Avis sur la saisine n° 23-050

Adopté en réunion plénière du 12 septembre 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 18 juin 2023, M. Olivier Guichardaz a saisi le CDJM à propos d’une vidéo diffusée le 17 juin 2023 sur le compte @ARTEinfo animé par la chaîne Arte sur le réseau social X (ex-Twitter). Cette vidéo est un épisode de la rubrique Greenscreen et est titrée « Le recyclage en Europe ». Le tweet a depuis été supprimé.

M. Guichardaz, qui est journaliste spécialisé sur la gestion des déchets, estime que cette vidéo ne respecte pas la règle déontologique d’exactitude et de véracité des faits à six reprises.

Il considère qu’une déclaration de Mme Lise Nicolas, représentante d’un bureau d’étude spécialisé, est contradictoire et donc inexacte, et que certaines images montrées lorsqu’il est question du recyclage en France « ne correspondent pas à la réalité et sont donc trompeuses ».

Il dénonce également le fait qu’une représentante de la Commission européenne, interrogée, fait deux confusions (entre recyclage et prévention des déchets puis entre consigne pour recyclage et consigne pour réemploi), erreurs qui ne sont ni relevées ni rectifiées par les journalistes d’Arte.

Il reproche ensuite à la vidéo « d’évoquer un trafic supposé de déchets entre l’Allemagne et la Pologne […] sans clairement expliquer le lien supposé qui existerait entre ce trafic et la performance de recyclage de l’Allemagne », puis l’évocation de la production de déchets dans le monde dont il ne « comprend [pas] le lien avec le reste de la vidéo qui porte sur l’Europe et le recyclage ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon le devoir no 1 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019 ).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon l’article 3 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).

Le CDJM a également publié une recommandation titrée Rectification des erreurs : les bonnes pratiques.

Réponse du média mis en cause

Le 24 juillet 2023, le CDJM a adressé à Mme Carolin Ollivier, directrice adjointe de l’information d’Arte avec copie à M. Léo Sanmarty, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 5 septembre 2023, Mme Carolin Ollivier a répondu en ces termes par courriel au CDJM :

« Concernant le premier propos de Mme Nicolas, le but est de pointer un problème, et non pas d’accabler. Il s’agit d’une prise de position qui est opposée à une autre.

Concernant les images utilisées : après vérification, nous avons dû constater qu’il y a effectivement trois secondes d’images (à 1 min 25 s) qui ne sont pas tournées en France. Cette image de personnes assises sur des caisses, en train de trier les déchets, provient de la même source que les images tournées en France, d’où la confusion lors du montage. Nous vous remercions de nous avoir alertés là-dessus, et nous avons changé les images.

Pour le reste, nous respectons évidemment le souhait de M. Guichardaz d’approfondir et d’expliquer davantage certains aspects des sonores, mais nous vous rappelons que le sujet vise à résumer la problématique de la gestion des déchets en Europe à un public très large en très peu de temps. »

Analyse du CDJM

➔ La vidéo en cause fait partie d’une série diffusée sur le compte X @ARTEInfo de la chaîne Arte. Elle est identifiée dans la série par le titre « Le recyclage en Europe Greenscreen#19 ». D’une durée de 3 min 48 s, cette vidéo est la présentation d’une problématique par un texte en incrustation et des interviews, soutenus par des images d’illustration issues d’archives ou de banques d’images.

Elle débute par des images de stocks de déchets, où sont inscrites successivement les mentions suivantes : « La France cancre de l’UE sur le recyclage des déchets ménagers / Contrairement à l’Allemagne, le bon élève / C’est ce que révèle une étude de la Commission européenne / Comment expliquer ce constat ? ».

Il est ensuite indiqué que seuls neuf pays membres de l’UE, dont l’Allemagne, atteignent les objectifs fixés par l’Union pour le recyclage des déchets ménagers et que « la France est en retard ». Suit un extrait d’une interview de Mme Lise Nicolas, présentée comme « cofondatrice de M. et Mme Recyclage », qui explique les causes de ce retard. La séquence suivante est un contrepoint, avec la présentation par une porte-parole de la Commission européenne de « nouvelles mesures » adoptées par la France depuis 2020. Cette porte-parole décrit ensuite le système de « consigne obligatoire » mis en place en Allemagne « depuis le début des années 90 ».

La vidéo se poursuit par l’évocation des accusations d’exportation illégale de déchets allemands vers la Pologne. L’avant-dernière séquence rappelle les recommandations de la Commission européenne sur la collecte et le traitement des déchets. Enfin, une dernière séquence, toujours sur fond d’images d’illustration, indique que « si rien n’est fait au niveau des États, la production de déchets pourrait augmenter de 70 % à l’échelle mondiale d’ici 2050 ».

➔ Le premier point soulevé par M. Guichardaz concerne les propos de Mme Lise Nicolas. Celle-ci dit : « Les faibles taux de recyclage en France sont liés à plusieurs raisons. Et principalement, je dirais, au manque de transparence. Il y a beaucoup de désinformation dans le monde du recyclage. L’objectif premier c’est clairement pas de développer le recyclage mais plutôt de mettre toujours plus de produits sur le marché. »

Pour le requérant, cela revient « à imputer le recyclage insuffisant au monde du recyclage », ce qu’il juge « absurde [car ce secteur] aimerait bien pouvoir recycler davantage ». La rédactrice en chef d’Arte journal explique dans sa réponse que « le but est de pointer un problème, et non pas d’accabler. Il s’agit d’une prise de position qui est opposée à une autre ».

Pour le CDJM, il y a bien dans le propos de Mme Nicolas un rapprochement entre les responsabilités des entreprises de recyclage et celles qui produisent des biens (ce que Mme Nicolas appelle « le marché ») qui crée une incompréhension. Que cette confusion soit dans les propos tenus effectivement par Mme Nicolas ou que cela soit le résultat du montage de l’entretien accordé à Arte Info, ce qu’elle dit ou ce qu’on lui fait dire est inexact.

➔ La première partie de la vidéo est composée d’images relatives à la collecte et au traitement des déchets (hangars encombrés de blocs de plastiques compressés, personnes récoltant des déchets sur un quai portuaire, ouvriers triant des ordures). Le requérant estime notamment que « n’ont manifestement pas été tournées en France » les vues de « personnes assises sur des caisses tri[ant] des déchets à la main, alors que les déchets sont posés au sol ». Mme Carolin Ollivier reconnaît dans sa réponse au CDJM que ces images « ne sont pas tournées en France » même si cette brève séquence « provient de la même source que les images tournées en France ».

Le CDJM rappelle que si l’utilisation d’images proposées par des tiers – notamment des banques d’images d’illustration –, est une pratique courante, elle n’exonère pas les rédactions de l’obligation déontologique d’exactitude et de vérification de l’adéquation du contenu de ces images avec le propos qu’elles illustrent.

Il observe que ce genre de tri manuel ne semble pas correspondre aux pratiques en France. Les sites professionnels indiquent plutôt que « les déchets triés automatiquement par dimension et selon leur poids partent ensuite sur des tapis pour être triés manuellement en fonction de leur matière et que des techniciens sont autour des tapis pour affiner la sélection des matières recyclables. Ils récupèrent les déchets recyclables. Ils les retirent du tapis et les jettent dans des alvéoles situées en dessous », comme le décrit par exemple Le site de Tom, espace pédagogique du Syctom, agence métropolitaine des déchets ménagers. Ce tri manuel sur tapis n’est pas ce qui est montré dans la vidéo, dont le sujet est centré sur le traitement des déchets en France. L’utilisation de cette illustration ne correspond pas à la réalité de ce qui se passe en France.

Le CDJM prend acte de la réponse de la direction d’Arte Info, qui affirme avoir « changé les images », bien que le sujet ne soit plus accessible ni sur X ni sur la page qu’Arte Info consacre à sa rubrique « Greenscreen » sur Facebook. Il considère qu’il y a inexactitude mais correction de l’erreur dès qu’elle a été signalée – comme le demandent les textes auxquels il se réfère – si on en croit la directrice adjointe de la rédaction d’Arte Info, ou au minimum « correction » par suppression de l’élément la comportant l’erreur.

➔ M. Guichardaz observe par ailleurs que « la première intervention de la représentante de la Commission européenne porte sur la prévention des déchets (la réduction des déchets), pas sur le recyclage. Or l’essentiel du sujet, son angle principal, est le recyclage (et le mauvais classement de la France au niveau européen sur ce point) ». Pour le requérant, « Arte crée donc, pour le téléspectateur, une confusion entre deux concepts différents : recyclage et prévention des déchets ».

De même, il indique qu’« à propos de l’Allemagne, la représentante de la Commission européenne fait une confusion entre consigne pour recyclage (pour les bouteilles en plastique et les canettes) et consigne pour réemploi (pour les bouteilles en verre). Or le réemploi n’est pas du recyclage ». Avant de préciser : « Arte n’est évidemment pas responsable de cette confusion, imputable à la représentante de la commission [mais ses journalistes] auraient pu repérer cette confusion et ne pas la diffuser (ou la rectifier), ce qui aurait évité de créer la confusion pour les téléspectateurs ».

Le CDJM considère que, quel que soit le format d’un acte journalistique, l’exigence d’exactitude doit être respectée. Mais il souligne qu’il y a une différence à faire entre inexactitude et imprécision. La tolérance à une imprécision ne peut pas être la même dans un sujet pour spécialistes et dans un sujet court à destination du grand public.

En l’occurrence, il ne conteste pas la distinction entre recyclage et prévention des déchets faite par le requérant. Mais il observe que la finalité est la même : la diminution de la pollution par des déchets. De même, lorsque la représentante de la Commission européenne semble, selon le requérant, confondre « consigne pour recyclage (pour les bouteilles en plastique et les canettes) et consigne pour réemploi », il y a une imprécision, pas une inexactitude qui altérerait le sens du message : quand quelqu’un rapporte une bouteille ou une canette consignée, c’est bien pour limiter la quantité de déchets, ce qui est au cœur du sujet.

➔ Le requérant estime par ailleurs que Arte Info « semble faire un lien entre les performances de recyclage de l’Allemagne et un trafic supposé entre l’Allemagne et la Pologne » sans expliquer « le lien supposé qui existerait entre ce trafic et la performance de recyclage de l’Allemagne ».

Le CDJM souligne que « [sembler] faire un lien » n’est pas « faire un lien ». D’autre part, la phrase employée dans la vidéo – « pourtant l’Allemagne n’est pas épargnée par les polémiques » – introduit une nuance dans le tableau positif des performances allemandes davantage qu’un lien avec les accusations polonaises d’importation illégale de déchets allemands en Pologne. Il n’y a pas d’inexactitude factuelle dans ce passage de la vidéo.

➔ Le requérant déplore ensuite que « la fin de la vidéo évoque la production de déchets dans le monde entier sans qu’on arrive bien à comprendre le lien avec le reste de la vidéo qui porte sur l’Europe et le recyclage ». Pour le CDJM, l’élargissement en conclusion du sujet sur l’augmentation à terme, au niveau mondial, de la question des déchets est un choix éditorial.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 septembre 2023 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité des faits n’a pas été respectée en deux occurrences, dont une a été corrigée.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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