Adopté en réunion plénière du 12 mars 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 11 novembre 2023, M. Matthieu Marchand a saisi le CDJM à propos du contenu d’une séquence diffusée par BFM TV, le 10 novembre 2023, dans l’émission « L’Aprèm Info » et reprise sur le compte X @BFMTV sous le titre « Un tag jugé antisémite effacé d’un mur de l’hôpital Bichat à Paris », ainsi que sur le site de la chaîne sous le titre « Paris: l’AP-HP porte plainte pour des tags jugés antisémites sur un mur de l’hôpital Bichat, une enquête ouverte ».
Le requérant formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. Pour lui, la journaliste en plateau « présente comme antisémite à plusieurs reprises, à 15 h 30 et à 16 h 30, un tag disant : “Fuck antisemitism”, “Free Palestine” et “Fuck apartheid” et un autre demandant la décolonisation de la médecine », ce qui n’a, dit-il, « aucun sens ». Il ajoute : « La demande de la liberté d’un peuple et la condamnation de l’apartheid et de l’antisémitisme, comment cela peut-il être antisémite ? »
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
Réponse du média mis en cause
Le 19 novembre 2023, le CDJM a adressé à M. Philippe Corbé, directeur de la rédaction de BFM TV, avec copie à Mme Pauline Simonet, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 12 mars 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ À 15 h 30 et à 16 h 30, le 11 novembre 2023, alors qu’un bandeau à l’écran indique « Un tag jugé antisémite inquiète les médecins », la journaliste de BFM TV, Mme Pauline Simonet, lance en plateau un sujet consacré à la présence de tags sur un mur de l’hôpital Bichat, plus précisément devant la faculté de médecine, ayant entraîné la publication d’un communiqué de plusieurs médecins dénonçant des inscriptions qu’ils jugeaient antisémites.
Suivent, après chacun de ces lancements, une intervention sur place du journaliste Antoine Forestier, qui précise que le directeur général d’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a dénoncé « des tags qu’il juge à caractère antisémite » et pris la décision de porter plainte, de sorte qu’une enquête a été ouverte par la police. À l’image, il est possible de voir les tags en question : « Décolonisons la médecine », « Fuck antisémitisme, Free Palestine, Fuck apartheid » (que l’on peut traduire par « À bas l’antisémitisme, Libérez la Palestine, À bas l’apartheid »).
Dans son premier lancement, Mme Simonet indique, sans reprendre la distance présente dans le bandeau, que « les médecins [de l’hôpital Bichat signataires du communiqué] se sont indignés de la présence de tags antisémites » sur la façade de l’hôpital. De même, en reprenant l’antenne après l’intervention sur place de M. Forestier, la présentatrice conclut : « Les médecins également de l’hôpital ont signé un communiqué pour dénoncer ces tags antisémites. » Elle convie ensuite son invité en plateau, un médecin signataire de ce communiqué, à prendre la parole. Durant l’ensemble de cette séquence (lancement, sujet vidéo, conclusion), le bandeau est resté identique, en maintenant la formulation « jugé antisémite ».
Dans son second lancement, Mme Simonet énonce : « L’inquiétude face à la montée de l’antisémitisme à l’hôpital Bichat dans le nord de Paris, des médecins se sont indignés de la présence de tags antisémites sur la façade du bâtiment, on vous retrouve sur place Antoine Forestier, les médecins ont fait un communiqué pour dénoncer la présence de ces tags, mais ce que vous avez constaté, c’est qu’ils ont été effacés ? » Dans ce second journal, le même bandeau est resté affiché : « Un tag jugé antisémite par les médecins. »
➔ Le CDJM observe tout d’abord que deux lectures radicalement opposées sont faites des tags objets du traitement journalistique par BFM TV : d’un côté, l’AP-HP et les médecins jugent ces tags antisémites, au point de porter plainte et de publier un communiqué ; de l’autre, le requérant estime absurde de qualifier d’antisémite un tag qui indique « Fuck antisemitism » (« À bas l’antisémitisme »).
Si le CDJM considère qu’il n’a pas pour rôle d’interpréter l’intention des auteurs de ces deux tags, il relève cependant qu’existe un doute suffisant sur le sens à donner à ces tags et que les formulations prudentes du journaliste sur le terrain, ainsi que celle du bandeau distancié (qui précise « jugé antisémite »), respectent les faits, à savoir que les médecins et l’APHP « jugent » ces tags antisémites.
À aucun moment le journaliste sur place ne déclare qu’il s’agit de tags antisémites. Il prend soin de préciser « jugé » antisémite. Il source son information (les étudiants qu’il a croisés), et l’on voit sur la vidéo les deux tags qui ont été par la suite masqués, ce qui permet au spectateur de se faire sa propre opinion. De même, il détaille le contenu du tag, et chacun peut alors partager le point de vue du plaignant, ou au moins l’ambivalence des deux tags. Et le spectateur peut alors mieux apprécier l’information importante qu’il donne au conditionnel, que le premier tag « aurait » été inscrit avant les attaques du 7 octobre.
De son côté, la journaliste présentatrice n’use pas de la même prudence. Tant dans l’introduction générale du journal, que dans le lancement ou la reprise d’antenne, elle prend à son compte les termes de la dénonciation portée par les médecins, les syndicats d’étudiants ou le directeur de l’AP-HP. Elle ne questionne jamais le caractère supposé antisémite des tags, alors que son collègue reporter, sur place, le maintient systématiquement à distance. Elle n’emploie jamais de termes indiquant clairement qu’elle cite l’opinion d’un tiers, faisant ainsi preuve d’un manque de rigueur et de recul dommageable sur l’information qu’elle délivre.
➔ Néanmoins, le CDJM, relevant que le bandeau à l’image et le témoignage du journaliste sur le terrain précisent bien qu’il s’agit de tags « jugés » antisémites, observant que le spectateur a la possibilité de voir lui-même les tags à l’écran pour se faire son opinion, considère qu’il faut, pour conclure, appréhender l’acte journalistique dans son ensemble et non pas se rapporter aux seuls propos de la journaliste en plateau, qui manquent de rigueur. Il estime le grief d’inexactitude et de non-respect de la véracité non fondée.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 12 mars 2024 en séance plénière, considère que BFM TV n’a pas enfreint la règle déontologique d’exactitude et de respect de la véracité.
La saisine est déclarée non fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.