Adopté en réunion plénière du 14 mai 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 11 janvier 2024, M. Gael Cerez, agissant au nom de l’édition toulousaine du site d’informations locales Mediacités en qualité de rédacteur en chef, a saisi le CDJM à propos du contenu de l’article titré « “Espèce de bâtard” : l’enregistrement qui accable un Ehpad toulousain poursuivi pour maltraitance » publié le 10 janvier 2024 sur le site du quotidien régional La Dépêche du Midi.
M. Cerez expose que le 8 janvier 2024, Mediacités a publié une enquête sur des maltraitances dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Toulouse, intitulée « “Espèce de bâtard” : révélations sur des maltraitances dans un Ehpad toulousain », et qu’un second article titré « Ehpad : Les plaintes s’accumulent contre le groupe DomusVi » a été publié, toujours par Mediacités, le lendemain.
Mediacités estime que, dans l’article de La Dépêche du Midi du 10 janvier, « il n’y a aucune mention de [son] média alors que les infos sont les mêmes et que La Dépêche du Midi a publié son article deux jours plus tard », alors que « la déontologie implique de citer le média à l’origine des informations », « même si [la Dépêche] a [également] eu accès à la famille du résident maltraité ». M. Cerez dénonce la reprise d’une information exclusive sans mention du média à l’origine de cette information.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il « fera preuve de confraternité et de solidarité à l’égard de ses consœurs et de ses confrères, sans renoncer pour la cause à sa liberté d’investigation, d’information, de critique, de commentaire, de satire et de choix éditorial », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 12).
Réponse du média mis en cause
Le 22 janvier 2024, le CDJM a adressé à M. Lionel Laparade, directeur de l’information de La Dépêche du Midi, avec copie à M. Gilles Souillés, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 23 janvier 2024 , M. Souillés a répondu par courriel qu’il avait été « le premier journaliste à avoir fait un papier sur des soupçons de maltraitance dans l’établissement au mois de juin [2023, cf. l’article titré « Ehpad : les familles ne trouvent toujours pas leur compte », ndlr] avec déjà le témoignage de Juliette Loore (et du collectif qu’elle avait créé) ». Mme Loore est la fille du président dont les enregistrements sonores ont été exploités par Mediacités.
Le journaliste de La Dépêche explique qu’il est « revenu vers [Mme Loore] naturellement il y a quinze jours », tout en étant surpris que celle-ci ne lui ait « pas donné la primeur de ses enregistrements alors [qu’il] était en contact avec elle ». Il ajoute : « Elle me les a fournis ensuite bien volontiers, écrit-il, et nous les avons d’ailleurs publiés sur notre site ». Il note que « s’il est question de déontologie, je ne vois donc pas de souci avec une quelconque exploitation d’informations provenant de Mediacités puisque j’ai toujours eu les miennes. » M. Souillés précise aussi qu’il suit la situation des Ehpad dans le département de la Haute-Garonne « au plus près depuis plusieurs années avec l’association “TouchePasMesVieux” ».
Analyse du CDJM
➔ L’article de La Dépêche du Midi en cause porte sur un cas précis de maltraitance dans un Ehpad de Toulouse qui s’appuie notamment sur un enregistrement sonore réalisé par Mme Juliette Loore, la fille d’un résident. Elle a porté plainte pour maltraitance aggravée contre le groupe DomusVi après avoir sonorisé la chambre de son père et enregistré les insultes et sévices dont celui-ci a été victime.
➔ Le CDJM constate tout d’abord que Mediacités est indubitablement le premier média à rapporter l’existence des enregistrements confondants réalisés par Mme Loore, révélateurs de la situation alarmante dans laquelle se trouvait son père et à partir desquels elle a porté plainte pour maltraitance aggravée. Il apparaît donc que La Dépêche du Midi s’est saisie de l’affaire des enregistrements après avoir découvert l’enquête de Mediacités, voire en raison de cette enquête, expliquant ainsi une parution dans un délai très bref d’une information concernant un élément nouveau dans un dossier que le journal régional suivait. En journaliste bien informé sur la situation des Ehpad de la Haute-Garonne, M. Souillés se dit effectivement vigilant sur celle-ci. Et il ne conteste pas s’être fait « voler » la primeur de ces enregistrements, alors même qu’il était en contact avec Mme Loore, ce qui pouvait lui faire espérer être le premier à les obtenir.
Dès lors, le CDJM ne peut qu’en déduire qu’en mentionnant l’existence de ces enregistrements sonores dans l’article du 10 janvier 2024, soit deux jours après Mediacités, M. Souillés et La Dépêche du Midi n’avaient d’autres choix, au plan déontologique, que de citer Mediacités comme révélateur de cette information nouvelle sur un dossier suivi, tant au regard de l’obligation qui impose au journaliste de « [citer] les confrères dont il utilise le travail », qu’à celle qui dicte à ces mêmes producteurs d’information de faire « preuve de confraternité et de solidarité à l’égard de [leurs] consœurs et de [leurs] confrères ».
➔ Le CDJM note cependant que le journaliste de La Dépêche du Midi, qui a adressé une réponse franche et rapide au courrier qui lui a été envoyé le CDJM, ne s’est pas contenté de prendre les informations de Mediacités pour argent comptant. Il les a vérifiées à son tour avant de les publier, et ceci dans un contexte concurrentiel local qui, s’il n’autorise nullement les manquementsdébords déontologiques, ne peut s’exprimer qu’au bénéfice de l’information du public des médias concernés, en informant pleinement celui-ci, notamment, de l’origine de tout nouveau développement d’un dossier d’intérêt général.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 15 mai 2024 en séance plénière, estime que La Dépêche du Midi a enfreint la règle déontologique qui oblige un journaliste à citer les confrères dont il utilise le travail.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.