Adopté en réunion plénière du 12 septembre 2023 (version PDF)
Description de la saisine
Le 26 juin 2023, M. Richard Hees a saisi le CDJM du contenu d’une séquence vidéo intitulée « Violences sexuelles : ce que l’on a découvert dans une école catholique en Essonne », diffusée sur le site du quotidien L’Humanité le 23 juin 2023 à 9 h 41. Cette séquence relate des accusations d’agressions sexuelles et de viol lancées par plusieurs élèves et parents d’élèves d’un établissement privé de Villebon-sur-Yvette (Essonne) et fait le point des diverses péripéties judiciaires, closes ou encore en cours, qui marquent ce dossier.
Le requérant dénonce « une enquête à charge dans l’objectif de détruire l’établissement concerné par l’enquête », autrement dit, formule le grief de partialité. Il dénonce en outre un manquement à la présomption d’innocence, une « mise en danger de la vie d’autrui » et une « diffamation ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations et les droits du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » (Munich, 1971, devoir n° 3).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « défendra, en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables. Il/elle veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique » (FIJ, 2019, article 2).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement » (FIJ, 2019, article 13).
Réponse du média mis en cause
Le 13 juillet 2023, le CDJM a adressé à Mme Maud Vergnol, co-directrice de la rédaction de L’Humanité, avec copie à M. Raphaël Godechot, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. Le 17 août, M. Anthony Daguet, secrétaire général et co-directeur de la publication de L’Humanité, a répondu par courriel à la saisine en se montrant « tout à fait disposé à coopérer et à échanger sur les pratiques professionnelles utilisées dans cette enquête ».
« Je comprends bien que c’est un sujet sensible, explique M. Daguet dans sa réponse, néanmoins je crois que nous avons respecté le droit et la déontologie concernant cette affaire.
- Nous sommes un titre d’information générale qui est tout à fait fondé à enquêter et à informer le grand public.
- Le sujet est d’évidence d’intérêt général et mérite d’être traité.
- Les journalistes ont recueilli plusieurs témoignages concordants ainsi que des documents et courriels permettant de corroborer tout ou partie de ces témoignages. En tout état de cause, les interrogations des journalistes sont légitimes.
- La possibilité a été donnée à tous les acteurs de l’enquête de donner leur point de vue, leurs explications, de pouvoir expliquer plus précisément ou différemment les faits. Des questions précises ont été posées. Il n’y a eu pas ou peu de réponses à ces questions. Face à ce refus, dans l’esprit de fournir une information équilibrée, l’enquête reprend des éléments communiqués précédemment par les acteurs cités. »
Analyse du CDJM
➔ La vidéo intitulée « Violences sexuelles : ce que l’on a découvert dans une école catholique en Essonne », diffusée sur le site de L’Humanité le 23 juin 2023, rapporte plusieurs éléments d’enquête destinés à faire comprendre pourquoi plusieurs alertes concernant des faits de harcèlement, voire d’agressions sur mineur, au sein d’un établissement scolaire privé catholique de Villebon-sur-Yvette (Essonne), n’ont trouvé écho ni auprès de la direction, ni auprès des instances cléricales ou des services de l’Éducation nationale.
D’une durée de 16 min 17 s, l’enquête est présentée en voix off par un journaliste et s’appuie sur une série de témoignages, avec visages floutés, voix déformées et prénoms modifiés. Dès les premières secondes, le journaliste utilise le conditionnel pour décrire l’ambiance qui règnerait depuis au moins deux ans au sein de l’établissement scolaire, marquée selon plusieurs témoins (enseignants, élèves et parents d’élèves) par un management autoritaire et personnel.
Le récit, toujours appuyé par des témoignages filmés, se focalise ensuite sur la personne d’un surveillant, jamais nommé, et sur son comportement vis-à-vis des élèves. Il fait ensuite état de plusieurs alertes adressées à diverses autorités, puis de plaintes judiciaires qui n’ont pas prospéré. À 6 mn 10 s, le journaliste affirme avoir eu un contact avec le surveillant incriminé (dont il redonne, en fin de séquence, la position), et à 11 min 6 s avec le directeur de l’établissement.
Peu avant la conclusion du reportage (14 min 41 s), après avoir expliqué qu’une ultime plainte a donné lieu en février dernier à l’ouverture d’une enquête pour « viol et agressions sexuelles » confirmée par le parquet d’Évry, le journaliste précise : « L’Humanité a contacté le directeur, le rectorat, les autorités religieuses concernées ainsi que le tribunal d’Évry », et rapporte les réponses évasives ou les refus de répondre qu’il a recueillis. À 15 min 44 s, il rappelle la présomption d’innocence dont jouit le surveillant mis en cause.
➔ Le CDJM constate que, comme l’indique M. Daguet pour L’Humanité dans sa réponse à la saisine, la possibilité a été donnée à tous les acteurs de l’enquête de donner leurs points de vue et leurs explications. Il note que les journalistes ont scrupuleusement respecté toutes les précautions inhérentes à ce genre d’enquête : usage du conditionnel, rappel des contacts noués et des contacts avortés, croisement des témoignages, offre de réplique, rappel de la présomption d’innocence, etc.
Aussi, si l’enquête visée peut effectivement paraître « à charge » contre l’établissement catholique visé – par exemple par le choix du titre, anglé, qui relève d’un choix éditorial –, il ne peut qu’être déduit du visionnage de la séquence que cette impression résulte avant tout du refus réitéré de la direction de l’établissement concerné et des tutelles de celui-ci (diocèse, rectorat, etc.) de s’exprimer sur les accusations portées contre lui.
Ces accusations sont formulées par de nombreux témoins. Le refus de s’exprimer de ceux qui avaient en charge de traiter ces accusations ne pouvait permettre au média de nuancer son propos, sauf à espérer que celui-ci renonce à faire état des informations dont il disposait. Cela aurait alors été contraire au devoir de « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », rappelé à l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes.
Le CDJM estime que L’Humanité n’a pas mené d’enquête à charge, ni commis de faute déontologique au regard des chartes auxquelles il se réfère.
Conclusion
Le CDJM réuni le 12 septembre 2023 en séance plénière estime que L’Humanité n’a enfreint aucune règle déontologique.
La saisine est déclarée non fondée.
Cette décision a été prise par consensus.