Adopté en réunion plénière du 23 janvier 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 7 novembre 2023, M. Matthieu Slisse, agissant au nom de Mediacités Lille en qualité de journaliste, a saisi le CDJM à propos d’un article publié sur le site de la radio RTL le 31 octobre 2023 sous le titre « Hôpital : les vols de matériel médical mais aussi d’effets personnels de patients se multiplient ».
M. Slisse formule le grief de reprise d’une information exclusive sans mention du média à l’origine de cette information. Il affirme que l’article de RTL, et le sujet diffusé sur les antennes de RTL, sont un démarquage d’une enquête publiée le 23 octobre 2023 par Mediacités et intitulée « Le vol, un mal qui ronge l’hôpital en silence ». Il note que « ni dans le lancement, ni dans le papier radio, ni dans la version web de l’article, la source initiale de l’information – à savoir notre enquête parue une semaine plus tôt – n’est mentionnée ».
M. Slisse indique au CDJM que, prenant connaissance le 6 novembre 2023 de la diffusion de ce sujet, il a contacté le rédacteur du papier radio, qui a « effectué dans la foulée une mise à jour de l’article avec l’ajout “comme le révèlent nos confrères de Mediacités qui ont enquêté sur le sujet” à la fin du premier paragraphe ». Il relève que le sonore disponible à la réécoute n’a lui pas été modifié.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
- Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il « fera preuve de confraternité et de solidarité à l’égard de ses consœurs et de ses confrères, sans renoncer pour la cause à sa liberté d’investigation, d’information, de critique, de commentaire, de satire et de choix éditorial », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 12).
Réponse du média mis en cause
Le 9 novembre 2023, le CDJM a adressé à M. Frank Moulin, directeur de la rédaction de RTL, avec copie à MM. Valentin Boissais et Guillaume Dosda, journalistes, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 23 janvier 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ La saisine porte sur un article publié sur le site de RTL et qui intègre le fichier son d’un « papier radio » diffusé à l’antenne et d’une durée de 1 min et 27 s, lancement compris. Les deux versions de l’acte journalistique sont quasi identiques. Le papier radio est annoncé par le présentateur par la formule suivante :
« C’est un phénomène qu’on découvre ce matin et qui ronge pourtant nos établissements de santé depuis plusieurs années : les vols à répétition dans les hôpitaux. Il y en a eu quasiment 1 200 en 2021 – ce sont les derniers chiffres du ministère de la Santé – et cela va du matériel médical aux effets personnels des patients, Valentin Boissais… »
La version écrite publiée sur le site de RTL est titrée « Hôpital : les vols de matériel médical mais aussi d’effets personnels de patients se multiplient » et commence par le chapô (texte introductif) suivant : « Selon les chiffres du ministère de la Santé, il y aurait eu 1 200 vols dans les hôpitaux en 2021. Cela va du matériel médical aux effets personnels des patients. » Ce texte intègre au style indirect les propos scriptés d’un expert qui étaient entendus dans la version audio. Il représente l’équivalent d’un feuillet, soit environ 1 500 signes.
L’article de Mediacités est un texte de quinze feuillets, soit environ 22 500 signes, intitulé « Le vol, un mal qui ronge l’hôpital en silence ». Il précise qu’il s’agit d’une enquête de « plusieurs mois » et présente de nombreux témoignages et données sur les vols dans les hôpitaux.
➔ Le CDJM a relevé plusieurs correspondances entre les deux travaux :
- L’article de RTL s’ouvre en évoquant le vol de dix-huit endoscopes à l’hôpital de Melun en 2021. Cette information figure également dans l’article de Mediacités. Mais si Mediacités indique qu’il reprend cette information du Parisien (avec un lien vers l’article de ce journal), RTL ne le fait pas, bien que la radio précise le montant du préjudice (400 000 euros), chiffre qui n’est donné que par Le Parisien.
- Le texte de RTL commence par la phrase : « C’est un phénomène qui ronge les établissements de santé depuis plusieurs années : les vols » et le lancement du présentateur à l’antenne évoquait un « phénomène […] qui ronge nos établissements de santé ». De son côté, Mediacités titrait : « Le vol, un mal qui ronge l’hôpital en silence. »
- RTL indique que « selon les chiffres du ministère de la Santé, il y aurait eu 1 200 vols dans les hôpitaux en 2021. Cela va du matériel médical aux effets personnels des patients ». Mediacités écrivait, en citant le rapport annuel de l’Observatoire national des violences en santé, organisme du ministère de la Santé : « Les dernières données disponibles, celles de l’année 2021, font état de 1 281 faits, pour des vols allant des très onéreux véhicules ambulanciers aux masques FFP2 portés par les soignants pendant la pandémie. »
- RTL évoque la variété des objets volés, dont des chariots mortuaires. Cette précision figurait également dans Mediacités.
- M. Renoul, le président de l’association des chargés de sécurité des établissements de soins, interrogé par RTL, est aussi une des sources citées par Mediacités.
- RTL conclut son article par une remarque sur le récent plan pour la sécurité des hôpitaux : « Le 29 septembre dernier, le gouvernement a présenté un plan pour la sécurité des hôpitaux. On n’y trouve qu’une seule mesure sur ces vols. » Mediacités écrivait : « Parmi les 42 mesures du plan pour la sécurité des professionnels de santé, annoncé le 29 septembre dernier par le gouvernement, une seule concerne les vols. »
➔ La reprise des sujets traités par d’autres médias, notamment par des titres locaux, quotidiens ou hebdomadaires régionaux ou sites indépendants en ligne, est une pratique récurrente pour les rédactions nationales, qui ne disposent pas toujours d’un réseau de correspondants en région. S’inspirer des publications d’un confrère n’est pas en soi un manquement à la déontologie : une info publiée par un tiers devient un sujet de l’actualité qui peut être traité par un autre média. Mais l’éthique impose clairement d’attribuer l’information originelle à son auteur. C’est le minimum de la confraternité et de transparence vis-à-vis du public. L’usage veut, depuis le développement du numérique, qu’on fasse en outre figurer un hyperlien vers l’article du confrère.
➔ En l’occurrence, le CDJM constate que la plupart des éléments qui composent l’article de RTL se trouvent dans celui, plus long et plus complet, publié quelques jours plus tôt par Mediacités. L’inspiration de l’un par l’autre fait d’autant moins de doute que, dès que le journaliste de Mediacités a pris connaissance de l’article de RTL, le texte publié sur le site de la radio a été modifié. « De retour de congés le 06/11, écrit le requérant M. Slisse au CDJM, je découvre cet article et la non-mention de Mediacités. Je prends attache avec Valentin Boissais, le rédacteur du papier radio qui effectue dans la foulée une mise à jour de l’article avec l’ajout “comme le révèlent nos confrères de Mediacités qui ont enquêté sur le sujet” à la fin du premier paragraphe. »
Le CDJM prend acte de la réaction du journaliste de RTL et de cet ajout dans la version en ligne du sujet. Il déplore cependant qu’il ait fallu une démarche du journaliste de Mediacités pour que la règle déontologique de « citer les confrères dont [on] utilise le travail » ait été respectée. Il constate qu’en direct sur l’antenne de RTL, ni le lancement du présentateur ni le papier audio qui suivait n’indiquaient que le sujet avait été mis en avant auparavant par Mediacités. L’audience matinale de RTL reste vraisemblablement supérieure à la consultation d’une seule page du site RTL, et, pour la majorité du public atteint par cette information, celle-ci est, comme l’a dit le présentateur, « un phénomène qu’on découvre ce matin… ».
Le grief de non-citation du travail d’un confrère est constitué.
➔ Le CDJM rappelle qu’une modification apportée à un acte journalistique n’est complète que si elle figure sur toutes les versions diffusées par les différents supports proposés. Il note que le papier audio, simple reprise « en simultané » du sujet diffusé à l’antenne, n’a pas été modifié, et que son écoute n’informe pas le public de la source originelle de l’information. Cela est récurrent, et le CDJM invite les médias à veiller à ce que les corrections ou modifications apportées à un acte journalistique figurent dans les versions mises en ligne, notamment, pour les médias audiovisuels, lors des reprises d’extraits de l’antenne.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 23 janvier 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de citer les confrères dont on utilise le travail n’a pas été respectée.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.