Adopté en réunion plénière du 9 janvier 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 4 septembre 2023, M. Évariste Mollard a saisi le CDJM à propos de l’émission « 24 heures Pujadas » diffusée par LCI le 31 août 2023.
M. Mollard formule les griefs d’inexactitude et de non-rectification à propos de l’éditorial de Mme Ruth Elkrief. Celle-ci, au lendemain de la « rencontre de Saint-Denis » organisée par le président de la République avec les chefs des partis politiques à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur (MELH) de cette ville de Seine-Saint-Denis, donne son analyse de l’événement.
M. Mollard reproche à Mme Elkrief, outre le sens général de son intervention, d’avoir dit « avec assurance et enthousiasme », écrit-il, « que M. Bardella est apparu “inspiré” parce qu’“il a fait ses études à ce collège de la Légion d’honneur” ». Selon M. Mollard, « cette affirmation est factuellement fausse et matériellement impossible […] La MELH de Saint-Denis, conformément à ses règles d’admission, n’accueille que des jeunes filles, en lycée, hypokhâgne-khâgne et BTS de commerce international ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
- Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».
Réponse du média mis en cause
Compte tenu du faible enjeu de la saisine et du professionnalisme tant de Mme Elkrief que de la chaîne LCI, le bureau du CDJM a d’abord proposé au requérant et à la journaliste concernée une médiation, comme le prévoit son règlement intérieur. Acceptée par le requérant mais rejetée par Mme Elkrief, cette médiation n’a pu aboutir.
Dans un courriel du 23 octobre 2023, Mme Elkrief contestait au CDJM « le pouvoir de prononcer des avis sur la manière dont les journalistes exercent leur métier », voire celui de se faire médiateur entre les requérants et les médias ou journalistes mis en cause. Dans ce courriel, Mme Elkrief contestait « vivement » les griefs allégués par M. Mollard.
Pour mémoire, le CDJM ne se prononce pas « sur la manière dont les journalistes exercent leur métier », et notamment pas sur leurs choix éditoriaux ou rédactionnels, voire leurs opinions ; ses avis portent exclusivement sur la manière dont les journalistes respectent ou non leurs obligations déontologiques sur des actes journalistiques précis.
Ces règles concernant également le diffuseur, le CDJM a adressé le 8 novembre 2023 à M. Thierry Thuillier, directeur général adjoint Information du Groupe TF1, directeur général de LCI, avec copie à Mme Elkrief, un courrier les informant de la mise à l’étude de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations.
Le 20 novembre 2023, M. Fabien Namias, directeur général adjoint de LCI a répondu au CDJM. Il récuse la démarche du CDJM, et, sur le fond, considère que « les griefs formulés reviennent à remettre en cause l’analyse qu’une journaliste a pu faire de la liberté d’information (en l’espèce la question de savoir sur cette séquence a été ou non favorable à telle ou telle personnalité ou parti politique) ».
Analyse du CDJM
➔ La chronique « Parti pris » de Mme Ruth Elkrief du 31 août 2023 est consacrée à l’événement politique intervenu la veille et tard dans la nuit, la « rencontre de Saint-Denis » organisée par le président de la République. Mme Elkrief estime que cette rencontre est un succès. Elle en décrit des détails, la façon dont le Président a géré l’ordre du jour, l’ambiance pendant les échanges et les interruptions de séance, et fait écouter des commentaires de M. François Bayrou, président du Modem, de M. Clément Beaune, alors ministre des Transports, et de M. Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français.
Mme Elkrief évoque M. Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, en ces termes, à 1 h 40 min 30 s de la vidéo : « Jordan Bardella fait impression parce que, comme il était inspiré par ses études qu’il avait fait[es] à ce collège de la Légion d’honneur, il a fait une bonne copie, tout le monde l’a reconnu. » Elle tire enfin les conclusions pour les uns et les autres et notamment pour M. Emmanuel Macron en insistant, extraits de déclarations de participants à l’appui, sur le fait que dialoguer entre opposition et gouvernement « c’est la vraie vie, la vie normale d’une démocratie civilisée », mais que « dès qu’ils sont sortis la parenthèse enchantée a été terminée ».
➔ Le CDJM observe que dans sa saisine, M. Mollard porte des appréciations sur cet éditorial qui sont des commentaires opposés à l’analyse que fait Mme Elkrief. Il conteste par exemple l’expression de la journaliste « M. Bardella a fait impression » en interrogeant : « À qui ? On ne le sait pas. » Ces critiques mettent en cause un choix éditorial et rédactionnel et la liberté de ton reconnue des éditorialistes. Elles ne relèvent pas de la déontologie du journalisme. Le grief d’inexactitude ne peut donc pas être retenu sur ce point.
➔ Concernant le parcours scolaire de M. Bardella, le CDJM note que celui-ci a fait ses études secondaires au lycée privé Jean-Baptiste-de-la-Salle de Saint-Denis (lire cet article publié par des étudiants de l’École de journalisme de Science Po et sa notice Wikipédia). Par ailleurs, on lit sur le site de la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur que « le projet éducatif des maisons d’éducation de la Légion d’honneur a pour ambition de former des jeunes filles bien dans leur époque et de les préparer à leur vie future dans le respect des valeurs morales de l’institution » et que « la maison d’éducation de Saint-Denis accueille plus de 400 lycéennes en internat. L’exigence de sa mission éducative place l’établissement parmi les plus performants avec 100 % de réussite au baccalauréat ».
Il est clair que M. Bardella n’a pas fait ses études à la Maison de la Légion d’honneur de Saint-Denis qui n’accueille que des jeunes filles, et qu’il est inexact de le dire. Le grief d’inexactitude peut donc être retenu sur ce point.
À la connaissance du CDJM, cette erreur n’a pas été corrigée dans les éditions ultérieures de la chronique de Mme Elkrief. La page du site de TF1 proposant le visionnage de l’émission, toujours accessible le 9 janvier 2024, ne porte aucune mention indiquant une rectification de l’information erronée.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 9 janvier 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude n’a pas été respectée sur un point de l’intervention de Mme Elkrief, ainsi que celle imposant de rectifier rapidement une erreur.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.