Avis sur la saisine n° 24-046

Adopté en réunion plénière du 11 juin 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 12 février 2024, M. Franck Pecot, agissant au nom du Syndicat des enseignants et des personnels des établissements d’enseignement privés, membre de l’Union nationale des syndicats autonomes (Snep Unsa) en qualité de secrétaire général, a saisi le CDJM à propos de l’émission « L’édito éco, l’actualité économique décryptée » diffusée le 1er février 2024 sur France Inter.

M. Pecot formule trois griefs : non-respect de l’exactitude et la véracité, altération d’un document, non-rectification d’une erreur. Il estime que M. Dominique Seux, auteur de l’éditorial en cause, « introduit […] un biais » dans les données sur lesquelles il appuie son analyse car, « pour comparer les salaires des professeurs et ceux des gendarmes, [il] prend uniquement en compte les salaires des seuls fonctionnaires, affectés dans les établissements publics ».

Le secrétaire général du Snep Unsa appuie le grief de non-rectification d’une erreur en adressant au CDJM la copie d’un échange avec M. Dominique Seux sur X et affirme que « malgré les éléments factuels produits, le journaliste ne rectifie pas l’erreur introduite par ses soins en utilisant le biais de la non-prise en compte des contractuels ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Réponse du média mis en cause

Le 15 février 2024, le CDJM a adressé à M. Marc Fauvelle, directeur de l’information de France Inter, avec copie à M. Dominique Seux, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 11 juin 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’éditorial de M. Dominique Seux du 1er février 2024 porte sur « une étude du ministère de la Fonction publique ». L’angle développé par le journaliste est résumé par le chapô (texte introductif) de présentation, qui figure sur le site de France Inter : « ​Les syndicats d’enseignants appellent à la grève ce lundi. Une note du ministère de la Fonction publique montre qu’avant les dernières revalorisations, les professeurs n’étaient pas rémunérés davantage que les gardiens de la paix. »

M. Seux explique dans son éditorial que « les salaires bruts perçus par les professeurs des écoles sont inférieurs à ceux des gardiens de la paix qui sont dans la rue et des brigadiers de la police nationale. Alors que les premiers appartiennent à la catégorie A de la fonction publique, normalement la plus qualifiée, et les seconds à la catégorie B ». Il ajoute que « les enseignants certifiés et agrégés sont rémunérés seulement 150 euros de plus par mois que lesdits policiers ».

Citant « des données comparatives pour les fonctionnaires portant sur 2022 » relevées dans cette étude, M. Seux note qu’« en 2022 donc, la rémunération totale, moyenne bien sûr, d’un professeur des écoles a été de 3 274 euros brut par mois. Celle d’un (ou d’une) certifié(e) de 3 605 euros et celle d’un ou d’une agrégé(e) de 4 615 euros (c’est le second degré). Celle, enfin, d’un enseignant en lycée professionnel de 3 774 euros » et conclut : « Sont-ils les chiffres qui alimentent le débat public ? À chacun de juger. »

Sur le grief d’inexactitude

➔ Au nom du Snep Unsa, M. Pecot estime que cette présentation est biaisée car elle ne prend pas en compte « les rémunérations des contractuels affectés dans les établissements publics et les rémunérations des fonctionnaires et des contractuels affectés dans les établissements privés, associés à l’enseignement public par un contrat avec l’État. » Sur cette base, il affirme que « le salaire moyen des enseignants est de 2 640 euros brut et non pas 3 549 euros comme l’annonce le journaliste. »

➔ Le CDJM constate que le requérant cite, dans l’échange qu’il a eu sur le réseau social X avec M. Seux et qu’il a communiqué au CDJM, des statistiques publiées en 2022 sur le site du ministère de l’Éducation nationale (page 38) portant sur le salaire net mensuel moyen des enseignants en 2020, alors que l’étude sur laquelle se fonde le journaliste, publiée en mars 2023, porte sur les rémunérations des fonctionnaires en 2022.

Le requérant affirme en particulier que « le salaire moyen des enseignants est de 2 640 euros et non pas 3 549 euros comme l’annonce le journaliste ». Mais le chiffre cité à l’antenne par M. Seux puis sur le site de France Inter est « 3 274 € brut par mois » et concerne « la rémunération totale, moyenne bien sûr, d’un professeur des écoles ». Cette erreur du requérant souligne au demeurant qu’il s’est lui-même référé au document sur lequel s’est appuyé Dominique Seux, puisque le chiffre de 3 549 € qu’il cite également en est tiré.

➔ Une recherche dans les statistiques de rémunération du ministère montre qu’en 2021, le salaire moyen brut mensuel d’un enseignant titulaire du premier degré – le « professeur des écoles » cité par le journaliste – dans le secteur public ou privé sous contrat est de 3 035 euros, et de 3 062 euros si on ne considère que les enseignants des établissements primaires publics. Chez les professeurs des écoles non-titulaires, le salaire en 2021 est respectivement de 2 306 euros et 2 665 euros. Ce qui fait une moyenne à 2 670 euros si on inclut les non-titulaires et les enseignants du privé sous contrat.

Indépendamment même des écarts entre les deux sources, qui tiennent à la définition du périmètre de rémunération, ces chiffres corroborent l’approche du requérant, qui aurait souhaité que le journaliste prenne en compte l’ensemble des enseignants rémunérés par l’Éducation nationale.

Cependant, ce n’est pas le type de calcul que retient le journaliste. Ainsi qu’il le justifie d’ailleurs dans l’échange de tweets qu’il a avec le requérant, il a choisi de comparer ce qui est comparable, à savoir des rémunérations entre personnes titulaires de la fonction publique mais exerçant des métiers différents. Il se fonde pour cela sur des documents statistiques officiels – l’étude du ministère de la Fonction publique « Les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes fonctionnaires dans les ministères en 2022 » – qu’il cite sans erreur.

Le CDJM considère qu’on ne peut donc parler d’un biais méthodologique qui serait susceptible d’induire l’auditeur en erreur, puisque le champ faisant l’objet des chiffres fournis par le journaliste a été clairement précisé. M. Seux indique bien qu’il se réfère à « une étude intéressante du ministère de la Fonction publique », puis précise qu’il compare les rémunérations des « professeurs des écoles […] qui appartiennent à la catégorie A de la fonction publique » et celle des « gardiens de la paix qui sont dans la rue et des brigadiers de la police nationale » qui appartiennent « à la catégorie B ».

L’angle de la chronique est bien d’opérer cette comparaison de rémunération entre différents corps de fonctionnaires exerçant des métiers différents, et pas de dresser un tableau exhaustif des rémunérations de la fonction d’enseignement, toutes catégories d’enseignants confondues. Si le requérant a toute liberté de regretter cette approche, elle relève d’un choix éditorial et ne saurait revêtir un caractère fautif du point de vue déontologique .

Sur le grief d’altération de document

➔ Se reportant à l’étude « Les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes fonctionnaires dans les ministères en 2022 » citée dans la chronique diffusée par France Inter, le CDJM constate que M. Seux ne fait pas d’erreur en reprenant les chiffres de cette étude publiée par le ministère de la Fonction publique. Il n’y a donc pas altération de document.

Sur le grief de non-correction d’erreur

Aucune erreur factuelle n’ayant été commise, le grief de non-rectification est dépourvu de fondement.

➔ Le CDJM note par ailleurs que sur le site de Radio France, le texte qui reproduit presque au mot près la chronique est complété de deux ajouts du rédacteur, en italique. Après la phrase « Selon le service statistique du ministère de la Fonction publique, dont on suppose le sérieux, en 2022 donc, la rémunération totale, moyenne bien sûr, d’un professeur des écoles a été de 3 274 euros bruts par mois », il est ajouté entre parenthèses la mention : « (cette moyenne ne tient pas compte des contractuels, NDLR) ».

Cette précision permet ainsi au lecteur de se faire une idée plus juste des chiffres rapportés. Une seconde précision est ajoutée à la version audio : elle indique que « la différence entre le brut et le net dans la fonction publique est comprise entre 15 % et 20 % (contre 23 % à 25 % dans le privé) ». Cette dernière mention n’a pas d’incidence sur cette saisine.

Conclusion

Le CDJM réuni le 11 juin 2024 en séance plénière estime que les obligations déontologiques d’exactitude, de non altération d’un document et de rectification des erreurs n’ont pas été enfreintes par France Inter.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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