Avis sur la saisine n° 23-038

Adopté en réunion plénière du 10 octobre 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 17 mai 2023, M. Eric Aubin, agissant au nom de la société MWR Life en qualité de vice-président Europe, a saisi le CDJM à propos de deux articles publiés le 4 mai 2023 par Le Quotidien de La Réunion sous le titre « La Réunionnaise Catherine Techer “reine de l’arnaque” ? Une escroquerie internationale à la loupe ».

M. Aubin formule trois griefs : non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits, non-respect de l’offre de réplique, manque d’équité. Il conteste « toutes les accusations portées contre MWR Life » dans ces articles, où il relève que les mots « arnaque » et « escroquerie » ont été utilisés « à plusieurs reprises ». Il considère que les faits ont été déformés et cite comme inexactitude la phrase : « MWR Life avait déjà été mise en avant il y a quelques années par la Miviludes ».

Il fait ensuite valoir que la société MWR Life n’a pas été contactée au titre de l’offre de réplique et, observant la place accordée aux deux articles visés, considère que le média a fait preuve d’un manque d’équité à l’égard de MWR Life en ouvrant « très largement ses colonnes à Xavier Rossey [auteur d’un livre sur Mme Techer qui cite MWR Life] ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (Fédération Internationale des Journalistes, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 3).
  • Il « défendra en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique » selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • « La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

Réponse du média mis en cause

Le 1er juin 2023, le CDJM a adressé à M. Kevin Bulard, rédacteur en chef du Quotidien de la Réunion, avec copie à M. Julien Georget, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 6 juin 2023, M. Julien Georget a répondu par courriel au CDJM. Il expose travailler depuis plusieurs mois sur une « procédure ouverte en Andorre en juillet 2021 [qui] concerne une Réunionnaise qui a été assignée à résidence à l’époque » et avoir pris contact avec M. Rossey, un des accusateurs de Mme Techer qu’il a « vainement essayé de contacter » et « qui est la seule à être nommément citée dans les différents articles [qu’il a] signés ». Il explique au CDJM qu’il s’est « attelé à relayer des informations déjà sourcées et vérifiées, en y ajoutant une interview » lorsqu’il a appris « la sortie prochaine du livre-enquête de M. Rossey, qui a fait l’objet d’un dossier de presse adressé aux rédactions en avril ».

Analyse du CDJM

➔ Les deux articles en cause sont annoncés en Une du Quotidien de La Réunion daté du 4 mai 2023 par une photo qui occupe la moitié de cette Une, représentant une femme souriant après une prise de parole publique – elle est équipée d’un micro de tête. Cette image est barrée du titre « Enquête sur une escroquerie internationale », précédé du surtitre « Catherine Techer, “reine de l’arnaque ?” » et suivi, en sous-titre, de la mention « La Réunionnaise Catherine Techer est au centre d’une enquête sur les arnaques pyramidales ».

Les pages 4 et 5 du journal sont consacrées à ce sujet avec :

  • Page 4, un article signé par le journaliste Julien Georget : « Catherine Techer, “reine de l’arnaque ?” Une escroquerie internationale à la loupe ». Il retrace le parcours de Mme Catherine Techer qui a monté plusieurs affaires et est accusée d’escroquerie – une enquête est en cours – et décrit ses relations avec Xavier Rossey, qui affirme être une de ses victimes. Le chapô (texte introductif) explique que « La Reine de l’arnaque ? paraît aux éditions Genèse ce samedi 5 mai. Son auteur, Xavier Rossey, y dissèque méticuleusement l’arnaque To The Top et le rôle de sa figure de proue, la Réunionnaise Catherine Techer. Une plongée dans l’envers du décor des escroqueries de grande envergure, où les révélations se succèdent aussi vite qu’une arnaque en remplace une autre ». Une photo de Mme Techer est légendée « Disparue d’Andorre où elle encourait de lourdes poursuites judiciaires, Catherine Techer serait réfugiée dans son domaine doré du sud de la France désormais ». Un encadré retrace le passé judiciaire de Mme Techer.
  • Page 5, une interview de M. Xavier Rossey, portant le titre « Xavier Rossey, auteur de La Reine de l’arnaque ? : Dernières révélations avant parution » et présentée au style direct questions / réponses. M. Rossey y explique ce qu’est le système de marketing de réseau, son « essor phénoménal », revient sur ses relations passées avec Mme Catherine Techer, sur la situation de cette dernière et sur le mécanisme de ce qu’il présente comme une escroquerie. Sur cette page figurent également un fac-similé des statuts de la société de Mme Techer, To The Top, enregistrés en Andorre, une photo des travaux de sa propriété qui, selon la légende, a été « acquise via la société To The Top pour près d’un million d’euros payés cash, [et] fait aujourd’hui l’objet d’une saisie judiciaire », et un encadré résumant le parcours de M. Rossey complète cette page.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

➔ M. Eric Aubin estime dans sa saisine que sa société est mise en cause et que le journaliste aurait dû le contacter : « Ni MWR Life, ni aucun de ses représentants n’a été contacté afin de donner son point de vue, ce qui aurait permis à MWR Life de faire savoir aux lecteurs de ce média qu’elle conteste les accusations de Xavier Rossey et notamment qu’elle conteste l’accusation selon laquelle elle aurait commis ou se serait rendue complice de faits répréhensibles. »

Le journaliste M. Julien Georget précise dans sa réponse au CDJM que son article, fruit d’échanges avec M. Rossey et d’autres « victimes » de Mme Techer, concerne celle-ci, qu’il dit avoir « vainement cherché à joindre » et « qui est la seule à être nommément citée dans les différents articles que j’ai signés jusqu’ici ». Il dit s’être « attelé à relayer des informations déjà sourcées et vérifiées, en y ajoutant une interview » et que le requérant « avait tout à fait (et a toujours) la possibilité de contacter notre rédaction pour solliciter un droit de réponse suite aux propos tenus par M. Rossey, propos qui font déjà l’objet d’une publication dans un ouvrage vendu en librairie. Droit qui ne lui aurait en aucun cas été refusé. »

➔ L’article publié page 4 du Quotidien de La Réunion cite quatre fois la société MWR Life :

  • La première de ces citations est positive pour MWR Life « qui possède un siège à Paris » et dont « l’apparente crédibilité » a « rassuré » M. Rossey au moment de faire un investissement par l’intermédiaire de Mme Techer.
  • Une autre, dans l’encadré portrait de Mme Techer, indique simplement que Mme Techer se présente en « national manager numéro 1 de MWR Life ».
  • Une troisième que celle-ci « a déjà été impliquée dans une précédente arnaque toujours en lien avec MWR Life » : cela rapproche effectivement la notion d’arnaque du nom de la société, sans que la formulation permette de comprendre si « l’arnaque » était le seul fait de Mme Techer dans sa commercialisation des produits proposés par MWR Life ou de Mme Techer et de MWR Life.
  • La dernière citation dans cet article évoque « deux autres plaignants [qui] se font connaître également en Andorre pour l’escroquerie de 170 000 euros et 140 000 euros investis dans MWR Life via To The Top » : la société de Mme Techer est directement visée par l’accusation d’escroquerie au détriment des investisseurs, voire de la société MWR Life.

Comme l’indiquent sa titraille et son chapô (texte introductif), l’article de M. Georget est entièrement consacré aux faits reprochés par M. Xavier Rossey à Mme Techer. Le CDJM rappelle que l’offre de réplique s’impose lorsque des personnes physiques ou morales sont directement mises en cause sur des faits précis. Cela n’est pas le cas des citations de MWR Life dans cet article de M. Georget. Les termes « arnaque » et « escroquerie » sont utilisés par le journaliste pour décrire un système qui peut concerner MWR Life comme auteur ou comme victime. S’ils sont rapprochés de MWR Life, aucune accusation précise n’est portée dans ce premier article contre cette société.

➔ Page 5, M. Rossey expose essentiellement, en répondant aux questions du journaliste Julien Georget, ses accusations contre Mme Techer. Les illustrations présentées appuient ces accusations. Dans l’échange avec le journaliste, M. Rossey parle d’un « système Techer/MWR Life » et cite cette société à quatre reprises. Ses propos sont parfois sans ambiguïté : « une partie de l’argent [que Mme Techer] a détourné a bien atterri dans les caisses de MWR Life » ; « MWR Life n’a rien fait pour arrêter [Mme Techer] alors que son président et son vice-président avaient tous deux connaissance des activités de Mme Techer » ; « MWR Life avait déjà été mise en avant il y a quelques années par la Miviludes, l’organisme chargé de la vigilance sur les dérives sectaires ».

M. Julien Georget écrit au CDJM à propos de cette interview qu’il « laisse effectivement libre droit à l’auteur de présenter son enquête et les éléments qu’il aborde dans son ouvrage, à travers l’entretien que nous avons eu ». Pour le CDJM, ce n’est effectivement pas le journaliste qui s’exprime. Il reproduit au style direct les propos de son interlocuteur, qui sont présentés comme des conclusions de son enquête publiée dans un livre, ou comme ses opinions. Ces propos ne sont pas le résultat de l’enquête du journaliste du Quotidien de La Réunion, ce qui aurait été le cas si ces accusations avaient figuré dans le premier article. Les soumettre avant reproduction sous forme de verbatim à MWR Life n’apparaît pas comme une obligation déontologique.

Sur le grief d’inexactitude

➔ Le requérant M. Eric Aubin ne cite qu’un passage des deux textes (l’article et l’interview) publié par Le Quotidien de La Réunion comme étant inexact, arguant dans sa saisine ​​que « MWR Life conteste toutes les accusations portées contre elle et considère qu’il y a distorsion des faits » et qu’« il n’est pas possible de démontrer ce qui n’existe pas ».

Le grief d’inexactitude n’est explicité qu’à propos de la phrase : « MWR Life avait déjà été mise en avant il y a quelques années par la Miviludes ». M. Aubin s’inscrit en faux ainsi : « Dans un article du Monde du 6 novembre 2019 intitulé Marketing multiniveau : les signalements à la Miviludes mettent en évidence une évolution très inquiétante”, Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes, déclare à propos du marketing multiniveau : “La Miviludes a reçu plus de 250 demandes d’intervention et des témoignages qui sont ainsi parvenus ces trois dernières années. Une centaine d’interrogations ont été reçues entre 2015 et 2019 concernant la société Akeo, quatre-vingts pour Herbalife et une trentaine au sujet de NL International. Une dizaine a été enregistrée concernant Kuvera, MWR Life et WorldVentures en 2018-2019”. Cela ne permet pas d’affirmer que MWR Life aurait été “mise en avant” par la Miviludes. »

Le CDJM a consulté le rapport de la Miviludes 2018/2020. On y lit au paragraphe « Vente multi-niveau et marketing réseau : nouveaux risques pour les jeunes » que « la Miviludes peut recevoir d’ailleurs des questionnements sur les actions et agissements de personnes toujours sous emprise de ces grandes structures, mais qui pourraient alors devenir auteurs de faits répréhensibles. Les sociétés particulièrement signalées sont : Melius (devenu récemment la société Befactor) ; NL International ; Kuvera ; MWR Life ; Learn Do Succeed ; IM Academy, IT Works, ProNetworkVision (PNV) ; Nu skin. »

Le CDJM considère que dire que la société MWR Life a « été mise en avant » par la Miviludes décrit le fait que cette société est citée dans le rapport parmi « les sociétés particulièrement signalées ». MWR Life a fait l’objet d’une dizaine « d’interrogations » (pour reprendre le terme employé par Mme Josso dans Le Monde) : c’est une « mise en avant » qui la distingue des autres entreprises de vente multi-niveau qui ne sont pas citées dans le rapport. L’expression n’est pas inexacte.

Sur le grief de manque d’équité

Le requérant affirme que par « la publication de ces deux articles sur deux pleines pages (articles annoncés sur plus de la moitié de la Une) […] le média a très largement ouvert ses colonnes à Xavier Rossey, sans respect du contradictoire, ce qui conduit à un manque d’équité ».

Le CDJM considère que consacrer un article à un livre qui paraît et publier une interview de son auteur, l’ensemble étant clairement anglé sur la personnalité et les activités de Mme Techer, est un choix rédactionnel qui ne conduit pas à un manque d’équité vis-à-vis de la société MWR Life.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 octobre 2023 en séance plénière, estime que les règles déontologiques d’exactitude, d’offre de réplique et d’équité n’ont pas été enfreintes par Le Quotidien de La Réunion.

La saisine est déclarée non-fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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