Avis sur la saisine n° 23-127

Adopté en réunion plénière du 13 février 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 11 novembre 2023, M. Matthieu Marchand a saisi le CDJM à propos d’une vidéo diffusée le 28 octobre 2023 sur le compte X (ex-Twitter) du journaliste M. Frédéric Haziza (@frhz) et supprimée depuis.

M. Marchand formule deux griefs, de mise en danger de mineur et d’absence de distinction claire entre l’information et le commentaire. Il s’interroge sur l’existence d’une autorisation formelle de diffuser l’image d’une enfant mineure qui apparaît dans la vidéo au côté de la personne interrogée par M. Haziza. Il considère par ailleurs que M. Haziza « fait de la provocation dans une manifestation pro-palestinienne » pour obtenir de son interlocuteur une condamnation du Hamas et en concluant son micro-trottoir par l’affirmation : « C’est vous qui êtes un grand menteur en racontant des conneries. »

Recevabilité

M. Haziza se présente sur X (ex-Twitter) en ces termes : « Journaliste #ForumRadioJ, #LesEnfantsDeLaRépublique #LEDLR. Mes tweets n’engagent que moi, éventuellement ceux qui pensent comme moi. Quant aux autres… »

Cette présentation indique clairement que M. Haziza s’exprime en tant que journaliste, et renvoie à l’émission « Le Forum de Radio J », qu’il anime sur cette station. Le CDJM note également que, dans la vidéo diffusée, M. Haziza dit lui-même à son interlocuteur qu’il travaille pour Radio J.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon l’article 8 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 8).
  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).

Réponse du média mis en cause

Le 16 novembre 2023, le CDJM a adressé à M. Emmanuel Rials, directeur général de Radio J, et M. Steve Nadjar, rédacteur en chef du Grand Journal, avec copie à M. Frédéric Haziza, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 13 février 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Le CDJM note que la vidéo en cause a été supprimée du compte sur X (ex-Twitter) de M. Haziza après qu’il a informé Radio J et le journaliste de cette saisine.

Analyse du CDJM

➔ La vidéo diffusée sur le compte X de M. Haziza est un acte journalistique. Il s’agit d’une interview questions/réponses réalisée dans la rue, au pied levé. L’homme abordé par M. Haziza à proximité du point de départ d’une manifestation propalestinienne, place du Châtelet à Paris, porte un keffieh noué autour du cou. Il est accompagné d’une enfant d’une dizaine d’années.

Dans la publication X, cette vidéo est introduite par la mention suivante : « “On m’a appris dans les livres d’histoire que la #Shoah, c’est pas bien. On a tué des millions de personnes, c’est pas bien. Et là on est en train de faire la même chose” : ce manifestant pro- #Hamas parle comme @Francelnsoumise d’un #génocide à #Gaza #antisémitisme #Chatelet ».

M. Haziza l’aborde caméra en marche par ces mots : « Vous êtes pressé ? » Le passant lui répond sur le mode humoristique : « Non, moi, je me balade face au Châtelet. Et ma fille, elle constate qu’il y a une manifestation de la police contre Darmanin… » Le journaliste le coupe et demande : « Qu’est-ce que vous pensez du massacre par le Hamas de 1 400 Israéliens ? » Son interlocuteur lui répond que « le massacre, c’est pas bien, tuer des gens c’est pas bien » et argumente en évoquant ce qu’on « lui a dit à l’école : regardez la Shoah, c’est pas bien, on a tué des millions de personnes c’est pas bien », puis affirme que « on fait la même chose… ».

M. Haziza le coupe à nouveau : « Non mais je parle du massacre par le Hamas de 1 400 Israéliens… Le Hamas… Le Hamas… » Son interlocuteur qui développait un propos couvert par les questions de M. Haziza dont on ne saisit que les mots « des enfants » reprend la parole et bascule dans l’ironie : « Le houmous, c’est un plat délicieux », et cite diverses préparations de houmous, concluant : « Tous les houmous ! J’aime beaucoup le houmous. »

M. Haziza tente de reprendre le contrôle de l’échange : « C’est bien… Organisation terroriste ou pas, le Hamas ? ». Réponse : « Organisation terroriste ? … Heu… comment il s’appelle ? Tsahal [nom de l’armée israélienne, ndlr] ! Oui, Tsahal terroriste ! » M. Haziza : « Et le Hamas non ? »  Le passant : « Organisation politique qui a une branche armée, qui a effectivement commis des crimes de guerre. » M. Haziza : « Là vous parlez un peu comme Mathilde Panot… » Le passant : « Vous, vous parlez un petit peu comme BFM / CNews. Vous travaillez pour CNews, c’est ça ? … BFM ? ». M. Haziza : « Radio J, Radio J ».

Le passant évoque i24News dans une phrase en partie couverte par M. Haziza, et dit distinctement « vous avez tout à fait le profil pour travailler à I24 ». M. Haziza : « Ça veut dire quoi, le profil ? Le profil juif, c’est ça ? » Le passant : « Non, dans vos questions, dans votre question : “Est-ce que vous condamnez le Hamas ?” C’est vraiment… ». M. Haziza : « Qu’est ce que vous pensez du Hamas ? ». Le passant fait à nouveau mine de comprendre qu’il est questionné sur le houmous, « un plat délicieux… d’ailleurs on a tenté de nous voler. Il paraît que ce serait un plat israélien, j’ai appris ça… [il rit] ». M. Haziza : « Donc c’est normal d’avoir assassiné, massacré 1 400 israéliens ? » Le passant : « Non, Monsieur, c’est pas normal… Heureusement que les forces de l’ordre viennent manifester contre Darmanin qui ment, qui est un grand menteur quand même… Dire que… » M. Haziza le coupe : « C’est vous qu’êtes un grand menteur en racontant des conneries. » Le passant : « Vous m’insultez ? C’est dommage, je vous [mot incompréhensible]… » La vidéo se termine sur des phrases de l’un et l’autre qu’on ne comprend pas.

Sur le grief de mise en danger de mineur

➔ En formulant le grief de non-protection des mineurs, le requérant note qu’« une enfant est filmée et diffusée [et qu’] aucun consentement n’est visible sur la vidéo ». Il demande dans sa saisine que « le droit soit appliqué et qu’il [M.Haziza] présente l’autorisation de diffusion signée par son responsable légal ».

Le CDJM constate que la fillette apparaît dans la vidéo durant tout le temps de l’échange. Il rappelle que toute personne présente dans un lieu public consent à être exposée au regard des autres et que de ce fait, la prise de vue dans un lieu public est autorisée sans aucun problème, et sans autorisation à demander. D’autre part, concernant les mineurs, n’est totalement prohibée que l’identification des mineurs victimes ou délinquants. Photographier ou filmer un enfant mineur et publier son image requiert cependant d’obtenir l’autorisation de son représentant légal, c’est-à-dire ses parents ou son tuteur.

➔ Le CDJM se prononce sur le respect des bonnes pratiques professionnelles définies dans les textes déontologiques auxquels il se réfère. Il considère que la présence de la fillette à l’image n’apporte rien à la compréhension de l’information. En l’occurrence, il était possible de la garder hors du cadre, en ne filmant que son père, ou, avant diffusion, de flouter son visage. La diffusion sans précaution de cette vidéo dans laquelle elle est en permanence à l’image et identifiable l’associe inutilement à une polémique.

Sur le grief de confusion entre faits et commentaire

➔ Le requérant estime en second lieu que M. Haziza « fait de la provocation dans une manifestation pro-palestinienne ». La couverture d’un événement d’actualité donne lieu en règle générale à des questions factuelles concernant cet événement posées à ses acteurs ou témoins (qui ? quoi ? comment ? où ? pourquoi ?). En l’espèce, le CDJM note que M. Haziza interroge directement le passant sur ce qu’il « [pense] du massacre par le Hamas de 1 400 Israéliens ». Le CDJM ne conteste pas le fait de poser cette question. Mais il observe qu’elle revient à cinq reprises, sans aucune question sur l’événement qui justifie le reportage. Le journaliste ne cherche pas à recueillir un témoignage sur un événement, mais exclusivement à confronter son interlocuteur aux massacres commis par le Hamas.

Pour le CDJM, cette démarche s’apparente à « l’intention de nuire » classée par la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (SNJ 2011) comme une des « plus graves dérives professionnelles ». Le journaliste s’adresse en effet à quelqu’un qu’il identifie a priori comme un adversaire, sans le questionner sur l’événement en cours, pour ensuite le dénoncer sur un réseau où il dispose d’une forte audience. Face au détournement ironique de ses questions par le passant, l’insistance de M. Haziza à obtenir ce qu’il veut entendre et à démontrer un soutien du passant au Hamas l’amène à une posture militante et, in fine, à injurier son interlocuteur. Il y a confusion entre exposé des faits et commentaires.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 février 2024 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de porter une attention particulière à l’égard des personnes vulnérables et de distinguer clairement information et commentaires n’ont pas été respectées.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté à l’issue d’un vote par 18 voix contre 2.

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