Avis sur la saisine n° 24-028

Adopté en réunion plénière du 14 mai 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 1er février 2024, Mme Catherine Kremer a saisi le CDJM à propos du contenu de l’article « Affaire Stanislas : “C’est pour confirmer ce qu’il y a dans le rapport de Mediapart” » publié le 21 janvier 2024 par Le Journal du dimanche. Elle souligne que l’un des auteurs de l’article cité, M. Raphaël Stainville, « en plus d’être lui-même un ancien élève du lycée Stanislas et d’y avoir scolarisé ses enfants, est le frère de François Jubert, membre du conseil de direction de Stanislas ». Elle considère que « les liens personnels qui l’unissent à cet établissement jettent un doute sérieux quant à son objectivité dans le traitement de cette affaire ».

La requérante estime que « la polémique sur laquelle Raphaël Stainville intervient ne porte donc pas uniquement sur l’image de l’établissement dans lequel son frère est engagé, mais peut également avoir des répercussions financières sur ce dernier » et déplore qu’« aucune mention n’est faite de ce lien dans l’article ou ailleurs dans le journal ». Elle dénonce un conflit d’intérêts.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique », il « n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée » et il « exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
  • Il « n’usera pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée, et s’interdira de recevoir un quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-diffusion d’une information » et doit « éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », conscient que sa responsabilité « vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
  • Il « ne prendra à l’égard d’aucun interlocuteur un engagement susceptible de mettre son indépendance en danger. [Il] respectera toutefois les modalités de diffusion qu’[il] a acceptées librement, comme [le] “off”, l’anonymat ou l’embargo, pourvu que ces engagements soient clairs et incontestables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 14).

Réponse du média mis en cause

Le 9 février 2024, le CDJM a adressé à M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du Journal du dimanche, avec copie à M. Raphaël Stainville, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 14 mai 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article du Journal du dimanche en cause porte sur « l’affaire Stanislas », qui, en janvier 2024, a défrayé la chronique après la révélation par Mediapart d’un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) dénonçant un contournement de la procédure nationale Parcoursup par cet établissement. L’article est signé des journalistes Mme Charlotte d’Ornellas et M. Raphaël Stainville. Il dénonce un traitement à charge de la part de certains médias, et donne la parole à de nombreuses personnes qui ont un regard positif sur Stanislas.

La saisine porte sur le fait que l’un des co-auteurs de l’article a un lien de parenté avec un membre du conseil de direction – le  « censeur-directeur » du lycée est son frère –, qu’il est lui-même ancien élève de l’établissement et qu’il y a scolarisé ses enfants — ce que le lecteur du Journal du dimanche, faute de mention de ces informations, ignore.

La requérante prend acte dans sa saisine que « confronté à ce conflit par un article d’Arrêt sur images », M. Stainville a déclaré : « Ce qui m’étonne, c’est votre énergie à laisser entendre que ma position est forcément biaisée à ce sujet. Elle ne l’est pas. » Peu convaincue, la requérante ajoute : « … mais elle peut l’être, ce qui aurait nécessité un avertissement au lecteur ou une mise à l’écart de ce journaliste vis-à-vis de ce sujet. »

➔ En premier lieu, le CDJM observe que la notion de conflit d’intérêts ne se cantonne pas à des intérêts personnels matériels (avantages patrimoniaux, financiers, commerciaux, etc.), mais peut aussi porter sur des intérêts moraux (philosophiques, politiques, religieux, syndicaux, etc.). Il constate donc que le journaliste en cause dans la saisine peut avoir un intérêt moral en tant qu’ancien élève et père d’enfants scolarisés dans cet établissement privé catholique, et également en tant que frère du censeur-directeur, à défendre l’institution qui s’est retrouvée au centre des débats médiatiques. C’est d’ailleurs ce qu’il fait concrètement en cosignant un article destiné à « corriger » l’impact négatif des enquêtes d’autres médias sur celle-ci.

➔ En deuxième lieu, et surtout, le CDJM rappelle qu’au regard des chartes auxquelles il se réfère, un journaliste doit éviter – ou mettre fin à – toute situation « pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13). Il estime qu’en ce sens, M. Stainville aurait dû logiquement se déporter du traitement d’une affaire dans laquelle il pouvait avoir un intérêt moral à agir compte tenu de ses liens avec l’établissement, son objectivité pouvant être mise en doute par le public, comme l’a fait la requérante. Le CDJM considère que le grief de conflit d’intérêts est fondé.

Quant au regret exprimé par la requérante de ce que « aucune mention [n’ait été] faite de ce lien dans l’article ou ailleurs dans le journal », le CDJM relève qu’il cible un élément relevant des bonnes pratiques professionnelles et, surtout, qu’il est sans objet dès lors qu’au vu de ses obligations déontologiques, le journaliste aurait dû se déporter de l’enquête qu’il a signée. Cela ne l’empêchait pas, le cas échéant, d’y apparaître comme témoin en tant qu’ancien élève et père d’enfants scolarisés avec mention, par souci de transparence, de ce qu’il était aussi frère du censeur-directeur de l’institution au centre de la polémique.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 mai 2024 en séance plénière, estime que M. Raphaël Stainville et Le Journal du dimanche n’ont pas respecté les règles déontologiques relatives aux conflits d’intérêts.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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