Avis sur la saisine n° 24-094

Adopté en réunion plénière du 24 septembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 17 mai 2024, Mme Veronica Antonelli a saisi le CDJM à propos d’une émission intitulée « Montmartre est une fête », diffusée le 16 mai 2024 par France Télévisions sur la chaîne France 3 Paris-Île-de-France à 23 heures dans la série « La France en vrai ».

Mme Antonelli formule d’abord le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. Elle estime inexacts les propos tenus dans ce reportage par une personne interrogée, Mme Anne-Sophie Guerrier, qui se présenterait comme la première à avoir chanté de sa fenêtre dans le quartier parisien de Montmartre pendant l’épidémie de Covid-19. Elle joint à sa saisine la copie d’un courriel adressé le 4 septembre 2023 à Mme Myriam Kebani, autrice du reportage, dans lequel elle affirme qu’elle a été la première « pendant le Covid [à chanter] a capella depuis [son] balcon à Montmartre », message dont la journaliste n’aurait pas tenu compte.

Elle considère ensuite que le sujet diffusé n’est pas « un documentaire informatif et factuel » et ne respecte pas la règle de distinction entre publicité et information en faisant, selon elle, la promotion de l’activité de Mme Guerrier.

Recevabilité

Mme Antonelli formule également le grief de plagiat à l’encontre de Mme Guerrier, la chanteuse des rues qu’elle accuse d’avoir copié son spectacle. Ce grief ne concernant pas un acte journalistique, il a été déclaré irrecevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).

À propos de l’offre de réplique :

  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

À propos du respect de la distinction entre publicité et information :

  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il ne doit jamais « confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
  • Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).

Réponse du média mis en cause

Le 23 mai 2024, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copies à Mme Myriam Kebani, réalisatrice, et à MM. Marc Degli Esposti, délégué à l’antenne et aux programmes France 3 Paris-Île-de-France, Olivier Wlodarczyk, de la société Les Beaux Docs Production, et Cyrille Perez, de la société 13 Prods, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 24 septembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ En préambule, le CDJM rappelle que son rôle est de se prononcer sur le respect de la déontologie du journalisme telle que définie dans les textes auxquels il se réfère, pas de se prononcer sur la copie ou le plagiat d’une performance artistique.

➔ Le reportage mis en cause est diffusé dans le cadre de la série « La France en vrai ». D’une durée de 52 minutes, il est consacré aux attraits touristiques de la butte Montmartre, à Paris. Mme Guerrier, dont la présence dans ce reportage est au centre de la saisine adressée au CJDM, apparaît dans quatre séquences :

  • de 10 min à 14 min 35 s, on la suit faisant visiter Montmartre à des touristes et chantant a capella dans la rue ;
  • de 22 min 37 s à 26 min 54 s, elle passe une audition au cabaret Le Lapin Agile ;
  • de 36 min 52 s à 37 min, elle discute de son engagement Lapin Agile avec les responsables de ce cabaret au cours d’un cocktail ;
  • de 42 min 33 s à 44 min, elle chante de sa fenêtre devant un parterre de touristes massés dans la rue.

Sur le grief d’inexactitude

➔ La requérante fonde ce grief sur le fait qu’une des protagonistes du reportage dit : « J’ai euh… une petite tradition maintenant depuis quelques années qui est de chanter de ma fenêtre, donc euh… maintenant ça fait euh… depuis euh… le Covid que je chante depuis ma fenêtre pour la Fête de la musique et la Fête des vendanges. »

Elle affirme que c’est elle qui a commencé à chanter depuis sa fenêtre durant le confinement en 2020 et 2021, et non Mme Guerrier. Elle indique que « la rédaction de France Télévisions a été informée de la situation par mon avocat Me Sellier et par moi-même dès le printemps 2023 », puis qu’elle a informé Mme Myriam Kebani, l’auteure du reportage, courant septembre 2023 par téléphone et par email de cette « contrefaçon et usurpation de [son] identité artistique ».

Elle joint à sa saisine la copie d’un courriel adressé le 4 septembre 2023 à la journaliste dans lequel elle précise qu’elle a « depuis le mois de mars 2023, assigné Anne-Sophie Guerrier au tribunal de Paris en contrefaçon », et « sollicite le retrait de toute mention et de toutes images de Anne-Sophie Guerrier de votre reportage pour toutes les raisons citées ci-dessus d’une part et d’autre part, je suis tout à fait légitime pour apparaître dans votre reportage sur Montmartre puisque je valorise Montmartre de ma voix a capella depuis dix ans ». Elle affirme au CDJM que « si la journaliste avait vérifié par elle-même, elle aurait constaté que Mme Guerrier ment et qu’elle ne vivait pas à Montmartre d’une part et d’autre part, que cette action solidaire de chanter et d’organiser des concerts de ma fenêtre à Montmartre, est mienne ainsi que le démontrent les centaines de vidéos Facebook, YouTube, et aussi les médias sérieux tels que l’AFP, AP News, Le 18e du mois, SBS Australia, HSB Japon, etc. ».

➔ Le CDJM rappelle qu’un journaliste a la maîtrise de ce qu’il retient ou non des éléments qu’il a recueillis pour un article ou un reportage. Il note que dans le reportage, Mme Guerrier ne répond pas à une interview quand elle fait allusion au moment où elle a commencé à chanter de son balcon. Elle est alors filmée s’adressant devant les vignes de Montmartre à la foule des touristes qui l’accompagne. Elle évoque d’abord « la Fête des vendanges, c’est vraiment un moment incroyable à Montmartre », puis enchaîne : « … où j’ai… euh… une petite tradition maintenant depuis quelques années qui est de chanter de ma fenêtre ! »

Elle est imprécise sur le début de sa « petite tradition », peut-être volontairement, disant « … donc… euh… maintenant ça fait… euh… depuis le Covid… voilà… que je chante de ma fenêtre pour la Fête de la musique et pour la Fête des vendanges ». L’expression « depuis le Covid » peut signifier qu’elle a commencé pendant le confinement ou depuis la fin de la crise du Covid-19, qui s’étend jusqu’en 2022. Le CDJM considère que la journaliste n’était pas tenue de vérifier les propos adressés par Mme Guerrier à son public, dont il n’est pas démontré qu’ils sont inexacts.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

L’offre de réplique est l’obligation déontologique pour un journaliste de prendre contact avec une personne mise en cause dans un article afin qu’elle fasse valoir, si elle le souhaite, ses arguments. Mme Veronica Antonelli n’est en aucune manière citée ou évoquée dans le reportage réalisé par Mme Myriam Kebani. Le grief d’absence d’offre de réplique n’est pas fondé.

Sur le grief de confusion entre information et publicité

➔ À l’appui du grief de confusion entre information et publicité, Mme Antonelli affirme que « Mme Kebani a vendu de la publicité de Mme Guerrier à toutes les sauces, alors qu’elle aurait dû produire un documentaire informatif et factuel. Elle a préféré ignorer ma requête ».

Le CDJM rappelle qu’un journaliste est libre du choix de ses interlocuteurs dans le cadre de son enquête. Le reportage s’intéresse à des personnes qui animent la vie de Montmartre. Plusieurs séquences sont effectivement consacrées aux activités de Mme Guerrier, ses visites chantées et sa prestation de chanteuse « à sa fenêtre ». En faire l’un des fils rouges de sa présentation de « Montmartre en fête » est un choix qui ne relève pas d’une démarche publicitaire. D’autant moins que la journaliste ne fait pas l’apologie de Mme Guerrier : ainsi, elle est filmée lors d’une audition dans un cabaret alors que le dirigeant de l’établissement lui explique qu’elle doit encore travailler pour envisager de se produire chez lui.

Comme la requérante le dit elle-même (elle écrit au CDJM : « Je ne conteste pas le choix rédactionnel de Mme Kebani qui met en avant Mme Guerrier »), prendre Mme Guerrier comme personnage emblématique de l’animation de Montmartre dans son reportage est un choix rédactionnel. Ne pas répondre positivement aux demandes que lui a adressées Mme Antonelli, dont une offre d’apparaître dans le reportage, est également un choix rédactionnel.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 24 septembre 2024 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité, d’offre de réplique et de distinction entre publicité et information n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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