Avis sur la saisine n° 23-138

Adopté en réunion plénière du 23 janvier 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 24 novembre 2023, M. Tanguy Lacroix a saisi le CDJM à propos d’un message sur le réseau social X (anciennement Twitter) publié par le compte @Livrenoirmedia le même jour. Il contient la photographie d’un jeune homme se tenant debout dans une rue, accompagnée du texte suivant : « Voici C**** A*****, l’assassin de #Thomas #Crepol ». Bien qu’il figure intégralement dans le message publié, le CDJM a choisi de ne pas reproduire le nom complet.

M. Lacroix estime que cette publication ne respecte par la règle d’exactitude et de véracité et porte atteinte à la présomption d’innocence par une accusation sans preuve. Il souligne que « pour l’heure, ​​l’enquête est en cours et C**** A***** n’est qu’un suspect parmi d’autres », et que « le décrire comme étant l’assassin, en l’absence de preuve, nuit à la qualité de l’information ».

Recevabilité

Le message objet de la saisine figure sur le compte X de Livre noir, qui est présenté comme un « média d’entretiens, d’enquêtes et de reportages ». Il forme un acte journalistique au même titre que les contenus publiés dans les supports utilisés par cet éditeur, le site Livre noir ou le magazine trimestriel du même nom. Livre noir est inscrit dans les registres de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) sous le numéro 1128 D 95211.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 7 décembre 2023, le CDJM a adressé à M. Erik Tegner, directeur de la publication de Livre noir, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Au 23 janvier 2023, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le message en cause présente la photo d’un homme vêtu d’un survêtement et d’un blouson, capuche relevée, posant dans la rue. Cette photo est surmontée de la phrase « Voici C**** A*****, l’assassin de #Thomas #Crepol », ces mots-dièses renvoyant à la mort d’un adolescent poignardé lors d’un bal populaire dans ce village de la Drôme le 19 novembre 2023. La mention du compte de la plateforme X « @DamienRieu », entre parenthèses, complète le texte du message.

➔ Cette mention peut être considérée comme l’indication d’une source de l’information publiée par Livre noir. Le CDJM a en effet constaté que M. Damien Rieu a publié sur son compte, ce 24 novembre 2023 à 17 h 05, un message indiquant « Le meurtrier de Thomas s’appelle C**** A***** #Crépol ». Le message de Livre noir a été publié à 17 h 21, et fait une référence explicite au militant d’extrême droite.

Le CDJM estime que reprendre une accusation formulée par un tiers, sans la vérifier, sans la recouper ou au moins marquer ses distances, est une faute déontologique.

➔ Il apparaît en outre que l’enquête, à la date du 24 novembre 2023, ne permet pas de désigner une personne comme étant l’auteur des coups mortels portés contre Thomas. Tout au plus peut-on citer M. C**** A***** comme suspect. Une pratique plus conforme à la déontologie est de ne pas publier sa photo, voire de ne pas l’identifier : on lit ainsi, dans Le Figaro et dans Le Parisien, des articles publiés le même jour qui rapportent que le principal suspect des coups mortels portés à Thomas est C**** A., sans donner son nom complet.

Une enquête étant en cours, la protection de la présomption d’innocence, notion juridique, s’applique : un journaliste, comme n’importe quel citoyen, doit s’abstenir de présenter comme coupable de faits, au sens judiciaire, une personne faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire avant sa condamnation définitive. Dans tous les cas, un journaliste ne doit pas accuser sans preuve.

Le CDJM constate que le message sur X de Livre noir n’en apporte aucune. Écrire « Voici C**** A*****, l’assassin de Thomas » est inexact. C’est affirmer la certitude que l’un a tué l’autre, alors que l’enquête judiciaire se poursuit, que seul un jugement définitif pourra éventuellement l’établir, et qu’aucune preuve n’est apportée à l’appui de cette grave accusation.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 23 janvier 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité et celle de ne pas porter d’accusations sans fondement ont été enfreintes par Livre noir.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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