Avis sur les saisines n° 23-051 et similaires

Adopté en réunion plénière du 12 décembre 2023 (version PDF)

Description des saisines

Le 18 juin 2023, le CDJM a reçu de Mmes Elisabeth Magistry, Mariam Wackenheim et Marie Peyrot et de MM. Stéphane Hary, Stéphane Bosserr, Jérôme Gallecier, Jacques Kopp et Kevin Hamon huit saisines à propos d’une information diffusée par BFM TV le 16 juin 2023 sur différents canaux :

Les huit requérants​ et requérantes formulent le grief d’inexactitude, et certains également le grief de non-rectification d’une erreur.

Les saisines affirment en substance que « BFM a diffusé une information erronée » en écrivant que « l’ONU se dit “inquiète” de la “répression policière” dans les manifestations françaises ». M. Gallecier écrit ainsi que « ce titre est trompeur et peut laisser croire que c’est l’institution internationale qui s’est prononcée », M. Hamon que « BFM TV confond un organisme appelé “The special procedures of the Human Rights Council pour l’ONU” avec l’ONU ». M. Bosserr ajoute que « l’ONU a publié un démenti rappelant que les personnes qui ont émis ce message ne représentent pas l’ONU et ne sont pas rétribuées par l’ONU ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

D’une part, concernant l’exactitude et la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
  • Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».

D’autre part, concernant la rectification des erreurs :

Réponse du média mis en cause

Le 13 juillet 2023, le CDJM a adressé à M. Philippe Corbé, directeur de la rédaction de BFM TV, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 12 décembre 2023, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’information concernée par les saisines est relative à un communiqué publié le 15 juin 2023 en français et en anglais sur le site du bureau du Haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies sous le titre « La France doit respecter et promouvoir le droit de réunion pacifique, déclarent des experts de l’ONU ».

Le bureau du Haut commissaire aux droits de l’homme a indiqué au CDJM que ce communiqué de presse « se réfère à une communication envoyée au gouvernement français en date du 18 mai 2023 » et que « les communications sont rendues publiques soixante jours suivant leur réception par les États et peuvent être consultées dans [une] base de données publique ». L’institution ajoute que « toutefois, les expert·e·s peuvent décider d’exprimer publiquement leurs préoccupations (i.e. dans un communiqué de presse) avant l’écoulement du délai s’illes [sic] considèrent que l’information reçue est suffisamment fiable pour justifier une attention immédiate ».

On lit en introduction de ce communiqué que « des experts des Nations unies ont exprimé leur inquiétude face aux allégations d’un usage excessif de la force lors des récentes manifestations contre la réforme des retraites et les projets de méga-bassines en France ». Les spécialistes cités évoquent « le manque de retenue dans l’usage de la force à l’encontre des membres de la société civile qui revendiquent de manière pacifique » et appellent les autorités « entreprendre un examen complet de leurs stratégies et pratiques en matière de maintien de l’ordre ». La liste des experts signataires de ce communiqué figure en note.

➔ Le message de BFM TV sur X (ex-Twitter) est titré « Retraites : l’ONU se dit “inquiète” de la “répression policière” dans les manifestations françaises » et précise que « l’organisme international estime que l’usage de la force pour contenir les manifestations contre la réforme des retraites et les mégabassines a été disproportionné ».

L’article publié sur le site de la chaîne le 16 juin reprend en titre l’expression « l’ONU se dit “inquiète” » et a comme sous-titre la phrase suivante : « L’organisme international estime que l’usage de la force pour contenir les manifestations contre la réforme des retraites et les méga-bassines a été disproportionné. » L’article lui-même débute par la phrase « L’ONU tire la sonnette d’alarme » et comprend les expressions « L’organisation a relevé que… », « le message envoyé par l’ONU » ou « le bureau des Nations unies ne manque pas de rappeler ».

➔ Le CDJM a constaté que le message sur le compte Twitter de BFMTV n’est plus accessible. Surtout, même si l’URL de l’article reste inchangée et comprend toujours les termes l-onu-se-dit-inquiete-de-la-repression-policiere, le titre, le sous-titre et le corps de l’article ont été modifiés. Le titre fait état d’« un groupe d’experts mandatés par les Nations unies » et non plus de « l’ONU ». Le sous-titre précise que « le groupe estime que l’usage de la force […] ». Dans l’article, la phrase « L’ONU tire la sonnette d’alarme » est supprimée, et le texte commence par « Dans un message envoyé jeudi depuis Genève, des experts mandatés par les Nations unies […] », puis il est écrit « ils ont relevé que […] », « le message envoyé par le groupe d’experts vise directement […] » et « Dans son communiqué, ils ne manquent pas de rappeler […] » (le pronom possessif « son » n’a pas été remplacé par « leur » lors de la correction).

➔ Le CDJM déplore l’imprécision des informations d’abord diffusées sur différents canaux par BFM TV, qui laisse accroire que l’Organisation des Nations unies (ONU) a blâmé la France. Comme l’a indiqué au CDJM le bureau du Haut commissariat aux droits de l’homme, une communication comme celle du 15 juin 2023 « ne peut être attribuable à l’ONU en tant qu’organisation au vu du caractère indépendant des rapporteurs spéciaux et experts indépendants ».

➔ Plusieurs des saisines adressées le 18 juin 2023 au CDJM notent, comme par exemple celle de Mme Mariam Wackenheim, que « le tweet est toujours visible et la chaîne n’a pas fait de rectification, malgré que des utilisateurs de Twitter lui aient signalé ». M. Gallecier affirmant le même jour dans sa saisine que « cette fake news a été vue et partagée plus de 800 000 fois sur Twitter sans que BFM TV ne la retire ». Le CDJM note que le message sur X n’est plus visible, sans pouvoir dater sa suppression, et qu’une correction précise a été apportée à l’article publié sur le site de la chaîne.

➔ Le CDJM considère que la publication du communiqué le 15 juin 2023 sur le site du bureau du Haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies peut expliquer la première présentation par BFM TV, qui attribue les conclusions d’une expertise à l’opinion politique de l’instance qui l’a commandée. Il prend acte des modifications de l’article publié, mais déplore que cette correction de l’imprécision ne soit ni signalée, ni explicite.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 décembre 2023 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de rectification ont été respectées.

La saisine est déclarée non-fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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