Avis sur la saisine n° 24-083

Adopté en réunion plénière du 30 juillet 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 2 mai 2024, M. Patrick Albertini a saisi le CDJM à propos d’un message vidéo diffusé la veille sur le compte @frhaz ouvert sur le réseau social X par M. Frédéric Haziza, et comportant le message suivant : « Robert De Niro aux étudiants pro-palestiniens qui bloquent l’université #UCLA de Los Angeles : “Ce que vous voulez c’est un nouveau #7octobre!” ».

Le requérant formule les griefs d’inexactitude et de non-rectification d’une erreur. « Cette vidéo n’a rien à voir avec une manif contre le génocide en Palestine », écrit-il, en estimant que M. Haziza « s’en sert sans vergogne [car elle va] dans son sens » . Il affirme que le journaliste n’a publié « aucun tweet ni prise de parole rectifiant la propagation de cette fake news ».

Recevabilité

Ce message publié sur X par M. Frédéric Haziza est un acte journalistique. Il figure sur le compte @frhaz, compte qui présente M. Haziza comme journaliste à Radio J. Via l’indication #ForumRadioJ, il renvoie aussi à l’émission « Le Forum de Radio J » présentée sur le site de la radio comme « un rendez-vous politique hebdomadaire incontournable […] une référence en matière d’analyse politique et de débats de fond ». Le message en cause s’affiche, malgré l’indication « Mes tweets n’engagent que moi, éventuellement ceux qui pensent comme moi », comme une information que M. Haziza estime nécessaire de communiquer au public. Il est présenté comme une déclaration de l’acteur M. Robert de Niro à des étudiants pro-palestiniens.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

À propos de la rectification des erreurs  :

Réponse du média mis en cause

Le 15 mai 2024, le CDJM a adressé à M. Nellu Cohn, directeur de la rédaction de Radio J, avec copie à M. Frédéric Haziza, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 30 juillet 2024 aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ M. Frédéric Haziza reprend sur son compte X une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux. Il l’introduit avec la phrase suivante : « Robert De Niro aux étudiants pro-palestiniens qui bloquent l’université #UCLA de Los Angeles : “Ce que vous voulez c’est un nouveau #7octobre!” ». On voit dans cette vidéo l’acteur M. Robert de Niro admonestant des personnes qu’on ne voit pas. On l’entend dire : « Ce n’est pas un film. Ce n’est pas un film. C’est réel. […] Vous devez faire votre travail. Ensuite, il faut rentrer chez soi. […] Ils disent qu’ils vont recommencer. Encore une fois. Nous ne voulons pas de ça. Vous ne voulez pas ça. Soyons tous sérieux ! » Ces propos (en anglais) sont retranscrits dans le bas de l’image.

Ce message n’est plus visible sur le compte X de M. Haziza. Le CDJM en a retrouvé une reprise, qui le dénonce, dans un message diffusé le 1er mai 2024 à 21 h 21 sur le compte X @CharliesIngalls. Cette vidéo a été également reprise sur le compte X de M. Meyer Habib, alors député des Français de l’étranger.

Sur le grief d’inexactitude

➔ Il a été rapidement établi notamment par l’agence de presse AP que la vidéo reprise, entre autres, par M. Haziza, était la capture d’une répétition d’une scène d’une série pour Netflix, dans laquelle l’acteur joue le rôle d’un ancien président des États-Unis aux prises avec un complot centré sur une cyberattaque mondiale.

Le CDJM constate que le journaliste n’a pas vérifié l’origine de la vidéo, ni les circonstances exactes dans lesquelles M. de Niro s’exprime. Relayant cette vidéo sans recul, il n’a respecté aucun des « piliers de l’action journalistique » de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes que sont la distance critique, l’exactitude, la véracité des informations que l’on diffuse. Que d’autres médias aient repris cette vidéo ne justifie pas qu’un journaliste professionnel la reprenne sans les précautions d’usage concernant son exactitude et sa véracité, comme vérifier où et quand elle a été tournée.

D’autant que la retranscription de ce que dit M. de Niro, qui figure en incrustation, est inexacte. On l’entend dire : « Ce n’est pas un film. Ce n’est pas un film. C’est réel. […] Vous devez faire votre travail. Ensuite, il faut rentrer chez soi. […] Ils disent qu’ils vont recommencer. Encore une fois. Nous ne voulons pas de ça. Vous ne voulez pas ça. Soyons tous sérieux ! » Dans le texte incrusté dans l’image apparaît la mention « (7 octobre !) », alors que M. de Niro ne le dit pas. Cette différence aurait dû alerter un journaliste professionnel sur l’exactitude et la véracité de cette vidéo.

Sur le grief d’absence de rectification

➔ Le CDJM constate que ce message n’est plus accessible sur le compte @frhaz, ouvert sur le réseau social X par M. Frédéric Haziza, depuis au moins le 2 mai 2024 – quand le CDJM a recherché le message original en recevant la saisine, le 2 mai en fin de matinée. Le requérant affirme que le tweet initial a été posté le 1er mai à 13 h 42. Ce qui est cohérent avec sa dénonciation par le compte sur X nommé @CharliesIngalls le 1er mai à 14 h 32.

La suppression de ce message peut indiquer qu’il y a eu prise de conscience par son auteur que son contenu était inexact. Cependant, on ne peut parler de rectification d’une erreur. Le message aurait été vu, selon le requérant au moment où il saisit le CDJM, par 14 000 personnes sur le compte de M. Haziza. Celles-ci – dont certaines ont pu republier à leur tour le message en cause – n’ont jamais été informées par le journaliste que M. de Niro n’avait pas harangué des manifestants pro-palestiniens. Effacer n’est pas rectifier.

Pour information, le CDJM note que d’autres médias ont été transparents : par exemple le Jerusalem Post, qui avait publié le 1er mai 2024 à 14 h 50 un article affirmant que M. de Niro s’en prenait à des manifestants pro-palestiniens, a publié une mise à jour à 21 h 24 ce même 1er mai titrée « Robert De Niro filmed delivering monologue, mistaken for confrontation with protesters (Robert De Niro filmé lors d’un monologue, interprété à tort comme une confrontation avec des manifestants) » et précisant dès les premières lignes : « This article was edited from an original version, which mistakenly reported that De Niro was yelling at pro-Palestinian protesters. We have retracted this issue in the article. (Cet article a été édité à la suite d’une version antérieure, qui rapportait par erreur que Robert De Niro hurlait contre des manifestants pro-palestiniens. Nous avons retiré cette mention de l’article). »

Conclusion

Le CDJM réuni le 30 juillet 2024 en séance plénière estime que les obligations déontologiques d’exactitude, de vérification et de rectification n’ont pas été respectées par M. Haziza.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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