Avis sur les saisines n° 23-101 et similaires

Adopté en réunion plénière du 9 janvier 2024 (version PDF)

Description des saisines

Le 5 octobre 2023, le CDJM a reçu de Mmes Marion Journet et Émilie Provost, de M. Michel Scrive ainsi que de la société spécialisée dans le recyclage des biodéchets ValOrbioCompost, représentée par son président, M. Éric Brulfert, quatre saisines concernant une séquence diffusée dans l’émission « Télématin » diffusée sur France 2 le 4 octobre 2023 sur le thème du compostage des déchets organiques.

Les requérants estiment que le chroniqueur, M. Philippe Collignon, journaliste spécialisé dans le jardinage, n’a pas respecté l’exactitude et la véracité des faits lorsqu’il explique à ses voisins de plateau : « À partir du 1er janvier 2024, vous allez être obligés de composter vos déchets organiques. » C’est « totalement faux », relève ainsi Mme Journet : « Au 1er janvier, tous les ménages […] devront trier leurs déchets à la source […] mais en aucun cas composter ces déchets chez eux. C’est à la collectivité de fournir un moyen de [les] valoriser. »

En outre, M. Scrive relève que, contrairement à ce qui est dit dans la chronique, les amendes et contrôles mis en place ne concernent pas les particuliers. Il regrette également les remarques du chroniqueur sur les désagréments causés par le compostage et son manque d’intérêt écologique.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

D’une part, concernant l’exactitude et la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).

D’autre part, concernant la rectification des erreurs :

  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

Réponse du média mis en cause

Le 13 octobre 2023, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copie à M. Philippe Collignon, journaliste chroniqueur, et Mme Ophélie Radureau-Viaene, productrice de l’émission, un courrier les informant de ces saisines et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

M. Collignon a alors contacté le CDJM pour lui indiquer qu’il reconnaissait avoir commis une erreur et prévoyait de la rectifier dans l’émission « Télématin » diffusée le dimanche 15 octobre. Avant de débuter sa chronique, il y explique qu’il a « commis une erreur il y a quelques jours » : « Je vous avais annoncé que le particulier, à partir du 1er janvier 2024, était obligé de le composter. En fait, ce n’est pas le particulier, mais ce sont les collectivités qui seront obligées de donner aux particuliers des moyens de composter. » 

Analyse du CDJM

➔ Lors de l’émission « Télématin » diffusée le 4 octobre 2023, M. Philippe Collignon, journaliste spécialiste de jardinage, consacre sa chronique (à 2 h 28 min du début de la vidéo) à ce qu’il présente comme une nouvelle obligation légale pour les particuliers, celle de conserver leurs déchets organiques et de les composter eux-mêmes. Sur un ton complice, il propose au duo d’animateurs, M. Thomas Sotto et Mme Marie Portolano, de commencer « à trouver des petits noms pour des vers de terre » qu’ils vont devoir héberger dans leur salon afin de traiter ces biodéchets, « 83 kg par an et par personne, 300 kg par foyer en moyenne » : « Il va falloir recycler ces restes de repas, ces épluchures, etc. »

Au grand étonnement du reste du plateau, il ajoute qu’est prévue une amende d’un montant de 35 euros (« 75 euros si vous ne la payez pas ») en cas de non-respect de cette règle, et que des contrôles intrusifs sont prévus : « Ils vont fouiller, ils vont prélever les poubelles des immeubles. » Suit un échange sur le risque que les nouveaux composteurs installés par les particuliers attirent les rats, « parce que les rats en ville, les rats, ils vont dans le compost ». Le chroniqueur ajoute que « ce qu’il y a de pire, c’est que ça va sentir très mauvais », avant de donner quelques conseils « pour faire un bon compost ».

À la question d’un autre intervenant (« est-ce qu’il y a un intérêt écologique vérifié sur cette question ? »), il répond que « l’intérêt c’est que ça va coûter moins cher aux collectivités de récolter. […] C’est une question d’argent ».

➔ Les quatre requérants expliquent au CDJM que le journaliste commet une erreur en évoquant une nouvelle obligation légale imposée aux ménages de composter eux-mêmes leurs déchets organiques le 1er janvier 2024. Mme Marion Journet explique ainsi que le dispositif entrant en vigueur prévoit bien que les particuliers doivent les séparer du reste des ordures ménagères, « mais en aucun cas [de] composter ces déchets chez eux. C’est à la collectivité de fournir un moyen de valoriser ces déchets ».

M. Éric Brulfert, représentant de la société ValOrbioCompost, considère que le journaliste « énonce plusieurs fausses informations pour tomber dans le côté sensationnel ». Il explique que les amendes décrites par M. Collignon concernent « les gros producteurs de biodéchets, pas […] les particuliers/ménages », et que les « contrôles de poubelles […] n’existent pas pour les poubelles des particuliers ».

M. Brulfert regrette que le journaliste évoque dans ses interventions le risque pour les personnes réalisant leur compost d’attirer des rats chez eux – un risque « non prouvé » – et de subir de mauvaises odeurs – ce n’est pas le cas si « les bonnes pratiques » sont respectées, indique-t-il. Il considère que le journaliste a tort de minimiser « l’intérêt écologique du compostage, largement prouvé », se basant sur « l’initiative mondiale “4 pour 1 000” lancée par la France lors de la COP 21 ou encore les rapports du Giec ».

Il formule enfin le grief de non-rectification d’une erreur, considérant que « quand on bénéficie d’un média de diffusion d’informations en masse, de surcroît sur le service public, il est essentiel de vérifier son contenu et de ne pas diffuser de fake news ».

De son côté, M. Michel Scrive considère que « ce sujet de vie quotidienne est traité comme un sujet sensationnaliste et en jouant sur la peur, alors que cette pratique est facile, écologique et sans danger ». Mme Émilie Provost résume ainsi la démarche du journaliste : « C’est inciter les gens à refuser sans savoir. […] Ce sujet pris sur ce ton fait beaucoup de mal. »

➔ Le CDJM constate que les dispositions de l’article L. 541-21-1 du code de l’environnement devant être appliquées « au plus tard le 31 décembre 2023 » n’obligent pas les particuliers à composter eux-mêmes leurs déchets organiques, mais imposent aux collectivités locales d’organiser leur collecte et leur valorisation, rendant possible leur tri à la source. La présentation qu’en fait le chroniqueur est donc erronée, qu’il s’agisse de la prétendue obligation de faire son compost, du risque d’amendes ou de la mise en place de contrôles. La simple consultation de la page d’information du ministère de la Transition écologique publiée le 15 septembre 2023 aurait permis d’éviter cette erreur.

➔ Lors de l’émission « Télématin » diffusée le dimanche 15 octobre 2023, le présentateur, M. Damien Thévenot, introduit ainsi la séquence avec son chroniqueur, M. Collignon (à 20 min et 25 s du début de l’émission) : « […] Il y a quelques jours, il était évoqué sur ce plateau le compostage obligatoire chez les particuliers, Philippe, et une erreur s’est glissée. Donc, quand une erreur est commise, ça arrive, on la répare. » En réponse, M. Collignon explique, avant de commencer sa chronique, qu’il a « commis une erreur il y a quelques jours », avant de détailler :

« Je vous avais annoncé que le particulier, à partir du 1er janvier 2024, était obligé de composter. En fait, ce n’est pas le particulier, mais ce sont les collectivités qui seront obligées de donner au particuliers des moyens de composter, donc de tri à la source.

Ce sont donc les collectivités qui auront cette obligation et non les particuliers, comme je l’avais énoncé il y a quelques jours. Donc pas d’obligation et pas d’amende, comme je l’avais dit. »

Le chroniqueur revient ensuite sur les dispositifs pratiques qui peuvent être mis en place pour appliquer cette mesure, avant d’expliquer qu’elle est « une bonne nouvelle pour l’environnement. Pourquoi ? Parce que si tout le monde joue le jeu, c’est six millions de tonnes qui échapperont à l’incinération et qui se retrouveront sous forme de terreau, de compost. Et c’est une bonne nouvelle pour nos agriculteurs qui les utilisent. »

➔ Le CDJM note que les quatre saisines étaient justifiées par le caractère erroné des informations diffusées dans cette chronique. Il remarque que la rédaction de « Télématin » a bien rectifié son erreur à l’antenne, certes onze jours après l’avoir commise, mais rapidement après que le CDJM l’en a informée. Il ajoute que le caractère nécessaire de cette rectification a été clairement annoncé à l’antenne par le présentateur, et que son objet a été précisément explicité par le journaliste concerné. Celui-ci a détaillé la triple erreur commise sur l’existence même d’une obligation générale de compostage à domicile pour les particuliers, assortie de la possibilité d’amendes et de la mise en place de contrôles à domicile. Il a enfin rappelé l’intérêt écologique du compostage en général.

➔ Le CDJM note cependant qu’à la date du 9 janvier 2023, l’émission « Télématin » diffusée le 4 octobre 2023 et contenant la séquence concernée est consultable sur le site de France Télévisions sans qu’aucun avertissement ou aucune mention ne permette de savoir que l’émission comporte des erreurs ayant été rectifiées ultérieurement. Le texte de description affiché sous le lecteur vidéo comporte seulement la liste des séquences, dont la chronique concernée est d’ailleurs absente. La Charte d’éthique mondiale des journalistes prévoit, dans son article 6, que les erreurs commises soient rectifiées « de manière rapide, explicite, complète et visible ». En n’avertissant pas l’internaute qui consulte la page de présentation de l’émission « Télématin » du 4 octobre 2023, son diffuseur, France Télévisions, ne respecte pas cette obligation déontologique. Le CDJM ajoute que sa recommandation à propos de la rectification des erreurs, adoptée le 11 mai 2021, suggère aux médias de « prendre en compte tous les moyens de publication, et non seulement le support de diffusion originel » dans « la démarche de rectification d’une erreur ».

Conclusion

Le CDJM, réuni le 9 janvier 2024 en séance plénière, estime que le chroniqueur de « Télématin » a présenté les faits de façon erronée dans sa chronique diffusée le 4 octobre 2023, mais, qu’avec la rédaction de l’émission, il a rectifié cette erreur dans l’édition du 15 octobre 2023, conformément aux règles déontologiques concernées.

Il considère cependant qu’en ne modifiant pas la page concernée de son site, la chaîne n’a, elle, pas respecté ces mêmes règles.

Les saisines sont déclarées partiellement fondées.

Cet avis a été adopté par consensus.

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