Avis sur la saisine n° 23-106 et similaire

Adopté en réunion plénière du 13 février 2024 (version PDF)

Description des saisines

Le 7 octobre 2023, M. Xavier Azalbert, directeur de la publication de Francesoir.fr, a saisi le CDJM au nom de la société Shopper Union France, éditrice du site, à propos du contenu d’une séquence diffusée par France Inter à 8 h 20 dans l’émission « le 7/10 » du 3 octobre 2023. Il énonce trois griefs : non-respect de l’exactitude et de la véracité, absence d’offre de réplique et absence de distinction entre publicité et information.

Il estime que Mme Léa Salamé, journaliste, n’a pas respecté l’obligation d’exactitude et de véracité en ne questionnant pas M. Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, sur les effets secondaires de la vaccination contre la Covid-19. Il note que la journaliste « n’a pas repris le ministre de la Santé sur l’existence des effets secondaires de la vaccination » et argue qu’il y a défaut d’offre de réplique car « le ministre de la Santé qui n’est pas médecin n’avait pas de contradicteur alors qu’il s’exprimait sur un sujet du ressort de [son ministère] ».

Le 2 janvier 2004, M. Gilles Nougaret a saisi le CDJM du contenu de la même séquence, en ajoutant au grief d’inexactitude celui de non rectification d’une erreur.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il ne doit jamais « confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
  • Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révélerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

Réponse du média mis en cause

Le 20 octobre 2023, puis le 18 janvier 2024 après réception d’une seconde saisine introduisant un nouveau grief, le CDJM a adressé à M. Jean-Philippe Baille, directeur de l’information de Radio France, avec copie à M. Marc Fauvelle, directeur de l’information de France Inter, et Mme Léa Salamé, journaliste, un courrier les informant de ces saisines et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 13 février 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La séquence mise en cause s’inscrit dans une interview radiophonique (également filmée) d’une vingtaine de minutes de M. Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé, réalisée en direct le 3 octobre 2023 et menée par Mme Léa Salamé et M. Nicolas Demorand.

À 5 min 9 s du début de l’entretien, Mme Salamé interroge le ministre sur la vaccination anti-Covid : « Oui, mais enfin, on ne va pas forcer [les gens], donc comment vous vous pouvez convaincre ce matin ceux qui nous écoutent d’aller tout à l’heure se faire vacciner ? » Et le ministre répond : « Eh bien je leur dis : “On a un vaccin qui est plus efficace. Il est plus efficace que celui de l’an dernier. Il correspond parfaitement aux souches, voilà. Et on a un vaccin, dont – maintenant on a trois ans de recul – on sait qu’on n’a pas d’effets secondaires, et donc il faut y aller.” Et, par ailleurs, on est dans un climat global, où j’espère qu’on arrive à porter sur le papillomavirus, sur la bronchiolite, sur le Covid, sur la grippe. Il y a une dynamique, où moi je veux montrer que la vaccination, c’est le progrès. »

Sur le grief d’inexactitude et d’atteinte à la véracité

➔ Le CDJM note tout d’abord qu’un « effet secondaire », selon l’acception du terme validée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est « un effet connu, autre que celui principalement recherché, en rapport avec les propriétés pharmacologiques d’un médicament »*. Il relève donc qu’en ce sens, un médicament peut s’avérer avoir des effets secondaires « désirables » ou « indésirables », ces derniers s’entendant, toujours selon l’OMS, comme « toute réponse nocive et non voulue à un médicament ».

Sur cette base, le CDJM constate que les données disponibles pour la France font apparaître que les vaccins administrés contre le Covid-19 ont fait l’objet de signalement d’effets indésirables, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé(ANSM), donc secondaires**. Lors de son dernier décompte datant du 8 juin 2023, l’ANSM a comptabilisé 193 934 cas déclarés depuis le début de la vaccination (un cas déclaré ne signifiant cependant pas que l’effet est imputable au vaccin), dont certains sont des signaux confirmés, c’est-à-dire des cas pour lesquels le lien entre l’effet indésirable et le vaccin est avéré, selon les critères de l’ANSM.

Au regard des données disponibles pour la France, il se révèle donc inexact, comme l’a fait le ministre de la Santé, de dire à propos du vaccin contre le Covid-19 : « On sait qu’on n’a pas d’effets secondaires. »

➔ Mme Salamé n’a pas réagi à cette inexactitude. Elle n’a pas fait préciser par M. Rousseau son affirmation sur l’absence d’effets secondaires de la vaccination anti-Covid (qui aurait pu porter sur la gravité, ou non, des cas indésirables signalés, ou sur la fréquence de leur survenue, par exemple). Elle n’a pas non plus apporté cette correction elle-même, ce que doit faire un intervieweur en pareil cas face à un interviewé qui met en avant une information fausse ou partiellement exacte.

Le CDJM observe, cependant, que les contraintes imposées par le direct ne sont pas les mêmes que celles d’un entretien enregistré pour diffusion ultérieure ou reconstitution écrite sous forme de questions/ réponses. En l’occurrence, d’une part ces contraintes (obligation de respecter la une durée fixée pour l’interview, nécessité de tenir un angle, impossibilité de montage, contact permanent de la journaliste avec le réalisateur de l’émission) et d’autre part la portée relative de l’imprécision sur la nature des effets secondaires enregistrés par l’ANSM conduisent le CDJM à considérer qu’il n’y a pas faute déontologique caractérisée.

Sur le grief de non rectification d’une erreur

➔ Le CDJM constate qu’au jour de l’adoption du présent avis, et bien que France Inter ait été averti des présentes saisines par courriers des 20 octobre 2023 puis 18 janvier 2024, le média n’a apporté aucun rectificatif sur la page de la vidéo de cette interview disponible en ligne, ni sur la vidéo elle-même. Il n’a pas respecté, ainsi, l’obligation déontologique de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible une erreur ou toute information publiée qui se révèle inexacte. Le grief est déclaré fondé.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

➔ Le CDJM rappelle qu’au regard des chartes auxquelles il se réfère, l’offre de réplique s’applique lorsque des personnes ou organismes sont mis en cause – ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le grief d’absence d’offre de réplique est non-fondé.

Sur le grief de non-respect de la distinction entre publicité et information

➔ Le CDJM considère que l’interview du ministre de la Santé sur un sujet de santé publique n’est pas assimilable à de la publicité, mais qu’elle revêt un caractère d’information d’intérêt général pour le public. Il estime donc que le grief de non-respect de la distinction entre publicité et information n’est pas fondé.

* Le « Guide pédagogique de l’OMS pour la sécurité des patients » est disponible sur le site de la Haute autorité de santé (HAS), www.has-sante.fr

** Sources :  « Effets indésirables des vaccins contre le Covid, données de pharmacovigilance », ANSM, Saint-Denis, actualisation au 8 juin 2023. Et : « Suivi des cas d’effets indésirables des vaccins COVID-19 », ANSM, actualisation au 8 juin 2023.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 13 février 2024 en séance plénière, estime que la règle déontologique d’exactitude et de respect de la véracité n’a pas été enfreinte par la journaliste de France Inter, mais que le média, éditeur de la séquence disponible en ligne a posteriori, a enfreint celle qui impose de rectifier une erreur ou toute information qui se révèle inexacte de manière rapide, explicite, complète et visible. Le CDJM estime, par ailleurs, que les griefs d’absence d’offre de réplique et de non respect de la distinction entre publicité et information ne sont pas fondés.

Les saisines sont déclarées partiellement fondées.

Cet avis a été adopté à l’issue d’un vote à égalité des voix, départagé par la voix prépondérante de la présidente (article 11.5 du Règlement intérieur), sur le grief d’inexactitude et d’atteinte à la véracité (8 pour, 8 contre), et par consensus sur ceux de non-rectification d’une erreur, d’absence d’offre de réplique et de non respect de la distinction entre publicité et information

Expression minoritaire

En application de l’article 6 alinéa 4 du règlement intérieur du CDJM, six conseillers, qui ont voté contre la décision du CDJM s’agissant du grief d’inexactitude et d’atteinte à la véracité, ont souhaité que cet avis minoritaire soit inséré :

« En octobre 2023, soit presque trois ans après la première vaccination contre le virus du Covid, la journaliste qui conduisait l’entretien avec le ministre de la Santé ne pouvait ignorer, selon nous, la question des effets secondaires, documentés notamment par les organismes de santé publique. Cette question a également fait l’objet de nombreux traitements dans les médias.

Nous remarquons qu’à la fin de cette interview d’environ vingt-cinq minutes, le thème des effets indésirables est abordé à propos du cannabis thérapeutique.

À nos yeux, les conditions de réalisation (en direct) et le manque de temps pour réagir ne nous paraissent pas suffisants pour justifier l’absence de nuance qu’aurait dû apporter la journaliste aux propos du ministre.»

close Soutenez le CDJM !