Avis sur la saisine n° 23-077

Adopté en réunion plénière du 14 novembre 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 1er août 2023, M. Olivier Guichardaz a saisi le CDJM à propos d’une dépêche de l’AFP diffusée le 24 juillet 2023, et reprise notamment sur le site de France 24 sous le titre « Fin de l’impression systématique du ticket de caisse au 1er août: cette fois, c’est la bonne ».

M. Guichardaz formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité. Il considère que « la dépêche de l’AFP induit le lecteur (et les médias qui l’ont reprise ou se sont basés sur elle) en erreur » sur deux points. D’une part, en laissant comprendre que l’impression des tickets de caisse en France « nécessitent, pour leur fabrication, l’abattage de 25 millions d’arbres » alors que ce chiffre est relatif « aux tickets de caisse imprimés à l’échelle mondiale ». D’autre part, en indiquant que ces « 12,5 milliards de tickets de caisse représentent 150 000 tonnes de papier ».

M. Guichardaz suppose que ces données ont été reprises d’un document publié par le ministère de l’Économie, dont il met en doute les indications dans un long raisonnement mathématique, et reproche à l’AFP de ne pas avoir « essay[é] de vérifier les informations contenues dans le dossier de presse ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3)
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves […] la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il s’efforce « par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Lire également la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

Réponse du média mis en cause

Une tentative de médiation préalable, prévue par les statuts du CDJM, ayant échoué entre le requérant et l’AFP, le CDJM a adressé le 12 octobre 2023 un courrier à M. Philip Chetwynd, directeur de la rédaction de l’AFP, avec copies à Mme Audrey Kaufmann, cheffe du service Macroéconomie et entreprises, et à M. Christophe Walter-Petit, directeur juridique, qui avait répondu au CJDM pour récuser la proposition de médiation. Il les a informés de cette saisine et les a invités à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

M. Christophe Walter-Petit a répondu par courriel le 19 octobre 2023 en renvoyant à sa première réponse, dans laquelle il écrivait « que la copie de l’AFP relève de l’autorité de la hiérarchie rédactionnelle de l’Agence » et déniait toute « légitimité au CDJM pour intervenir sur [les] contenus éditoriaux [de l’AFP] ».

Comme indiqué dans ses statuts, le CDJM, association d’intérêt général à vocation culturelle, est « une instance de dialogue et de médiation entre les journalistes, les médias et agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique dont elle est saisie ou dont elle souhaite se saisir ».

Son objet n’est ni de se substituer à la hiérarchie rédactionnelle des agences et des médias, ni de se prononcer sur les choix éditoriaux, qui sont libres et demeurent l’apanage des rédactions, mais il est « d’intérêt général dans le but d’enrichir et de promouvoir la réflexion sur la déontologie journalistique tant du point de vue du public que des professionnels de l’information », selon l’article 2 de ses statuts.

Analyse du CDJM

➔ La dépêche de l’AFP mise en cause a été publiée par plusieurs médias abonnés à cette agence sous le titre « Fin de l’impression systématique du ticket de caisse au 1er août : cette fois, c’est la bonne », par exemple sur les sites de France 24, de BFM TV, de Challenges, de Centre Presse ou du Point. Elle a été utilisée dans plusieurs autres articles, par exemple sur le site de RTL ou celui de 20 Minutes.

Elle analyse les raisons du retard pris par la mise en place d’une disposition législative votée en 2020 instaurant la fin de l’impression systématique des tickets de caisse, et indique la façon dont cette mesure va s’appliquer, en citant notamment le cabinet de la ministre déléguée au Commerce.

Un paragraphe de 471 signes (sur les 4 225 que compte la dépêche) expose les raisons qui ont conduit à ce changement :

« Cette mesure découle de la loi “anti-gaspillage et économie circulaire”, votée en 2020, et vise à réduire la production de déchets. Aujourd’hui, 12,5 milliards de tickets de caisse sont imprimés chaque année en France. Certains sont très petits et ainsi difficiles “à collecter et à recycler”. En termes de conséquences environnementales, ils représentent 150 000 tonnes de papier, soit 25 millions d’arbres coupés et 18 milliards de litres d’eau consommés, selon Bercy. »

C’est ce paragraphe qui est l’objet des griefs formulés par M. Olivier Guichardaz, journaliste spécialisé dans la question de la gestion des déchets.

➔ Le requérant estime tout d’abord que « le lecteur peut légitimement déduire que les tickets de caisse imprimés en France nécessitent, pour leur fabrication, l’abattage de 25 millions d’arbres, selon Bercy ». Or, fait-il remarquer, le chiffre de 25 millions d’arbres abattus est relatif « aux tickets de caisse imprimés “à l’échelle mondiale” ».

Si ce chiffre ne figure pas dans le communiqué de presse du ministère du 24 juillet, il apparaît dans une infographie pédagogique intitulée « Remise du ticket de caisse à la demande du client » citée par le requérant et consultée par le CDJM – ce document est aujourd’hui indisponible sur le site du ministère. Visiblement réalisé à destination des commerçants et du public, le document est articulé en deux parties, « pourquoi » et « comment ». Dans la première, il explique, sous la mention « Mettre fin au gaspillage des ressources naturelles », que « 12,5 milliards de tickets de caisse sont imprimés chaque année en France », que « la plupart des tickets finissent à la poubelle », qu’ils sont « difficiles à collecter et à recycler » et enfin que « les 12,5 milliards de tickets représentent 150 000 tonnes de papier. À l’échelle mondiale cela représente 25 millions d’arbres coupés, 18 milliards de litres d’eau consommés, 22 millions de barils de pétrole produits [sic] ».

Le rédacteur de la dépêche a donc vraisemblablement trouvé l’indication sur le nombre d’arbres utilisés par la fabrication des tickets de caisse dans ce document. Il a attribué à la seule fabrication des tickets de caisse utilisés en France ce qui se rapportait « à l’échelle mondiale ». Le CDJM constate que la présentation du document officiel manquait de précision, mais note que la rédaction de la dépêche est de nature à induire en erreur le lecteur ; l’obligation d’exactitude n’est pas respectée.

➔ M. Guichardaz met ensuite en doute le chiffre du ministère, repris par l’AFP, selon lequel les 12,5 milliards de tickets de caisse imprimés en France représenteraient 150 000 tonnes de papier. Il propose un « petit calcul mathématique » concluant que les tickets de caisse imprimés en France devraient représenter « une masse totale de 12 500 tonnes, soit beaucoup moins encore que les 150 000 tonnes alléguées par Bercy ». 

Le CDJM indique qu’il ne lui appartient pas de valider les chiffres publiés par un ministère ou le calcul de M. Guichardaz. Il rappelle également que son rôle n’est pas de rechercher la vérité ou de refaire le travail du journaliste, mais d’apprécier si celui-ci a respecté les bonnes pratiques professionnelles fixées dans les chartes éthiques auxquelles il se réfère.

Le chiffre repris – 12,5 milliards de tickets de caisse imprimés en France représenteraient 150 000 tonnes de papier – figure dans la source utilisée et dans le communiqué du 24 juillet 2023. Cette quantité apparaît disproportionnée au journaliste spécialisé qu’est M. Olivier Guichardaz. On peut comprendre qu’un journaliste moins spécialisé ne l’ait pas remis en cause, se contentant de la reprendre en citant sa source. Certes, le rôle du journaliste est de vérifier, mais une donnée publiée deux fois par un organisme officiel, attribuée sans ambiguïté à celui-ci par le journaliste, peut être reproduite.

Il n’y a pas d’inexactitude de sa part au sens déontologique.

➔ Le CDJM regrette cependant que cette dépêche n’ait pas fait l’objet de précision voire d’une rectification de la part de l’AFP. L’attention de l’agence a été attirée sur ses erreurs et imprécisions lors de la démarche du CDJM, proposant une médiation le 11 septembre 2023. On était certes plus d’un mois après la publication de la dépêche objet de la saisine de M. Guichardaz – la période estivale expliquant ce délai. Mais la « Charte AFP des bonnes pratiques éditoriales et déontologiques », dans sa version du 18 septembre 2023 précise : « L’AFP doit corriger ses erreurs rapidement et dans la transparence. Même si des jours ou des semaines ont passé, il faut corriger les erreurs factuelles et, si nécessaire, annuler la dépêche et la supprimer de notre base de données, sans hésiter à recueillir l’avis de la hiérarchie et de la direction juridique. »

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 novembre 2023 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par l’AFP dans un des cas soulevés par le requérant.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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