Avis sur la saisine n° 23-031

Adopté en réunion plénière du 11 juillet 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 23 avril 2023, M. Lucas Blondel-Amour a saisi le CDJM à propos d’une séquence du journal télévisé de M6 « Le 19-45 » diffusé le 1er mars 2023, titrée : « Au compte-goutte : haro sur les piscines ».

Il formule plusieurs griefs : non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits, confusion entre information et publicité, conflit d’intérêts, absence d’offre de réplique.

Selon M. Blondel-Amour, ce reportage « sous-entend que l’installation de piscines est compatible avec la situation de sécheresse et de changement climatique ». Il affirme que « tous les chiffres donnés dans le reportage sont issus des professionnels de la piscine » et déplore que le chiffre de 15 m3 d’eau consommé par an et par bassin indiqué par le commentaire n’ait pas été « confirmé ou infirmé par les journalistes en se référant à d’autres sources ». Il met en cause également « la phrase de conclusion prononcée par madame la déléguée générale de la fédération des professionnels de la piscine : “ Finalement, avoir une piscine chez soi c’est plutôt écologique ” » et ajoute : « elle ne parle que de la consommation en eau sur une année, et ne parle pas de l’impact de la construction de la piscine, encore moins de l’exploitation de la matière première et du transport des matériaux ».

M. Blondel-Amour estime que l’obligation d’offre de réplique n’a pas été respectée, « aucun témoignage informant sur les multiples impacts écologiques des piscines [n’étant] proposé dans le reportage ».

Recevabilité

Si la saisine est recevable au regard du règlement intérieur du CDJM, le grief de conflit d’intérêts formulé par M. Blondel-Amour ne l’est pas.

Dans sa saisine, le requérant le précisait ainsi : « Le réel impact de telles installations est relativisé, voire étouffé. Cela laisse soupçonner un accord entre la chaîne et les professionnels de la piscine qui ont vu le nombre d’installations diminuer en 2022 et qui cherchent à relancer leur business ».

Le CDJM lui a demandé par courriel, le 2 mai 2023, d’indiquer les « éléments plus précis, au-delà du soupçon, qui caractériseraient le grief » de conflit d’intérêts. Il a répondu le même jour ainsi : « Je n’ai pas d’éléments pouvant illustrer mon argument. Cela relève de ma déduction. » Ce grief a donc été déclaré irrecevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n°1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • « La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il doit « refuser et combattre, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
  • Il doit « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » et « n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 9).
  • Il doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).
  • « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics » : il « n’usera pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée, et s’interdira de recevoir un quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-diffusion d’une information »,  et il doit « éviter — ou mettre fin à — toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (Fédération Internationale des Journalistes, 2019, article 13).

Réponse du média mis en cause

Le 19 mai 2023, le CDJM a adressé à M. Stéphane Gendarme, directeur de l’information de M6, avec copie à MM. Grégory Petitjean et Niels Brunelli, journalistes, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 29 mai 2023, M. Stéphane Gendarme a répondu. Il nie tout sous-entendu dans le reportage sur la compatibilité de l’installation de piscines avec la sécheresse. Il affirme que le reportage «  relate des faits », qu’il détaille ainsi : « La France : 1er parc européen de piscines privées. 3,3 millions de bassins dont 70.000 à 90.000 dans le Var, où 9 communes du Pays de Fayence ne délivreront plus de permis de construire de villas avec piscines pendant 5 ans. En cause : les ressources en eau de plus en plus faibles dans la région, alors que certains villages recensent 1 bassin pour 4 habitants. » Il indique qu’une autre source, M. Nicolas Roche, professeur à l’université d’Aix-Marseille, a confirmé les chiffres donnés dans le reportage, ce qui, écrit-il, est « spécifié en synthé dans le sujet avec la mention “sources : FPP et université Aix-Marseille” ».

Le directeur de l’information de M6 répond également au grief d’absence de propos indiquant les impacts écologiques des piscines : « Le reportage laisse pourtant largement la parole à M. François Cavallier, maire de la commune de Callian dans le Var, qui fait partie des élus qui ont interdit les constructions de piscines privées pendant 5 ans. » Il conteste enfin que le sujet fasse « la promotion des piscines privées » en soulignant qu’« aucune marque, aucun prix n’est cité dans le sujet » dont la conclusion, indique-t-il, rappelle que le marché des piscines est « dynamique mais en baisse face à la sécheresse ».

Analyse du CDJM

➔ Le reportage de M6 est annoncé par le présentateur du journal en ces termes : « La sécheresse continue de préoccuper les autorités et les préfectures, de plus en plus nombreuses à mettre en place des restrictions d’eau en prévision d’un été qui laisse craindre le pire. Dans le Var, plusieurs communes interdisent déjà aux particuliers de remplir leur piscine. D’autres vont même jusqu’à geler certaines constructions. Solution radicale dans une région où les rectangles bleus font quasiment partie du paysage. »

La séquence s’ouvre par des images aériennes de piscines ainsi commentées : « La France, premier parc européen de piscines privées : 3,3 millions de bassins, dont 70 à 90 000 dans le Var, où neuf communes du pays de Fayence ne délivreront plus de permis de construire des villas avec piscine pendant 5 ans. En cause, les ressources en eau de plus en plus faibles dans la région, alors que certains recensent un bassin pour quatre habitants. »

Suivent plusieurs séquences d’interviews. D’abord avec le maire de Callian, M. François Cavallier qui, d’une part, explique sa décision de ne plus délivrer de permis de construire, « un message qui dit : le réchauffement climatique, le changement climatique, ça devient concret », mais d’autre part, refuse de « désigner tout d’un coup les piscines, maintenant qu’il y en a des milliers, comme des intruses » et invite « [à] appren[dre] à consommer [l’eau] plus intelligemment et mieux et autrement ».

Le commentaire off du journaliste qui suit précise ces modes d’usages « plus intelligents » : « Filtrer régulièrement, bien penser à bâcher pour limiter l’évaporation ou ne pas vider la piscine chaque année. Adopter des gestes plus écologiques donc, en optant pour de nouveaux lagons tendance, plus petits, moins profonds, mieux équipés ». Ces mots introduisent un extrait de l’interview d’un pisciniste qui explique qu’une « piscine classique ferait le double de volume d’eau » de celles qu’il installe désormais.

Le commentaire off du journaliste cite alors « la Fédération des professionnels de la piscine [qui] estime à seulement quinze mètres cubes par an et par bassin la consommation en eau (…) autant qu’arroser un jardin asséché de 2 000 mètres carrés » , puis la déléguée générale de cette fédération, Mme Joëlle Pulinx, développe un argumentaire pro piscine : « Une piscine, c’est que 250 kilos de CO2 d’impact carbone sur toute une année, et ça évite aux familles de partir en week-end et d’utiliser son automobile pour avoir un impact carbone plus important. Finalement, avoir une piscine chez soi, c’est plutôt écologique ». La conclusion du journaliste décrit l’état du marché des piscines « toujours dynamique mais en baisse face à la sécheresse » en indiquant qu’en France « 70 000 piscines ont été livrées en 2022 contre 244 000 en 2021».

A l’appui du grief d’inexactitude, M. Lucas BlondelAmour déplore que « tous les chiffres donnés dans le reportage sont issus des professionnels de la piscine » et regrette qu’ils n’aient pas été « confirmés ou infirmés par les journalistes en se référant à d’autres sources ».

Le CDJM note que rien ne permet d’affirmer qu’aucun des chiffres mentionnés dans le reportage n’a été vérifié. M. Stéphane Gendarme, directeur de l’information de M6, soutient le contraire, indiquant que Nicolas Roche, « professeur à l’université d’Aix-Marseille, spécialiste des problématiques de l’eau », a été interrogé. Cette source est mentionnée à l’écran à 1 min 44 par la mention « université Aix Marseille » lorsque les chiffres de consommation d’eau d’une piscine et l’arrosage d’un jardin sont comparés.

Le CDJM observe que M. Nicolas Roche, indiqué au CDJM par M6 comme la seconde source utilisée, est professeur de génie des procédés appliqué au traitement des eaux, spécialiste de l’épuration des eaux et de la réutilisation des eaux usées traitées. Membre du groupe régional d’experts sur le climat (GREC Sud) financé par la région Provence-Alpes Côte d’Azur (Paca) et l’Agence de la transition écologique (Ademe), il intervient régulièrement (Cf. « Plan eau : « Il faut complètement revoir notre rapport à l’eau », plaide un chercheur, spécialiste des problématiques de l’eau », francetvinfo.fr, 30 mars 2023, « Vidéo : L’eau : état des lieux et solutions », veille-eau.com, 28 avril 2023 et « Augmenter le prix de l’eau pour les loisirs, une solution à la crise de l’eau ? », Novethic, 19 août 2022) sur les questions de consommation d’eau.

On ne peut donc affirmer que les chiffres donnés dans le reportage n’aient pas été confirmés par d’autres sources que les professionnels de la piscine.

➔ Sur la confusion entre publicité et information

Le CDJM note que le reportage n’incite pas à s’équiper d’une piscine. Le lancement du sujet par le présentateur souligne au contraire les obstacles à leur installation : « La sécheresse continue de préoccuper les autorités et les préfectures de plus en plus nombreuses à mettre en place des restrictions d’eau en prévision d’un été qui laisse craindre le pire. Dans le Var, plusieurs communes interdisent déjà aux particuliers de remplir leur piscine. D’autres vont même jusqu’à geler certaines constructions. »

Le requérant appuie ce grief de confusion entre publicité et information sur l’utilisation d’un « champ lexical relatif au verdissement » et le fait, estime-t-il, que « le réel impact de telles installations est relativisé, voire étouffé ».

Le CDJM relève que l’auteur du reportage, dans ses commentaires off, dit à 1 min 6 s, après un pisciniste interrogé qui souhaitait « qu’on apprenne à consommer plus intelligemment et mieux et autrement » : « Comme filtrer régulièrement, bien penser à bâcher pour limiter l’évaporation ou ne pas vider la piscine chaque année. Adopter des gestes plus écologiques donc, en optant pour de nouveaux lagons tendance plus petits, moins profonds, mieux équipés ». Puis à 1 min 32, le journaliste fait la liaison entre deux séquences d’interview en disant : « Changer les mentalités pour faire du rectangle bleu un lieu écoresponsable. Pourtant, la fédération des professionnels de la piscine estime à seulement quinze mètres cubes par an et par bassin la consommation en eau, soit 0,15 pour 100 de la consommation nationale, autant qu’arroser un jardin asséché de 2 000 mètres carrés » (sur ces chiffres, voir ci-dessus).

Percevoir ces mentions comme du « verdissement » est une opinion. Pour le CDJM, elles traduisent l’angle retenu pour ce reportage – comment limiter les impacts des piscines sur la consommation d’eau – clairement indiqué dans son lancement. Cela relève d’un choix éditorial, pas d’une faute déontologique.

Sur l’absence d’offre de réplique

Le CDJM rappelle que l’offre de réplique est l’obligation de proposer à une personne mise en cause d’exprimer son point de vue, notamment dans le cas d’accusations graves susceptibles de porter atteinte à sa réputation ou à son honneur. En l’occurrence, le reportage de M6 ne met personne en cause.

Plus qu’absence d’offre de réplique, le requérant dénonce ce qu’il appelle une « vision du sujet unilatérale ». Il souligne « l’installation de piscines privées est défendue et légitimée [par] les 3 personnes qui prennent la parole dans le sujet » (le maire de Caillan, un pisciniste et la déléguée générale de la Fédération des professionnels de la piscine).

Le CDJM observe qu’on ne peut placer le maire de Caillan au rang des thuriféraires des piscines, alors même qu’il veut en interdire la construction de nouvelles ; que le pisciniste défend l’installation de bassins moins consommateurs d’eau ; que pendant toute la durée du reportage, le bandeau le titrant en bas de l’écran est « certaines communes s’attaquent aux piscines privées ».

Le choix de l’angle est clair : les « pratiques » qui doivent permettre de réduire la consommation d’eau. Cet angle est tenu tant dans les propos des journalistes que des personnes interviewées. Mme Joëlle Pulinx, déléguée générale de la Fédération des professionnels de la piscine, intervient dans le dernier élément du reportage. Elle déclare : « ¢C’est peut-être plus symbolique qu’autre chose, parce qu’une piscine, c’est que 250 kg de CO2 d’impact carbone sur toute une année [sic], et ça évite aux familles de partir en week-end et d’utiliser son automobile pour avoir un impact carbone plus important. Donc finalement, avoir une piscine chez soi, c’est plutôt écologique. »

Le CDJM constate que ce propos déplace complètement la question posée – celle de la consommation d’eau – vers le sujet de l’empreinte carbone, de surcroît en se fondant sur une hypothèse invérifiable. Il souligne qu’il aurait été bienvenu d’un point de vue déontologique qu’il y ait dans le sujet diffusé une prise de distance du journaliste par rapport à ces propos.

L’objet d’un reportage de 2 min 16 s dans un journal télévisé est forcément limité à un aspect. La rédaction de M6 n’avait pas choisi de traiter ce que le requérant appelle « les multiples impacts écologiques des piscines ». L’angle de ce court sujet est de parler des arrêtés d’interdiction qui viennent d’être pris, et d’élargir aux « bonnes pratiques » d’usage pour limiter la consommation d’eau lorsqu’on a une piscine. Il ne s’agissait pas en 2 min 16 s de faire un reportage ou une enquête sur l’impact environnemental global des piscines privées, ni même sur celui de leur construction. Néanmoins, comme le choix de l’angle traité, cela relève de la liberté éditoriale de la rédaction de M6.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 11 juillet 2023 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de respect de l’exactitude et de la véracité des faits, de non confusion entre information et publicité, et d’offre de réplique n’ont pas été enfreintes par M6.

La saisine est déclarée non-fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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