Avis sur la saisine n° 24-020

Adopté en réunion plénière du 14 mai 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 28 janvier 2024, M. Frédéric Brindeau a saisi le CDJM à propos de l’émission « L’heure des pros » diffusée le 25 janvier 2024 sur CNews. M. Brindeau estime que le journaliste qui anime l’émission, M. Pascal Praud, tient des propos inexacts quand il affirme que « le glyphosate, tout le monde est d’accord pour dire qu’il n’y a aucun impact sur la santé des humains» et « désinforme face aux très nombreuses publications scientifiques et condamnation sur le glyphosate ».

Il considère par ailleurs que les deux personnes accusées par le journaliste de CNews de dire « n’importe quoi » sur les plateaux de télévision – la militante écologiste Camille Etienne et le député européen Pascal Canfin – auraient dû bénéficier d’une offre de réplique.

Recevabilité

Trois autres saisines (24-022, 24-025 et 24-030) avaient été adressées au CDJM concernant les propos de M. Praud sur CNews le 25 janvier 2024. Les requérant.e.s ne donnaient aucun élément pour étayer les griefs formulés. Le CDJM leur a proposé de préciser et d’argumenter leur requête. Aucun.e n’a répondu dans le délai prévu de quinze jours à cette demande. Ces trois autres saisines ont donc été classées sans suite.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

Réponse du média mis en cause

Le 18 mars 2024, le CDJM a adressé à M. Thomas Bauder, directeur de la rédaction de CNews avec copie à M. Pascal Praud, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 14 mai 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le second sujet de l’émission « L’heure des Pros » du 25 janvier 2024 est consacré aux manifestations d’agriculteurs en France – le bandeau en bas de l’écran indique « Agriculteurs : la colère gagne du terrain ». M. Praud annonce à ses invités qu’il veut leur « montrer trois, quatre séquences ». Il précise que « la deuxième séquence, qu’on a calée avec Marine Lançon, c’est passionnant : c’est un agriculteur qui parle du glyphosate », puis enchaîne (à 17 min 58 s) :

« Le glyphosate, tout le monde est d’accord pour expliquer qu’il n’y a aucun impact sur la santé des humains. Tout le monde est d’accord là-dessus. Vous avez la folie écologique sur les plateaux de télévision – j’ai cité tout à l’heure les Camille Etienne, les Pascal Canfin – tous ces gens-là, qui arrivent sur les plateaux pour dire n’importe quoi… N’importe quoi… Donc, oui au glyphosate en fait ! Oui au glyphosate ! – donc écoutez ce que dit cet agriculteur parce que c’est intéressant… Et je parle sous le couvert des experts : y a pas de problème pour la santé des humains ! » Présent en plateau, M. Philippe Bilger dit alors : « Ils sont tous d’accord. » Pascal Praud reprend : « Ils sont tous d’accord ! Pour le coup y’a consensus ! Tous d’accord ! Eh bien, malgré ça on doit écouter les militants écologistes. Ben non ! »

➔ En préambule, le CDJM note que M. Praud, invité le 29 février 2024 à s’exprimer devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale traitant des autorisations de diffusion sur la TNT en tant que « journaliste et rédacteur en chef », s’est présenté lors de son audition comme « modérateur » et a explicité ainsi son rôle (à 3 h 49 min 33 s de la séance) :

« À chaque fois qu’on fait une erreur parce qu’on ne modère pas un propos sur un plateau, on s’en veut […]. Ça arrive parce que nous sommes des êtres humains… Ça arrive sur d’autres plateaux. Pourquoi ? Parce que tu n’es pas assez concentré à ce moment-là, parce que tu n’es pas assez vigilant… pour plein d’autres raisons. Et c’est tout le travail du modérateur : c’est notre mission de modérer tous les propos qui sont tenus. Donc quand y’a une erreur, c’est mon erreur. »

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Brindeau appuie le grief d’inexactitude formulé sur le fait que « le Centre international de recherche contre le cancer, dépendant de [l’Organisation mondiale de la Santé], classe depuis 2015 le glyphosate comme “cancérogène probable pour l’humain”. Monsanto vient d’être de nouveau condamné à verser 2,25 milliards de dollars pour dédommager un homme dont le cancer est imputé à l’utilisation de glyphosate. »

➔ Le CDJM observe que loin de simplement modérer, M. Pascal Praud choisit ici de poser une question en donnant son point de vue. Une analyse doit s’appuyer sur des faits établis. Quand M. Praud dit « le glyphosate, tout le monde est d’accord pour expliquer qu’il n’y a aucun impact sur la santé des humains. Tout le monde est d’accord là-dessus », il occulte d’une part le débat entre scientifiques et d’autre part des prises de position d’institutions reconnues établissant qu’il y un risque. Le CDJM note que le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) estime que le glyphosate est probablement cancérigène pour l’homme, alors que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) estime improbable que la substance constitue une menace cancérogène pour l’homme.

➔ Le rôle du CDJM n’est pas de trancher entre ces différentes analyses. Mais il considère qu’un journaliste ne peut, compte tenu de ce débat entre scientifiques, ni proclamer haut et fort que « tout le monde est d’accord », ni affirmer qu’il y a « consensus chez les experts ». À noter que M. Praud dénonce dans le même élan des personnes qui contestent l’innocuité du glyphosate, ce qui démontre que ce n’est finalement pas « tout le monde » qui affirmerait qu’il « n’y a aucun impact sur la santé des humains », comme il le prétend. Le grief est fondé.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

Le requérant déplore qu’il n’y ait pas « d’invitation des personnes citées, Pascal Canfin et Camille Etienne ». Ce constat fonde le grief d’absence d’offre de réplique qu’il formule.

Le CDJM rappelle que l’obligation d’offre de réplique s’impose quand une personne est accusée de faits précis. On doit lui proposer de donner sa version des faits qui lui sont reprochées. Ici, ce sont deux opinions, deux lectures d’un dossier scientifique, qui sont en cause. Il aurait été pertinent de faire entendre un autre son de cloche, mais pas au titre de l’offre de réplique. Cela n’est pas fait. C’est un choix éditorial qu’on peut ne pas partager, mais pas une question déontologique. Le grief n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 mai 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par CNews, et que celle d’offre de réplique n’a pas été enfreinte.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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