Avis sur la saisine n° 24-007

Adopté en réunion plénière du 11 juin 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 25 janvier 2024, M. Armand Roux a saisi le CDJM à propos d’une émission diffusée sur YouTube le 21 janvier 2024 par VA Plus, et titrée: « Les impossibles LIMITES de la LÉGITIME défense ».

M. Roux estime que la présentation de la notion de légitime défense par un expert interrogé comprend une erreur que la journaliste n’a pas relevée. « Le droit ne dit absolument pas que le moyen utilisé à ladite défense doit être proportionné à celui utilisé dans l’agression, écrit le requérant en citant le contenu de la vidéo, mais que le moyen doit être en rapport au niveau de danger pour l’agressé. Pour résumer, la proportionnalité ne s’applique pas aux moyens utilisés par l’agresseur mais à la gravité de l’atteinte. »

M. Roux indique, dans son second grief, qu’il n’y a pas eu rectification de ce qui, selon lui, constitue une erreur, bien qu’il l’ait signalée à Valeurs actuelles par courriel en date du 22 janvier dernier, à 15h10, à l’adresse vaplus@valmonde.fr. Il précise que son message est resté sans réponse.

Recevabilité

Diffusée sur le réseau YouTube, cette vidéo est proposée par le compte VA+, qui se présente comme « le média vidéo de Valeurs actuelles », et propose « semaine après semaine, [des] émissions en direct, reportages de terrain, entretiens avec des personnalités de tous horizons, micro-trottoirs, debunkages … ». Cette vidéo est clairement un acte journalistique.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Réponse du média mis en cause

Le 27 février 2024, le CDJM a adressé à M. Denis Tugdual, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, avec copie à Mme Anne-Lorraine Rousseau, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 11 juin 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La vidéo est introduite par le bref rappel en commentaire off sur fond d’images d’illustration d’un fait divers survenu le 9 janvier quand, dit le commentaire, « un armurier se fait braquer par trois individus armés. Dans la peur [sic], l’armurier tire sur les braqueurs et tue l’un d’entre eux. C’est ici que son calvaire commence. Comment pourrait-il prouver qu’il était en position de légitime défense ? Et qu’est-ce que la légitime défense ? Pierre-Marie Sève, de l’Institut pour la justice, nous explique ce que dit le droit. »

Commence ensuite l’entretien filmé. Mme Anne-Lorraine Rousseau, journaliste – identifiée à l’image en tant que « Anne-Lorraine, journaliste VA + » – présente de cette façon son interlocuteur : « Vous êtes directeur de l’Institut pour la justice, une association qui fait aussi office de think tank, qui constitue un collectif de victimes et d’experts du monde judiciaire. Vous publiez deux fois par an la Revue française de criminologie et de droit pénal, et vous venez de lancer une pétition pour défendre un armurier, près de Rouen, qui s’est fait braquer et qui a eu le malheur de répondre en se défendant avec une arme et de, malheureusement, tuer un de ses agresseurs. Ce qui m’amène à vouloir parler avec vous du fâcheux sujet de la légitime défense. »

La première partie de l’entretien est consacrée au rappel commenté des événements de Rouen par M. Pierre-Marie Sève et à la présentation de la pétition de soutien à l’armurier. Puis Mme Rousseau lui demande – à 10 min 17 s : « Est-ce que vous pouvez nous rappeler, concrètement, quelles sont les conditions à réunir pour être considéré en légitime défense en France ? »

M. Sève répond qu’il « y a plusieurs conditions [et n’]en garde que trois pour faire simple. Il faut que la défense ait été immédiate – après avoir été agressé on ne peut pas débarquer le lendemain chez la personne pour lui faire sa fête [sic]. Elle doit être proportionnée. C’est un point vraiment problématique… c’est le point sur lequel ça… ça … il y a le plus de problèmes…puisque… Alors là …. La défense proportionnée c’est …. que si on vous attaque avec un couteau, vous ne pouvez pas répondre avec une arme à feu. Si on vous attaque avec les poings, vous ne pouvez pas répondre avec un couteau … Et inversement et inversement. Donc il faut que la réponse… la… la défense soit proportionnée. Et la troisième condition, elle pose beaucoup moins de problème… c’est…, je crois… que le dommage doit être certain… Enfin bref. Il faudra que je vous le redise en regardant le Code pour être certain, mais en gros c’est ça. Mais les deux points qui pourraient poser problème c’est l’immédiateté et la proportionnalité de la réponse …. de la défense par rapport à l’attaque. »

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Roux note que « le droit ne dit absolument pas que le moyen utilisé à ladite défense doit être proportionné à celui utilisé dans l’agression, mais que le moyen doit être en rapport au niveau de danger pour l’agressé ».

Effectivement, l’article 122-5 du Code Pénal indique : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. »

Le CDJM constate que le droit retient, entre autres, comme critère d’analyse de la notion de légitime défense, la proportionnalité entre moyen de défense et gravité de l’atteinte, et non la proportionnalité entre moyens utilisés dans la réponse et ceux utilisés dans l’attaque. L’affirmation de M. Sève est inexacte.

➔Le CDJM relève que la journaliste présente comme information juridique ce qui est d’abord un commentaire sur un fait divers dramatique – et un engagement partisan avec l’initiative d’une pétition de soutien. Il constate que son interlocuteur multiplie les hésitations et les approximations sur les règles juridiques qui fondent la proportionnalité sans qu’elle cherche à lui faire préciser et clarifier son propos. L’inexactitude qui entache cet acte journalistique est constituée dès lors que la journaliste, qui est censée avoir préparé cet interview en se documentant avant de rencontrer son interlocuteur, même si elle présente celui-ci comme « un expert » qui « explique ce que dit le droit », laisse passer des explications inexactes.

Sur le grief de non correction d’une inexactitude

➔ Le requérant a adressé le 22 janvier un courriel à Valeurs actuelles exposant l’inexactitude qu’il a relevée et priant ce journal « [sa] large audience de mettre a minima un encart sur votre publication, ou par tout autre moyen visible, expliquant cette erreur et les nuances nécessaires à la bonne compréhension du sujet par votre auditoire ».

Le CDJM souligne qu’un encadré a été ajouté sous la vidéo YouTube, dans lequel il est précisé que « une réponse proportionnée correspond au fait que la défense doit être proportionnelle à la gravité de l’attaque, c’est-à-dire que l’acte commis pour se défendre doit être équivalent à l’acte subi, ou a contrario éviter la disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ». S’il regrette que cette précision ne soit pas insérée dans la vidéo, et ne soit visible qu’en développant complètement l’encadré de présentation de la vidéo en cliquant sur la mention « … afficher plus », le CDJM prend acte de cette rectification.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 11 juin 2024 en séance plénière, estime que Valeurs actuelles a enfreint l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité, et a respecté celle de rectification d’une information inexacte.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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