Adopté en réunion plénière du 9 avril 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 24 décembre 2023, Mme Majda Lakrouni a saisi le CDJM à propos d’un article mis en ligne le 10 octobre 2023 sur le site du magazine Que choisir et titré « Shoppydeals.fr – La gérante interdite d’exercer ». Mme Lakrouni, qui est l’entrepreneure désignée par ce titre, saisit le CDJM à titre personnel. Elle met en cause l’exactitude et la véracité de cet article. Elle estime qu’il est inexact d’écrire que « la dirigeante de l’entreprise a été condamnée, alors qu’elle a fait appel et est donc présumée innocente jusqu’à présent » et que l’article « crée délibérément de la confusion entre différentes entreprises. L’affaire en justice concerne une société française liquidée en 2020, Ntstores France, et le site Ntstores.fr. Cependant, dans l’article, il parle du site Shoppydeals.fr, qui fait partie de la société britannique Shoppydeals et qui n’a aucune condamnation à son actif et qui ne relève pas de l’autorité française ». La requérante estime en substance que l’auteur est de parti pris et affirme que Que Choisir refuse ses droits de réponse.
Recevabilité
Mme Majda Lakrouni avait adressé le 11 décembre 2023 au CDJM une première saisine sur ce même acte journalistique. Le CDJM l’avait rejetée, faute de précisions suffisantes sur les griefs formulés, avant d’inviter Mme Lakrouni, si elle le souhaitait, à reformuler sa saisine. La nouvelle saisine adressée le 24 décembre 2023 précise les griefs ; elle est recevable.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes européens (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes européens (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).]
Réponse du média mis en cause
Le 22 janvier 2024, le CDJM a adressé à M. Franck Attia, rédacteur en chef à L’UFC-Que choisir, avec copie à M. Cyril Brosset, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 24 janvier 2024, M. Cyril Brosset a répondu au CDJM. Il indique que l’article mis en cause « a été écrit à l’occasion d’un procès qui s’est tenu le 4 octobre 2023 au tribunal judiciaire de Paris dans lequel Mme Lakrouni était poursuivie pour pratiques commerciales trompeuses », procès auquel il « [a] assisté de bout en bout ». Il précise que cet article « s’inscrivait dans la suite logique d’un autre article publié en janvier 2021 et intitulé “Achat en ligne – Les méthodes douteuses de Shoppydeals.fr” […], écrit après avoir reçu plusieurs signalements de victimes. À l’époque, nous avions contacté certaines de ces victimes et demandé des explications au site Shoppydeals ». Il ajoute que Shoppydeals a également été cité en décembre 2023 dans un article intitulé « E-commerce – Les mauvaises pratiques des commerçants sans stock ». M. Brosset revient ensuite sur les griefs formulés par la requérante sur l’article du 10 octobre 2023, affirmant qu’il est « factuellement exact » et « équilibré » (lire ci-dessous).
Analyse du CDJM
➔ L’article en cause, publié le 10 octobre 2023 sur le site de Que choisir et d’une longueur de 3 442 signes, est le compte-rendu d’une audience qui s’est tenue devant le tribunal de Paris le 4 octobre 2023. Il est indiqué en introduction que « Majda L. vient d’être condamnée par le tribunal de Paris pour ne pas avoir livré des produits à temps et avoir menacé des clients qui avaient publié des avis négatifs concernant son site, Shoppydeals.fr. Son amateurisme a aussi été percé à jour ».
L’auteur décrit la condamnation à « 2 500 euros d’amende, plus de 7 000 euros de dommages et intérêts à verser à 7 victimes et, surtout, deux ans d’interdiction de gérer une société » prononcée contre « Majda L. […] gérante des sites NTStore.fr et Shoppydeals.fr ».
Il précise que plusieurs clients qui n’ont pas reçu l’article commandé ont eu « toutes les peines du monde à en obtenir le remboursement » et que « certains ont reçu de la part de Majda L. ou de son mari des e-mails insultants, voire des menaces s’ils ne retiraient pas l’avis négatif qu’ils avaient laissé sur Internet ». Puis sont exposés les arguments en défense développés devant le tribunal par Mme Lakrouni. Celle-ci, écrit le journaliste, « a dû aussi reconnaître une certaine dose d’amateurisme ». Il note que c’est « cette légèreté dans l’administration de ses sociétés qui a poussé le tribunal à prononcer une interdiction de gérer de deux ans ».
Sur le grief d’inexactitude concernant la condamnation
➔ Mme Majda Lakrouni écrit dans sa saisine que le journaliste « affirme que la dirigeante de l’entreprise a été condamnée, alors qu’elle a fait appel, et est donc présumée innocente jusqu’à présent ». M. Brosset souligne dans sa réponse au CDJM que « Madame Lakrouni a bel et bien été condamnée à 2 500 euros d’amende et à deux ans d’interdiction de gérer une société ». Le CDJM note que la requérante ne dément pas avoir été condamnée, puisqu’elle évoque une procédure d’appel, laquelle ne peut être introduite qu’après une condamnation.
Dans l’article, la mention de la condamnation est immédiatement suivie de cette précision mise entre parenthèses : « (cette décision est susceptible d’appel) ». M. Brosset explique cette formulation au CDJM en précisant qu’il « ne [savait] pas, au moment de la rédaction de cet article, si un appel avait vraiment été formulé ». Le CDJM regrette qu’il ne soit pas expressément indiqué que la condamnation n’est pas définitive car susceptible d’appel dans un délai de dix jours, mais considère que l’article respecte les faits en indiquant d’un côté la condamnation prononcée en première instance, et de l’autre la possibilité pour Mme Lakrouni de faire appel.
Sur le grief d’inexactitude concernant les sociétés concernées
Mme Lakrouni reproche au journaliste de citer l’entreprise Shoppydeals alors que le procès portait, selon elle, sur la société NTStore.fr. Pour elle, cela « prête [à] confusion [entre] les deux sociétés. Il s’agit de la société française liquidée en 2020 et du site Ntstores.fr qui ont été traduits en justice. Or [dans] son article, [M. Brosset évoque] le site Shoppydeals.fr de la société britannique qui n’a aucune condamnation à son actif ». M. Brosset estime avoir restitué exactement le contenu de l’audience. Il écrit au CDJM que « contrairement à ce qu’affirme Mme Lakrouni, les faits incriminés concernaient aussi bien le site Ntstores.fr que le site Shoppydeals.fr » et que « les noms des deux sociétés ont été évoqués par les magistrats au cours du procès ».
Le CDJM constate que c’est Mme Lakrouni en tant que personne physique qui a été condamnée en première instance à une interdiction de gérer une société. Le titre de l’article, « Shoppydeals.fr : la gérante interdite d’exercer », est un choix rédactionnel : Mme Lakrouni peut être désignée par sa fonction chez Shoppydeals.fr.
Le CDJM note que l’article évoque les motivations de la décision données durant le procès :
« Celle qui se présente comme une femme d’affaires aguerrie travaillant sur plusieurs marchés européens a dû aussi reconnaître une certaine dose d’amateurisme. Ce fut le cas par exemple lorsqu’elle a confié à sa société, sans formalité, la gestion du site Internet qu’elle avait créé en son nom propre, ou alors lorsqu’elle a basculé son site sous le giron de sa société anglaise une fois que sa société française a été placée en liquidation judiciaire. C’est cette légèreté dans l’administration de ses sociétés qui a poussé le tribunal à prononcer une interdiction de gérer de deux ans. Ainsi que le fait qu’elle compte lancer d’ici la fin de l’année une place de marché en ligne, baptisée elle aussi Shoppydeals. »
Mme Lakrouni ne conteste aucun des faits ainsi rapportés, mais uniquement l’indication du nom de sa société. Le CDJM considère que le contenu de l’audience est correctement rapporté par le journaliste.
Sur le grief d’absence d’équité
➔ Mme Lakrouni n’apporte aucun élément indiquant un parti-pris de Que choisir. Ce journal, émanation d’une association de défense du consommateur, L’Union fédérale des consommateurs, suit sa ligne éditoriale en rendant compte d’un procès qui concerne la gestion et les pratiques de sociétés de vente en ligne.
Le CDJM note que l’article évoque les reproches faits à Mme Lakrouni, présentée uniquement par son prénom et une initiale, mais également, dans un paragraphe représentant le quart de l’article, les éléments avancés pour sa défense comme. Y figure par exemple le fait qu’elle dit avoir été victime de cyberharcèlement. Le grief d’absence d’équité n’est pas fondé.
➔ Le CDJM rappelle que le droit de réponse ouvert par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à toute personne nommée ou désignée n’est pas un droit absolu dans la mesure où il obéit à des conditions de fond et de forme, et que seul le juge est compétent pour se prononcer sur un refus d’insertion, et peut, le cas échéant, ordonner une insertion forcée du droit de réponse.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 9 avril 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité et celle d’équité n’ont pas été enfreintes.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.