Avis sur la saisine n° 24-024

Adopté en réunion plénière du 11 juin 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 30 janvier 2024, M. Damien Salel a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 9 janvier 2024 sur le site La Relève et la Peste et titré « À Lure, la construction d’une centrale photovoltaïque saccage la montagne en toute illégalité ».

M. Salel reproche à cet article, consacré à l’opposition de riverains à l’installation d’une centrale photovoltaïque dans les Alpes-de-Haute-Provence, d’écrire que cette implantation est « illégale ». Selon lui, « il semble en l’état beaucoup trop tôt pour considérer le projet comme “illégal”, sachant qu’un premier recours a été débouté, et que le référé suspension l’a aussi été. […] La justice n’ayant pas encore pris de décision, on ne peut parler “d’illégalité” mais seulement de “suspicion d’illégalité” ».

M. Salel indique qu’il a déposé une demande de rectification d’erreur via la page LinkedIn de La Relève et la Peste. Cette demande de rectification n’a pas eu de suite.

Recevabilité

Le site La Relève et la Peste se présente comme un média « 100% indépendant autofinancé en totale autonomie », adossé à une maison d’édition engagée sur l’écologie et l’environnement. Il remplit l’obligation légale d’indiquer le nom de son directeur de la publication. L’article en cause est un acte journalistique.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

Réponse du média mis en cause

Le 9 février 2024, le CDJM a adressé à M. Jérémie Carroy, directeur de la publication de La Relève et La Peste, avec copies à Mmes Laurie Debove, rédactrice en chef, et Chloé Droulez, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 21 février 2024, M. Jérémie Carroy a répondu par courriel au CDJM. Il rappelle tout d’abord que « l’article ne remet pas en cause le fait que le permis de construire et l’autorisation de défrichement sont purgés de tout recours ». Il indique ensuite que « l’enjeu de l’article est bien d’expliquer comment les collectifs engagés au sein de cette lutte judiciaire se battent pour faire appliquer le respect du droit environnemental, d’où l’utilisation du terme “illégalité” ». M. Carroy informe également le CDJM qu’une offre de droit de réponse a été faite à Boralex, la société qui construit ce parc photovoltaïque.

Analyse du CDJM

➔ Le chapô (texte introductif) de l’article en cause publié par La Relève et la Peste résume son contenu : « Depuis plus d’un an, la multinationale canadienne Boralex commet sur la montagne de Lure un outrage qui laisse des traces. Son projet d’implantation d’une centrale photovoltaïque industrielle détruit des milieux naturels au nom de la lutte contre le changement climatique, avec la complicité de l’État. Malgré une mobilisation accrue de la part des militants et des associations, tant sur le terrain que devant les tribunaux, le chantier continue d’avancer et de saccager toute une biodiversité rare et fragile. »

L’article décrit en détail l’action d’associations contre ce projet et cite plusieurs de leurs porte-parole, dont l’un affirme que « près d’une centaine d’espèces d’animaux protégés sont détruites pour faire quelques mégawattheure d’électricité ». Il met en cause « l’impartialité du procureur [chargé] d’investiguer sur la culpabilité pénale de cette multinationale » ainsi que « la préfecture et le ministère qui ne cessent de “couvrir” l’industriel malgré les alertes lancées de toutes part, y compris par les scientifiques du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) » et affirme que « malgré une responsabilité pénale engagée pour des délits graves dénoncés et étayés par des dizaines d’associations et scientifiques à travers plusieurs plaintes, les entreprises poursuivent leurs travaux ».

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Salel conteste l’expression « centrale photovoltaïque illégale [utilisée] notamment dans le titre et dans le corps du texte » car « le permis de construire et l’autorisation de défrichement sont purgés de tout recours ». Il souligne qu’un « recours est toujours en cours sur la dérogation espèces protégées (DEP) » mais ajoute qu’« il semble beaucoup trop tôt pour considérer le projet comme “illégal”, sachant qu’un premier recours a été débouté, et que le référé suspension l’a aussi été ». Il cite une décision du tribunal administratif de Marseille saisi par l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), qui a rejeté ses demandes en notant que « les moyens invoqués par l’association pour la protection des animaux sauvages, à l’appui de ses demandes, tels qu’ils ont été analysés dans les visas de la présente ordonnance, ne sont pas, en l’état de l’instruction, notamment des observations présentées par les parties à l’audience, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté ». M. Salel concède que « cela ne veut pas dire qu’à terme, le projet ne sera pas considéré comme illégal ».

➔ Le directeur de La Relève et la Peste écrit au CDJM que « ce sont bien les atteintes à la biodiversité, et particulièrement au droit environnemental, qui sont décryptés dans l’article ». Il souligne que « sur le volet pénal, une quinzaine [d’associations] dénonce[nt] les infractions à la réglementation environnementale commises par Boralex, qui ne dispose notamment d’aucune dérogation pour détruire les habitats d’espèces protégées ». Il communique au CDJM copies de trois plaintes au pénal déposées contre Boralex par ces associations, les 10 juillet 2023, 25 octobre 2023 et 4 janvier 2024, pour plusieurs atteintes à règlementation sur la protection de l’habitat d’espèces animales protégées.

➔ Le requérant, constatant que la légalité des opérations ayant fait l’objet d’un jugement définitif ne peut plus être contestée et que certains recours n’ont pas encore été jugés ou demeurent susceptibles d’appel, conclut que l’usage du qualificatif « illégal » est erroné parce qu’un jugement définitif n’a pas confirmé ce caractère illégal en validant l’argumentation des plaignants. Le CDJM observe que cet argument peut être lui-même mobilisé pour tenir la position inverse, et qu’on ne peut priver les contestataires d’un projet du droit de le considérer comme illégal tant qu’un jugement définitif non susceptible de recours ne l’a pas déclaré conforme à la loi.

Dès lors, même s’il est indéniable que le titre et le ton de l’article en cause procèdent d’une position militante, d’ailleurs revendiquée ouvertement par le titre La Relève et la Peste sur les questions environnementales, l’usage du qualificatif « illégal » ne peut être assimilé à une erreur de nature à tromper le lecteur et à revêtir le caractère d’une faute déontologique.

Sur le grief de non rectification d’une erreur

➔ En l’absence d’erreur, ce grief n’a pas d’objet. Le CDJM prend note que le média, répondant à un message du requérant sur son compte LinkedIn, avait précisé que « la société Boralex est libre de nous fournir un droit de réponse si elle n’est pas contente de l’article ou si elle estime que certains de ses passages sont erronés, ce qui n’est pas le cas pour l’instant ». Dans sa réponse au CDJM le 21 février, M. Carroy confirmait que « la multinationale ne nous a pas répondu ».

Conclusion

Le CDJM, réuni le 11 juin 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par La Relève et la Peste.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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