et « en particulier son article 30 », intitulé « Séparer l’information de la publicité et de la communication ».
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause, signé par M. Benoît Lasserre, est titré : « Ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse : SNCF Réseau reçoit des compliments environnementaux ». Ce titre est suivi d’un chapô (texte introductif) indiquant : « Deux organismes en charge de la protection de l’environnement saluent les efforts de SNCF Réseau pour le chantier des aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux, compris dans le projet de ligne à grande vitesse. »
Les trois premiers paragraphes rappellent qu’« en septembre dernier, SNCF Réseau s’était fait vertement taper sur les doigts par l’Autorité environnementale à propos des aménagements ferroviaires au nord de Toulouse (AFNT) » avant qu’une enquête publique ne conclue à un avis favorable sur ce tronçon. Les trois paragraphes suivants résument « l’avis de la même Autorité environnementale et du Conseil national de protection de la nature qui viennent, au contraire, de décerner un bon point à l’entreprise ferroviaire pour son dossier sur les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB) » en citant largement un communiqué de SNCF Réseau.
Cet article est illustré par la photo d’un TGV traversant des vignobles, ainsi légendée : « Bon point environnemental pour les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux, préliminaires à la ligne à grande vitesse allant vers Toulouse et Dax. »
Sur le grief d’inexactitude concernant le titre de l’article
➔ Le requérant, M. Gassiot, écrit que « le titre de l’article, bien qu’accrocheur, ne correspond pas aux études dont il est fait mention dans l’article. Le titre mentionne : “Ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse : SNCF Réseau reçoit des compliments environnementaux”, or il ne s’agit pas d’un rapport sur ce sujet mais sur une des composantes du projet qui fait l’objet d’une étude indépendante ».
Le médiateur de Sud Ouest justifie indirectement le titre de l’article en notant dans sa réponse au CDJM que « les rapports portent en effet sur les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux » puis en soulignant que « ces AFSB font partie du projet LGV puisqu’il n’y a pas de ligne à grande vitesse sans ces aménagements ».
➔ Le CDJM rappelle qu’un titre doit certes synthétiser le contenu d’un article mais qu’il doit aussi, comme tous les éléments qui composent cet article, respecter les faits. Cela d’autant plus que le titre apparaît fréquemment seul sur les supports numériques rediffusant un article, et qu’une partie du public n’ouvre pas le lien vers l’article lui-même. En l’occurrence, même si le chapô de l’article précise que seul le tronçon au sud de Bordeaux est concerné, ce titre est factuellement inexact puisque les « compliments environnementaux » ne s’adressent qu’à cette partie nord de la LGV Bordeaux-Toulouse.
Sur le grief d’inexactitude concernant le corps de l’article
➔ M. Gassiot estime que « l’auteur fait une présentation positive de ces rapports en n’en faisant qu’une lecture partielle tronquée et choisie pour manifestement valoriser le projet et influencer le lecteur à la veille d’une enquête publique environnementale ».
M. Rémi Monnier, au nom de Sud Ouest, indique que « les rapports portent en effet sur les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB), qui doivent faire l’objet d’une enquête d’utilité publique, et dont la date a été retardée par le préfet Étienne Guyot en raison des législatives. Mais ces AFSB font partie du projet LGV, puisqu’il n’y a pas de ligne à grande vitesse sans ces aménagements. D’autres articles, immensément nombreux au fil des ans, ont d’ailleurs été écrits sur ces rapports, sur sudouest.fr ainsi que dans les pages de Sud Ouest Gironde. Et aucun de ces articles ne saurait être exhaustif, tant ces rapports sont longs. Nous en faisons donc la synthèse, fatalement jugée subjective par un certain nombre de nos lecteurs. »
➔ Le CDJM ne peut préjuger de l’intention du journaliste et laisse au requérant la responsabilité de son interprétation subjective. Sur le fond, il note que l’article ne se rapporte pas directement aux rapports cités, mais à la présentation qu’en fait SNCF Réseau. En effet, on lit dans un communiqué diffusé le 22 mai 2024 par SNCF Réseau – Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) :
« L’Autorité environnementale et le CNPN ont relevé la qualité du dossier produit. SNCF Réseau présente ainsi un dossier particulièrement détaillé, présentant l’état initial et les enjeux du territoire. Le dossier évalue les impacts des AFSB et propose les mesures permettant d’éviter, de réduire ou de compenser ces impacts. Il prend en compte les différentes thématiques (eau, espèces protégées, défrichements…) qui font l’objet d’une synthèse dans l’étude d’impact. »
Or Sud Ouest écrit : « Les sourires vont changer de visage avec l’avis de la même Autorité environnementale et du Conseil national de protection de la nature qui viennent, au contraire, de décerner un bon point à l’entreprise ferroviaire pour son dossier sur les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB). L’Autorité et le CNPN relèvent “la qualité du dossier produit. SNCF Réseau présente ainsi un dossier particulièrement détaillé, présentant l’état initial et les enjeux du territoire. Le dossier évalue les impacts des AFSB et propose les mesures permettant d’éviter, de réduire ou de compenser ces impacts. Il prend en compte les différentes thématiques (eau, espèces protégées, défrichements…) qui font l’objet d’une synthèse dans l’étude d’impact”. »
Cette citation n’est pas extraite des rapports cités, mais bien du communiqué de SNCF Réseau – GPSO, qui présente sa lecture de ces rapports sous le jour qui lui est favorable. Elle est attribuée à tort par Sud Ouest à « l’Autorité et le CNPN », ce qui est une inexactitude.
➔ Le requérant estime que « concernant l’avis de l’Autorité environnementale, le résumé en quelques lignes d’un rapport de 32 pages ne fait à aucun moment état des 45 recommandations de l’instance mettant en évidences des manquements, des insuffisances, des sous-évaluations des incidences et même des non-conformités règlementaires sur quasiment tous les volets du projet. Concernant l’avis du Conseil national de protection de la nature, ce ne sont pas moins de douze points qui sont retoqués. Bizarrement, l’avis du CNPN n’est pas donné dans cet article, alors qu’il semble que ce soit tout de même l’information factuelle la plus importante de ce rapport ».
La lecture de la synthèse de l’avis de l’Autorité environnementale (AE) publié le 25 avril 2024 permet de constater que, si l’AE, souligne la façon satisfaisante dont le maître d’ouvrage traite de plusieurs volets, « et même parfois à un niveau peu commun dans les études d’impact analysées par l’AE », elle mentionne aussi que « l’objectif d’un dossier autonome n’est atteint que partiellement pour certains volets importants (description du projet, trafics et déplacements non traités, démarche éviter-réduire-compenser encore inaboutie pour la biodiversité et le bruit). L’étude d’impact doit donc être encore complétée pour atteindre ce but ». L’AE recommande pour cela des améliorations en cinq points, souhaitant également que le « résumé non technique [soit] complété dans un format plus communicant, en cohérence avec l’ensemble de l’étude d’impact ».
Le CDJM observe ensuite que l’avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN) sur les aménagements ferroviaires sud de Bordeaux, en date du 26 avril 2024, est beaucoup plus nuancé que ce que laisse entendre l’article sur la base du communiqué de SNCF Réseau. Au terme d’une analyse d’une dizaine de pages, le CNPN conclut :
« Le CNPN tout en soulignant la qualité du dossier sur un grand nombre de points, émet un avis défavorable à cette demande de dérogation, qui doit être davantage travaillée et précisée, notamment sur les aspects de la compensation et du respect de la trame verte. Devra notamment être fourni un bilan, par espèce, des pertes et des gains attendus des mesures de compensation afin de pouvoir garantir un gain net de biodiversité. »
Dans sa réponse au CDJM déjà citée, Sud Ouest insiste sur l’impossibilité d’être exhaustif dans chacun des très nombreux articles consacrés à cette LGV et aux rapports qui lui sont consacrés. Il invoque la nécessité d’en faire une « synthèse ». Le CDJM n’en disconvient pas, mais souligne qu’un résumé doit restituer le sens général des documents décrits. Le CDJM constate à la lecture des rapports dont il est question dans l’article de Sud Ouest du 22 mai qu’ils ne sont pas exempts de critiques et multiplient les réserves. Il considère qu’il est inexact, comme le fait l’article de Sud Ouest, de conclure sans nuance que ces études « viennent de décerner un bon point à l’entreprise ferroviaire ».
Sur le grief de confusion entre publicité et information
➔ Le requérant rappelle que « la Région Nouvelle-Aquitaine et son président sont des promoteurs du projets AFSB. Il est de notoriété que le journal est largement financé par le Conseil régional. Aussi, à la lecture de cet article aussi partial qui présente de façon aussi biaisée ces deux rapports essentiels dans l’enquête environnementale qui va s’ouvrir et au vu de l’importance des enjeux que représente ce projet, on peut naturellement se poser la question de savoir si le journaliste a fait un travail d’information ou a servi d’outil de communication et de publicité aux promoteurs du GPSO. »
Le CDJM rappelle que ce qui est « de notoriété » est aussi difficilement vérifiable et que le propos du requérant est un point de vue subjectif, un sentiment qu’il eût été judicieux d’étayer de faits, ce qu’il ne fait pas. Ce grief est infondé.
➔ Il note que M. Rémi Monnier cite dans sa réponse l’article 30 de la charte de la rédaction de Sud Ouest. Ce texte pose que « Sud Ouest veillera, quel que soit son support, à bien séparer graphiquement ce qui relève de l’information, donc de son indépendance éditoriale, clé de voûte de sa crédibilité, des espaces de communication et de contenus publicitaires » puis détaille les bonnes pratiques qui vont dans ce sens.
Le CDJM observe en l’espèce l’utilisation dans le corps d’un article d’un extrait d’un communiqué de presse de SNCF Réseau, non identifié comme tel. Cela pourrait s’apparenter à une confusion entre information et communication, puisque SNCF Réseau est un des commanditaires du projet dont il est question. Cependant, le CDJM considère qu’il s’agit davantage d’une inexactitude, d’une citation mal attribuée, que d’une volonté délibérée – la réponse du médiateur en témoigne – de « servir d’outil de communication » à qui que ce soit.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 10 septembre 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de ne pas confondre information et publicité ou communication n’a pas été enfreinte par Sud Ouest, mais que l’obligation d’exactitude et de véracité l’a été dans le titre et le corps de l’article.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.